FLORYAN VARENNES, ENTRETIEN

FLORYAN VARENNES, ENTRETIEN

« Mon travail est de l’ordre de la dichotomie, structuré et veule, entre forme et anti forme, dans la rencontre entre deux entités sur un même sujet/objet. » Floryan Varennes

Floryan Varennes n’est ni surpris, ni gêné lorsque le public assimile parfois son geste plastique à celui d’un créateur de mode, et voit dans ses œuvres une forme d’artisanat totalement décomplexé, n’hésitant pas à visionner des tutoriels afin de parfaire sa technique, ou s’entourant de personnes spécialisées. Et s’il se dit « extrêmement intéressé par tous les savoir-faire traditionnels complexes », son travail ne peut se résumer à une seule technicité et dévoile au contraire un réseau complexe de préoccupations. Le temps nécessaire à l’élaboration de ses pièces lui permet d’accéder à leur temporalité, à atteindre même une forme de spiritualité.

Peut-on dire que ta pratique se caractérise par l’utilisation du textile comme médium ?

Je ne travaille pas le tissu mais le vêtement qui est un objet manufacturé dans ce pan de mes recherches. Par économie, j’ai commencé par utiliser mes propres affaires ou celles de mes proches. Désormais, je les achète dans les grands magasins car mes nouvelles compositions telles que Survivance (2015) ou Alternance (2015) nécessitent une certaine unité. Je reprends des éléments patronnés qui sont pour moi indiciels car ils donnent des informations sur le corps. J’aime la façon dont Catherine Soria dans le catalogue de l’exposition Quand la matière devient forme (juin 2016) définit mon travail comme un « anti- Body art dont le corps est absent et toutefois présent par évocation. »

Malgré l’absence de corps, on ressent toutefois une présence…

Je n’utilise jamais d’artifices pour donner du volume aux vêtements que j’expose. L’accrochage concourt uniquement à la mise en espace. Si je parle du corps, celui-ci est absent. Dans la pièce Ab-Praesentia (2015), une multitude de cintres renvoie à l’imagerie médiévale des squelettes et plus précisément aux danses macabres. L’utilisation de manches de chemise, de jambes de pantalon, de cintres, marque à la fois une présence et une absence. On m’a fait récemment remarquer que mon travail porte sur les vides, les contours et les limites. Une réflexion qui m’a d’abord intrigué mais que je trouve au final très juste, notamment par rapport aux Hiérarques (2014-2016).

Peut-on dire que tes œuvres sont sexuées ?

La sexualité, tout comme la sensualité, se manifeste par cette envie souvent irrépressible de toucher. Cet aspect tactile provoque un rapport de séduction/aversion qui est toujours présenté le plus simplement possible afin de mettre en exergue cette dualité.

Quelles sont les grandes préoccupations qui animent ta pratique ?

Trois aspects sont importants dans mon travail. Le premier est sociétal. Avec la série des Hiérarques, je parle des relations aux hiérarchies entre les sexes, entre corps et âme, à l’autorité, et introduis, avec la question du genre, de l’homosexualité, l’idée d’une sexualité latente, ambiguë. 

Le deuxième, qui d’ailleurs s’impose de plus en plus, est l’aspect médiéval. Mais je ne me considère pas comme un médiéviste, mais comme un médiévaliste. J’emprunte des références sur la période qui court de la chute de l’Empire romain jusqu’à la découverte de l’Amérique. J’aborde cette époque exclusivement par le prisme des études d’historiens comme Duby, Pastoureau ou Le Gof, pour ne citer qu’eux. J’utilise par exemple, des motifs médiévaux comme les crevées, je reprends la forme d’une meurtrière, Résilience (2016) et je leur réattribue une charge sacrale tout en les actualisant et les affirmant dans le présent. Les éléments que je mets en correspondance sont à la fois symboliques, archétypaux et liminaux. Le troisième porte sur le médical. Je travaille avec des vêtements médicaux, des chemises de chirurgien, des pantalons d’infirmier, des aiguilles d’insuline. Ces derniers éléments justement se rejoignent dans la pièce Eva Insula (2016) ayant la particularité d’être agglomérée de plus de trois cents aiguilles d’insuline et formant un bouclier où se rejoignent plusieurs aspects d’une pathologie spécifique, le diabète, entre rituel, violence mais aussi survie. Mes œuvres sont le point de rencontre entre ces trois intérêts qui se retrouvent par tout un système de stratification.

Tes travaux nécessitent souvent la répétition d’un même geste…

Mon travail est très ritualisé. Je me conditionne afin d’être capable de passer au minimum une dizaine d’heures par jour à planter des épingles, enfiler des perles, coudre… sachant que le geste peut durer d’une semaine complète jusqu’à près d’un caractère performatif/méditatif. D’une certaine manière, je me désincarne, je me perds littéralement. J’accède par ce travail sur la particule à une forme de TOUT spirituel qui rappelle la philosophie spéculative de Saint Anselme ou de Hildegarde de Bingen. La pièce Dyade (2016), présentée à l’exposition Méditerranéa 17 au Château de Servières à Marseille, exprime dans un premier temps, un instrument de torture fictif, celle de la Vierge de Nuremberg, et par la suite le cercle symbolise ce TOUT macrocosme tandis que les épingles représentent les particules, le microcosme. Le nombre d’épingles utilisées n’est pas si important car elles relèvent plus pour moi de la parure. Elles donnent au vêtement une préciosité mais aussi et surtout une agressivité. Je travaille avec la Maison Bohin, une maison française qui me mécène pour toutes les épingles dont j’ai besoin. 

« L’utilisation d’épingles répond à la nécessité de respecter l’intégrité du médium. Si je perclus des vêtements d’épingles, c’est parce qu’ils en sont pourvus au départ pour conserver leur forme. » 

Résultat de perpétuelles transfigurations, tes œuvres acquièrent une dimension à la fois matérielle et spirituelle…

La dimension spirituelle voire même sacrée dans sa finalité, s’affirme par l’association du noir et du blanc, par la lumière et par la suspension des pièces. Mais c’est ce que fait déjà l’art contemporain en quelque sorte avec le white cube immaculé, même si certains artistes veulent en sortir… Je compare d’ailleurs mes pièces à des reliques ou des ex-voto. En conditionnant ces vêtements dans l’espace d’exposition, en les suspendant ou les présentant sur des socles, je les sacralise.

Un passage du terrestre au spirituel que l’on retrouve aussi dans la figure du col…

Mon travail sur le col renvoie au cou, une partie fondamentale du corps au Moyen Âge et encore aujourd’hui. C’est l’élément qui sépare la tête du corps, la pensée et le matériel. Il est le siège des morts les plus atroces : strangulation, décapitation, étouffement, pendaison. De manière antinomique, il est aussi le lieu où se jouent toutes les séductions et où se placent les parures les plus somptueuses aussi bien masculines que féminines. Le col blanc est donc la pièce la plus chargée en codes sociaux et parle de cette espèce d’appartenance, par la tradition de la chemise, à la hiérarchie masculine. 

Texte Valérie Toubas et Daniel Guionnet initialement paru dans la revue Point contemporain #4 © Point contemporain 2017

 

Floryan Varennes.
Né en 1988 à La Rochelle.
Vit et travaille à Toulon et Paris.   

www.floryanvarennes.com

 

Floryan Varennes, Eva Insula, Technique Mixte, 25 cm, 2016
Floryan Varennes, Eva Insula, Technique Mixte, 25 cm, 2016

 

Floryan Varennes, Dyade, Technique Mixte, 40 cm de diametre, 2016.
Floryan Varennes, Dyade, Technique Mixte, 40 cm de diametre, 2016.

 

Floryan Varennes, Hiérarques, technique mixte, dimentions variables, 2015
Floryan Varennes, Hiérarques, technique mixte, dimentions variables, 2015

 

 

Visuel de présentation : Floryan Varennes, Hiérophanie, 2017. Cols de chemise, perles de rocaille noire, 20 x 30 cm. Vue de l’exposition Dorica Castra, Pollen.

 

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