JEAN-BAPTISTE LENGLET, NIVEAUX DE DÉTAIL 

JEAN-BAPTISTE LENGLET, NIVEAUX DE DÉTAIL 

ENTRETIEN / Jean-Baptiste Lenglet à l’occasion de son exposition personnelle « Niveaux de détail » jusqu’au 12 juin 2022, aux Instants Chavirés à Montreuil et Guillaume Constantin, artiste et curateur arts visuels attaché aux Instants Chavirés.

Procédure, peinture et bruits d’eau 

Guillaume Constantin / J’ai découvert ton travail à l’occasion d’une exposition organisée par Point contemporain en 2017, pour le lancement du numéro 4 à la Under Construction Gallery, tu étais présent avec le Virtual Dream Center (1), ce centre d’art virtuel que tu as initié et qui m’avait frappé à l’époque. Là, pour « Niveaux de détail », ton exposition personnelle aux Instants Chavirés (2), on découvre plus conséquemment ton travail autour de la céramique mais le plus étonnant est cette sorte de continuum que tu déploies entre celles-ci et les espace plus virtuels que tu pratiques usuellement, comment as-tu abordé cette exposition ?

Jean-Baptiste Lenglet / Pour « Niveaux de détail », j’ai essayé d’intégrer mon expérience de l’exposition virtuelle, que je développe depuis plusieurs années avec Virtual Dream Center, à l’intérieur d’une exposition « réelle ». Cela passe par une logique d’évènements, qui est disséminée à travers l’accrochage des oeuvres. Par exemple, c’est ce que l’on a fait avec l’écrivain Jérôme Guitton (3), avec qui j’ai collaboré dès l’origine du projet. Dans l’exposition, on entend sa voix dans l’espace qui récite un poème procédural. Il a appréhendé son médium, la poésie, par le biais d’une logique plus spécifique aux moteurs de jeu vidéo.

GC/ Qu’entends-tu par poésie « procédurale » ?

JBL / Jérôme a écrit une poésie arborescente, non linéaire, qui est codée de manière informatique. Les enchaînements entre les différentes séquences de texte sont aléatoires, dans la tradition de l’Oulipo mais d’une manière contemporaine, par le biais d’un séquençage génératif. Ainsi c’est le texte qui sous-tend l’exposition « Niveaux de détail », qui fonctionne comme une voix-off. J’ai aussi travaillé avec Oswald Pfeiffer (4), qui a conçu la bande-son de l’exposition. C’est une dimension importante du projet : il y a l’image et le son, comme dans un jeu-vidéo ou une vidéo.

GC / La collaboration, c’est vraiment une chose que tu mets au centre de ton travail ? Comme celle avec Jessica Boubetra (5) et de l’Atelier Lumierrante (6) ?

JBL / J’envisage cette exposition comme une sorte de film, et à ce titre, que ce soit un travail d’équipe. Oswald a emmené la partie sonore dans une direction différente que ce que j’imaginais, et c’est ce qui est intéressant dans la collaboration : cela ouvre le projet. Cela a aussi été le cas avec Jérôme, et avec Jessica bien sûr, qui a créé les émaux de toutes les céramiques, ce qui est déterminant dans l’exposition. Ce qui est intéressant aussi dans les collaborations, c’est que cela provoque des accidents, des imprévus.

GC / Tu veux dire que les choses ne sont pas totalement écrites ?

JBL / C’est-à-dire que quand Oswald m’envoie la bande-son, je la découvre et il me surprend. Il a interprété mes indications d’une manière personnelle et créative. C’était la même chose avec Jérôme, qui s’est vraiment prêté au jeu de la déconstruction de son travail poétique. Il a fait un travail de découpe mot par mot, phrase par phrase, jusqu’à obtenir une multitude d’unités de langage. Il a ensuite fait ce travail considérable de composition, de codage informatique, qui a abouti à ce mode de lecture tout en arborescences.

GC / Toutes tes pièces ont assez classiquement un titre, est-ce déjà un jeu narratif pour toi ? ou est-ce que ça vient en plus ?

JBL / Pour moi il y a deux niveaux de lectures des pièces. Le premier serait raccordé au récit déconstruit que l’on a mis en place avec Jérôme, où les sculptures sont des éléments de l’installation. Et le deuxième niveau de lecture, c’est les pièces prises individuellement, dans leur réalité sculpturale. Par exemple, la colonne du fond s’appelle « Perles », ce qui renvoie tout simplement à un collier de perles, les modules étant comme des perles empilées.

GC / Il y a aussi dans l’exposition, des QR codes, des éléments de réalité augmentée, qu’est-ce qui t’intéresse dans ce type d’interface?

JBL / La réalité augmentée m’intéresse beaucoup, notamment en contraste avec la réalité virtuelle, qui nécessite un dispositif plus lourd. Avec la réalité augmentée, chacun peut télécharger l’application sur son téléphone et l’activer. Dans l’exposition, l’application en réalité augmentée me permet de présenter l’envers du processus créatif, en intégrant une version de travail de la colonne Diffraction déjà présentée.

GC / C’est assez intéressant de voir ces éléments de maquette réapparaître via écran dans l’expo ou via réalité augmentée, ça boucle un peu ton propos et cette idée de circulation des formes. Il y aussi cette peinture ,un peu plus ancienne, qui me parait être très différente du reste bien que proche par les matériaux qui la constituent. J’ai l’impression que la peinture est une question centrale dans ton approche tout en paraissant très éloignée des outils que tu emploies usuellement, fais-tu clairement une différence entre l’acte de peindre et celui de faire des objets en 3D, imprimés et en couleur ? 

JBL / Pour moi la peinture est un archétype. D’une certaine manière l’exposition tend globalement vers une forme picturale, c’est comme une grande peinture, ou une peinture mise en espace. Ainsi l’oeuvre c’est vraiment l’installation, chacune des pièces peut avoir son unicité mais elles sont toutes prises dans l’installation. Pour répondre à ta question, il y a du pictural dans les céramiques comme dans les vidéos et cette peinture, je l’ai aussi mise parce qu’elle a une charge narrative particulière.

GC / Oui, par le biais de son titre notamment, Tournage d’un film expérimental (2019).

JBL / Elle renvoie à l’ensemble de l’exposition, il y a une sorte de colonne qui est figurée et une créature aussi !

GC / Un autre paradoxe apparaît dans ton travail entre la grande technicité du process de réalisation d’une céramique, surtout ces colonnes et le caractère de cette peinture sur verre dont on vient de parler, est-ce que tu revendiques cette forme de non-virtuosité ?

JBL / J’aborde la peinture par le biais de techniques qui obligent à une expression brute, non-virtuose. Par exemple dessiner au Kärcher, en sérigraphie, ou au couteau, en céramique.

GC / Pour moi, je retrouve une forme de Manièrisme dans ton travail, non au sens péjoratif, mais plus historiquement au sens où les artistes au milieu du 16e siècle se mettent à mouler à nouveau leurs propres sculptures et motifs et les additionner pour en amplifier les effets. Es-tu d’accord avec cette idée que le travail en 3D contient, permet, quelque chose d’assez baroque ? 

JBL / Je pense que dans le jeu vidéo, il y a de l’art total. Après, sur la question de l’esthétique, j’essaye de faire quelque chose en effet d’assez baroque.

GC / C’est aussi dans ce sens que ton travail se rapproche du cinéma, en tout cas d’une forme audio-visuelle qui en contient tous les ingrédients : scénario, décor, lumière, son … et du coup, cette question du son, ce n’est pas qu’un décor, elle me semble importante chez toi. 

JBL / Effectivement, la bande-son d’Oswald est très importante car elle change la perception des sculptures et de l’exposition. Le son de rivière a été central dans le processus créatif de l’exposition, il a dirige la perception des pièces, insuffle un sens.

GC / C’est un fil conducteur de plus, l’eau qui amène le mouvement, la flottaison des sculptures !

JBL / D’ailleurs par rapport à cette question d’art total dont tu parles, la musique donne une dimension cinématographique à l’exposition. C’est une dimension expressive qui m’intéresse, d’autant plus aux Instants Chavirés, où ça donne encore plus de sens par rapport à l’histoire du lieu.

GC / Pour finir, tu peux nous en dire plus sur cette notion de « Niveaux de détail » qui donne le titre de ton exposition ?

JBL / C’est un terme technique utilisé dans les jeux vidéo, pour décrire un état de définition des modèles 3D. Quand un modèle 3D est petit à l’écran, pour économiser de la puissance de calcul, on lui attribue un faible niveau de détail. Et à l’inverse, quand un modèle 3D est grand dans l’image, il a un niveau de détail optimal. Dans cette exposition, j’ai utilisé ce terme d’une manière non littérale, plus comme une métaphore. Cela m’intéressait à l’origine comme principe de montage, pour faire apparaître et disparaître des éléments non pas par cut, comme dans une vidéo, mais plutôt selon un positionnement dans l’espace. Et puis j’aime aussi le principe d’échelles à laquelle ce terme renvoie : de zoom et de dézoom.

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(1) https://virtualdreamcenter.xyz/fr/
(2) https://www.instantschavires.com/jean-baptiste-lenglet-niveaux-de-detail/
(3) http://www.jerome-guitton.info/wordpress/
(4) https://oswaldpfeiffer.bandcamp.com/
(5) http://www.jessicaboubetra.com/
(6) http://atelier-lumierrante.com/

Jean-Baptiste Lenglet, exposition personnelle « Niveaux de détail », aux Instants Chavirés, Montreuil
Jean-Baptiste Lenglet, exposition personnelle « Niveaux de détail », aux Instants Chavirés, Montreuil
Photo Aurélien Mole
Jean-Baptiste Lenglet, exposition personnelle « Niveaux de détail », aux Instants Chavirés, Montreuil
Jean-Baptiste Lenglet, exposition personnelle « Niveaux de détail », aux Instants Chavirés, Montreuil
Photo Aurélien Mole
Jean-Baptiste Lenglet, exposition personnelle « Niveaux de détail », aux Instants Chavirés, Montreuil
Jean-Baptiste Lenglet, exposition personnelle « Niveaux de détail », aux Instants Chavirés, Montreuil
Photo Aurélien Mole
Jean-Baptiste Lenglet, exposition personnelle « Niveaux de détail », aux Instants Chavirés, Montreuil
Jean-Baptiste Lenglet, exposition personnelle « Niveaux de détail », aux Instants Chavirés, Montreuil
Photo Aurélien Mole

Finissage de l’exposition dimanche 12 juin de 15h à 20h :
Présentation du Virtual Dream Center 6.0 
avec les nouvelles expositions de GUILLAUME CONSTANTIN : « PANOPTIKUM III », JIHYE JUNG et EMMANUEL EGGERMONT : « ABERRATION », OSWALD PFEIFFER x SDRN : « HYPER SHINJUNKU » & FELICIE VITRAI : «  SLURP » avec en invités ce jour-là les artistes Benoît Aubard, Tallulah Cassavetti, Antoine Liebaert & Elise Vandewalle ainsi qu’un live in situ de STAYFLO à 17h

INSTANTS CHAVIRÉS / ANCIENNE BRASSERIE BOUCHOULE
2 Rue Emile Zola – Montreuil – M°Robespierre
Entrée libre !