[FOCUS] Quentin Lefranc, Fragments

[FOCUS] Quentin Lefranc, Fragments

Focus sur l’oeuvre, Fragments (Triptyque) de l’artiste Quentin Lefranc présentée lors de l’exposition annuelle Jeune Création 66ème édition, du 17 au 24 janvier 2016, Galerie Thaddaeus Ropac Pantin.

Oeuvre : Fragments (Triptyque), bois, laque acrylique et voilage polyester, 2016.

Artiste : Quentin Lefranc est né en 1987. Il vit et travaille à Paris.

Quentin Lefranc met à l’épreuve la peinture, décortique par le langage et des dispositifs spécifiques, les différents éléments qui définissent le tableau. Surfaces, lignes, effets de perspectives, mais aussi châssis, toile, mur, accrochage… il analyse les composantes qui mettent en situation le regard du spectateur pour capter un seul niveau de lecture qui est celui de l’image et nous faire oublier tout le reste.
Quentin Lefranc interroge aussi le devenir d’une peinture présentée dans un tableau réduit à son seul langage formel, une peinture « a minima » qui, née du dessin, acquiert une matérialité non pas par la succession de touches mais par la mise en place des éléments qui la composent. Une peinture qui devient alors un dispositif…

Propos de Quentin Lefranc recueillis le 15 janvier à l’occasion de la 66ème édition de Jeune Création à la galerie Thaddaeus Ropac :

« L’installation du triptyque Fragments est une réflexion sur ce qu’est une peinture et un tableau. La définition du mot « peinture »,  peut se réduire à une toile tendue sur un châssis. Le « tableau » renvoie quant à lui à l’idée d’un dessin abstrait ou figuratif qui fait apparaître un espace sur un plan.

Le triptyque Fragments, comme d’ailleurs toutes les pièces que je réalise, questionne la manière dont apparaît l’image picturale dans l’œuvre d’art, qu’elle soit de ma propre production ou de celle d’un autre artiste.

L’idée de présenter le dispositif en trois parties, à la différence de l’exposition Pictures seemed not to know how to behave à la Galerie Jérôme Pauchant où je n’en présentais qu’une, me permet de montrer que la perspective n’est pas en soi un motif. Je mets en avant tout un système codifié dont les éléments sont interdépendants. Ainsi, les espacements entre les châssis sont fixes pour que le motif du dessin soit respecté. Un ordre entre les pièces, qu’il n’est pas possible d’inverser, est établi créant un rapport complexe, entre dépendance et indépendance, des pièces entre-elles.

Dans mon dispositif, les toiles sont transparentes. Rendu apparent, le châssis reprend le dessin en perspective et fait apparaître l’image.

 

Quentin Lefranc, Fragments (Triptyque), exposition annuelle Jeune Création, Galerie Thaddeus Ropac Pantin
Quentin Lefranc, Fragments (Triptyque), exposition annuelle Jeune Création, Galerie Thaddeus Ropac Pantin

 

Par la position des toiles entre le sol et le mur, je pose la question de la perspective. Le placement des œuvres contre le mur, presque à la verticale, est précisément choisi pour se rapprocher des perspectives utilisées dans certains tableaux par les maîtres hollandais. La perspective italienne, est quant à elle très souvent horizontale, avec un point de fuite très bas, qui se prolonge très loin et se perd dans l’infini. À la différence, les scènes d’intérieur des peintres hollandais comme Pieter de Hooch ou Vermeer, montrent de petits espaces clos et la perspective nous place généralement très près du fond du tableau. Je trouve intéressant de regarder les deux en même temps et de se dire que les maîtres hollandais avaient déjà compris que la perspective était un système mental et qu’elle avait une fin.

D’autre part, comme dans l’ensemble de mes travaux, je mets en scène un danger, un déséquilibre, une idée de « dé cassé » qu’il faut rejouer. L’oblique, un positionnement par définition bringuebalant, introduit la notion d’une image en perpétuel équilibre, le regard ne cessant de passer de l’image en tant que motif à un système de lignes.

Un tableau a toujours été pour moi quelque chose de mental plutôt qu’une représentation du réel. Je considère l’image comme quelque chose de pensé, de fabriqué, avec un sens, une cosa mentale (1).

Dans certains tableaux, comme la Vénus de Titien (2) où la perspective est trop haute, on sent toute la part de fabrication, du passage par l’atelier (la Vénus est posée sur des matelas au sol). Une représentation n’est que l’association d’éléments distincts, un patchwork d’idées qui s’assemblent pour faire au final une image qui donne l’illusion d’être cohérente. Il ne s’agit pas d’une reproduction réelle. Pour y tendre, les Hollandais ont eux utilisé des chambres noires afin de composer des espaces parfaits.

L’image est une structure, une circulation dans la surface de la toile et dans l’espace du tableau, avec des jeux de pleins et de vides.

J’ai apprécié que le triptyque soit présenté par les scénographes de Jeune Création sur un mur en bois et non de manière conventionnelle sur un mur blanc, d’autant plus que le sol est brut et lisse. J’aimerai prochainement présenter le dispositif sur un mur de couleur vive afin d’accentuer cette idée de peinture.

Quentin Lefranc, Fragments (Triptyque), exposition annuelle Jeune Création, Galerie Thaddeus Ropac Pantin
Quentin Lefranc, Fragments (Triptyque), exposition annuelle Jeune Création, Galerie Thaddeus Ropac Pantin

 

Dans Fragments on est à la fois dans l’espace du tableau et dans l’envers du décor puisque le châssis peint en noir se voit par transparence au travers de la toile teintée. Les jeux de lumière accentuent l’opacité de la toile, et rendent plus ou moins apparent la structure du châssis. Ainsi, quand on se positionne sur le côté, la toile devient totalement noire et on est dans le plan de la peinture, dans la surface de la toile. »

(1) « La pittura e cosa mentale » (« La peinture est une chose de l’esprit »), Léonard de Vinci.

(2) Titien, La Vénus d’Urbin, (1538),Huile sur toile, (119×165), Galerie des Offices, Florence.

Pour en savoir plus :

quentinlefranc.com

jeromepauchant.com