PAUL HEINTZ, DE FAÇADE [FOCUS]

PAUL HEINTZ, DE FAÇADE [FOCUS]

Paul Heintz développe un travail sur l’image et sur l’illusion qu’elle renvoie. Ces projets, vidéos et installations, amènent le spectateur, par glissements du sens et de la temporalité, de la réalité perçue ou établie, celle du monde de l’usine ou des zones pavillonnaires, vers une forme d’irréalité. Le passage de l’une à l’autre se fait par l’insertion de séquences de pure fiction dans des films qui pourraient donner l’illusion de revêtir un caractère documentaire. Paul Heintz ne cesse de nous rappeler que l’image est une construction, et que les spectateurs, conscients de la supercherie, aiment s’abandonner à leur défilement. Pour le projet De Façade, oeuvre produite par le Fresnoy, Studio national des arts contemporains, l’artiste revient aux origines du cinéma, à sa dimension mécanique.

« Après le film Non Contractuel (2015), De Façade est le deuxième projet que je réalise dans le cadre de ma formation au Fresnoy. Pour cette installation, je me suis intéressé à un bâtiment situé au 145, Rue Lafayette à Paris qui est de type haussmannien classique avec ses fenêtres, ses corniches et ses ferronneries caractéristiques, mais qui n’est en réalité qu’une façade abritant un système de ventilation pour le réseau ferré souterrain qu’il jouxte.

J’ai abordé l’élaboration de ce projet de la même manière que si j’avais voulu réaliser un documentaire sur ce lieu. J’ai effectué des recherches, étudié le façadisme et ses prolongements dans le cinéma, notamment à travers l’utilisation de décors. J’ai à ce propos rencontré Michel Vandestien qui a travaillé avec Léos Carax sur les décors du film Les Amants du Pont-Neuf et qui amène un regard particulier sur ce projet. J’ai mené tout un travail d’investigation en interrogeant le voisinage et les anciens propriétaires de cet immeuble qui fut aussi un hôtel.

Si cette approche m’a permis de mettre en place ce projet, mon idée a toujours été de m’éloigner d’une production documentaire afin d’aborder ce travail selon des axes de réflexions qui traversent toute ma production, notamment sur les thématiques de l’illusion qui naissent de la fiction avec la question de la frontière entre réel et imaginaire, du décor, du cycle…

La particularité de cette installation est qu’elle ne mobilise aucune image cinématographique. Elle est constituée d’un couloir d’environ quatre mètres de longueur au fond duquel les visiteurs peuvent voir une structure métallique sur laquelle défile comme sur un écran travelling vertical une façade d’immeuble. Elle renvoie, par un principe d’illusion, à la naissance même du cinéma. 

La façade est matérialisée par un bas-relief blanc découpé au laser en polyéthylène qui est placé sur un tapis roulant mis en rotation par une machinerie composée de plusieurs rouleaux. Une fois mis en route, le système fonctionne en boucle donnant l’impression, depuis la face avant, d’une descente continue. J’ai voulu que l’aspect mécanique de l’installation, moteur, courroies, soit visible.

En partant de ce bâtiment qui est pour le passant un immeuble comme un autre, j’ai voulu parler aussi du cinéma, du trucage et du décor. Un travail sur le jeu des apparences que j’ai abordé dans le film Non Contractuel dans lequel j’ai associé des prises de vues de situations vécues par des chercheurs d’emplois à des scènes inventées. Une manière de faire glisser l’image, du réel vers la fiction, par un mouvement de translation. 

L’image animée porte en elle l’illusion, rend réel le décor et la scène qu’elle accueille.

Le glissement permet aussi de mettre en place la notion de cycle. Cette idée de tourner en boucle est aussi très liée à la question de la perte de sens ou du mensonge. L’illusion est avant tout un mensonge car ce qui est montré ici, la façade d’un immeuble, est en réalité tout autre chose. C’est ce mensonge qui ouvre sur un imaginaire, fait entrer le spectateur sur des territoires fictionnels, soit en racontant une histoire, soit en laissant ouvert le récit. 

L’installation est accompagnée d’un dispositif sonore composé de deux enceintes placées sur l’entrée du couloir et deux autres à proximité de la machine. Elles retransmettent des sons, des fragments de conversations, des voix qui tentent de définir ce lieu, des morceaux d’enregistrements de gens du voisinage qui décrivent la façade. Certains la décrivent telle qu’elle est, d’autres s’aventurent dans des hypothèses de ce qu’elle pourrait être à l’intérieur. L’ancienne gérante de l’hôtel qui connaît bien l’immeuble se demande ce qu’il abrite désormais. Le tout donne l’impression d’un ensemble de voix qui tente de définir une forme architecturale qui leur échappe. 

À ces témoignages, j’ai ajouté des sons supplémentaires que j’ai enregistrés soit à l’intérieur de la structure soit dans la rue. Des sons liés à l’environnement urbain, comme ceux d’escalators, les sons métalliques du RER, des crissements de frein, des voitures qui semblent passer très loin, que j’ai mixés, travaillés en boucles et en répétitions. Le tout compose une sorte de musique un peu bruitiste. Je n’ai pas voulu juxtaposer les témoignages des gens interrogés, ni restituer l’environnement sonore de l’immeuble. J’ai trouvé important de déstructurer le tout et de laisser ouvert le récit. Ainsi, il n’est jamais question de l’immeuble de manière factuelle dans l’installation. Un moyen d’éviter la narration pour ne pas l’ancrer dans le réel ni non plus dans l’invraisemblable. 

Avec cette matière sonore, je veux placer le visiteur dans ce récit qu’il constitue peu à peu en assemblant une somme d’éléments, qu’il rejoue en quelque sorte l’investigation que j’ai moi-même menée.

La « projection » cinématographique se fait dans le sens où le spectateur est placé dans un territoire fictionnel. Je fais d’ailleurs varier la lumière sur le tapis en déplacement en fonction des sons perçus. J’ai trouvé plus intéressant d’entendre ce lieu que de le voir, le son complète l’image qui se fait dès lors le réceptacle d’un imaginaire. » 

Propos de Paul Heintz initialement publiés dans la revue Point contemporain #2 © Point contemporain 2016

 

POUR EN SAVOIR PLUS SUR L’ARTISTE

 

 

Visuel de présentation : De Façade (détail), 2016. Installation mécanique et sonore, 190 x 110 x 80 cm. Courtesy Paul Heintz et Le Fresnoy. Photo : Xenophon Tsoumas.