STEVEN LE PRIOL

STEVEN LE PRIOL

Steven Le Priol, Substitution (faux masque de Michael Myers), huile sur papier entoilé, 10×13 cm, 2021.

PORTRAIT D’ARTISTE / Steven Le Priol
Par Maya Trufaut

DANS LE CADRE DE COOPÉRATIVE CURATORIALE HORS LES PAGES

Artiste insaisissable aux multiples facettes, Steven Le Priol aime jouer de l’aspect énigmatique de sa création et de sa personnalité. Son travail est peuplé d’histoires, de mythes, qu’il s’amuse à nourrir en mêlant le vrai au faux. Il s’approprie des registres préexistants qu’il détourne et réinvente afin de mieux brouiller les pistes. En usant d’ingénieux artifices, il fait de son art un double fictif du réel.

Steven Le Priol est un observateur ; il regarde et scrute tout, dans le moindre détail, pour mieux s’en emparer dans sa pratique. Que ce soit dans la vie, ou dans les arts, il a le goût de la mimèsis. En empruntant une technique, un style, son travail a quelque chose de l’ordre du pastiche. Pourtant, rien n’est vraiment similaire. Quand on pense avoir reconnu de quoi il s’agit, on saisit soudain l’erreur : tout n’était en fait qu’un leurre.

Ainsi, dans sa série Substituts entamée en 2019, l’artiste se prête au jeu de l’imitation en reproduisant en peinture aussi bien des personnalités publiques, que des fleurs et des plantes, sans hiérarchie de genre. Si les tableaux révèlent quelques étrangetés, c’est qu’il choisit de ne travailler qu’à partir de faux modèles ressemblants aux originaux, allant des sosies, aux sculptures en pierre et aux statues de cire. Cette mise en abyme, ces reproductions de reproductions, lui permettent de tromper le regard du spectateur, inévitablement pris au piège d’une ressemblance approximative.

Cet art du faux-semblant, Steven Le Priol le cultive. Quand ce n’est pas la réalité qui est faussée, c’est la fiction qui prend la forme du réel. En 2019, il initie un projet de roman, Substitution, dont il occulte volontairement le récit ; il n’en subsiste que des notes, commentaires, photographies et illustrations créés de toute pièce. L’artiste imagine un narrateur homodiégétique, qui aurait décrit un passage de sa vie avant de disparaître. Le travail de documentation serait une reconstitution réaliste de son histoire. Le roman devient une matière, lui offrant ainsi la liberté d’interroger la notion de factualité et de fictionnalité dans les arts visuels.

En semant le doute, en créant la confusion autour des faits qu’il expose et des sujets qu’il explore, il s’applique à entretenir un mystère sur ses œuvres mais aussi sur lui-même. Steven Le Priol ne se dévoile jamais complètement et joue d’ailleurs avec le flou qui règne autour de son identité. Dans 1972/2011, il se représente allongé, gisant, sous la forme d’une statuette en résine, réalisée à la manière d’une porcelaine. Mort ou vivant, on ne peut le dire vraiment : l’artiste use du registre funèbre sans pour autant le rendre trop évident. Il répond aux inexactitudes biographiques trouvées sur sa propre existence et reprend ainsi, avec humour, le contrôle de son image.

Accéder à ses œuvres, c’est renoncer à rationaliser, démystifier, comprendre. C’est accepter de se laisser porter vers une autre réalité, celle de l’artiste : un imaginaire qui ne vient pas substituer mais imiter, parodier, et finalement bousculer notre prosaïque version du réel.

Maya Trufaut, assistant curator du CACN.