[FOCUS] Tom de Pékin, La Pisse des Titans

[FOCUS] Tom de Pékin, La Pisse des Titans

Focus sur l’oeuvre La Pisse des Titans de Tom de Pékin.

Oeuvre : La Pisse des Titans, technique mixte : pyrogravure, brûlure, photocopie, bois, papier, 50 X 70 cm, encadré sous verre, 2015

Artiste : Tom de Pekin vit et travaille à Paris. En tant que militant, artiste, graphiste et réalisateur, il s’intéresse aux rapports texte-image, aux détournements graphiques, il met en exergue l’assignation de genre qui conditionne les différents aspects de la vie sociale et en détourne les codes visuels.
En mars 2009 est parue chez Septembre Editions une importante monographie proposant une rétrospective de son œuvre (2000-2008), couplée à une présentation des différentes procédures utilisées dans son entreprise de contre-propagande queer. Ses films sont un prolongement de son travail graphique, qu’il s’agisse d’un film d’animation ou d’un film autour d’artistes vivants. Actuellement il réalise plusieurs films en collaboration avec des chorégraphes, performeurs, acteurs … autour de l’oeuvre de Alfred Jarry Haldernablou qu’il a illustré, cet ouvrage a été édité par les éditions United Dead Artists.

Exposition : Furiosité, sous le commissariat de Julie Crenn, du 05 septembre au 24 octobre 2015, galerie Frédéric Lacroix, 13 Rue Chapon, Paris

Artiste pluridisciplinaire Tom de Pekin a une prédilection pour le multiple, un goût pour les déclinaisons, qu’il développe avec Guillaume Dégé lorsqu’ils fondent leur propre maison d’édition, Les 4 Mers (1994-2002).
Quant la commissaire d’exposition Julie Crenn l’invite à travailler à partir du médium de la gravure sur la notion de « furiosité », l’artiste Tom de Pekin voit l’opportunité d’aborder le multiple sous un angle nouveau. L’œuvre qu’il produit porte en elle une « furiosité » tout en mettant l’accent sur les thématiques qui traversent son corpus d’œuvres, en particulier celles du corps, de la masculinité.

Propos de Tom de Pékin recueillis le 02 octobre 2015 :

« La gravure est un médium qui m’intéresse depuis longtemps en raison de l’histoire éditoriale que j’ai eue avec la maison d’édition que nous avons créée avec Guillaume Dégé,  Les 4 Mers, nous réalisions certains ouvrages destinés à être imprimés en xylographie à Pékin.

Quand Julie Crenn m’a proposé de participer à l’exposition Furiosité dédiée à la gravure, je me suis posé la question de ce qu’était aujourd’hui la gravure pour moi. Je la perçois non comme une pratique mais comme une représentation d’images liée à une technique que j’apprécie beaucoup mais qu’actuellement je n’utilise pas. J’ai en revanche utilisé la sérigraphie pour diffuser mes travaux.

Cette commande m’a permis de rebondir sur des champs auxquels je n’aurais pas forcément pensé. J’ai apprécié le fait de l’intégrer dans mon univers artistique afin de trouver un point de rencontre.

En réponse à cette proposition, j’ai mixé cette gravure et sa reproduction, ses sources iconographiques, son sujet mythologique la Titanomachie (1) avec des jeux érotiques pratiqués par une communauté masculine. Le combat, la violence et une foi transgressée se transforment en une « source » de plaisir et de liberté.

Je n’ai pas voulu me mettre à la gravure car cela m’aurait demandé une pratique et une connaissance technique que je ne maitrise pas. Je voulais parler du fait que j’aime les gravures et de mon attirance pour les gravures du XVIIe et du XVIIIe s. J’ai demandé à Guillaume Dégé de me trouver une gravure de cette époque, dont le thème se rapprocherait d’une vision de l’enfer. Il m’a ramené une image gravée du XVIIIe s, très belle, une réimpression sur un papier XIXe s. La gravure portait deux indications : en bas à gauche le nom du graveur et à droite celle de l’artiste qui inventa la scène(2).

J’aime l’idée de cheminement inhérente à la gravure, le fait d’être en affiliation avec d’autres artistes en travaillant sur la même image. La gravure a longtemps été l’un des principaux moyens de reproduction permettant de faire connaître et circuler les images à travers l’Europe. Pierre Paul Rubens (1577-1640) a exécuté un dessin conservé au département des arts graphiques du musée du Louvre (cabinet des dessins) et une peinture exposée au musée d’Art royal ancien de Bruxelles dont le sujet est une évocation du thème de La Chute des Titans inspiré de Giulio Romano. La gravure de Philipp van Gunst est très proche du dessin de Rubens, la scène est réalisée en sens inverse, la technique d’impression crée ce rendu, le multiple propose une vision miroir de l’unique.

Le fait que la gravure m’ait été offerte, que je n’en ai pas choisi le motif, introduit une part de jeu. Je me suis demandé ce que j’allais faire de cette histoire, de cette représentation masculine datant du baroque avec toute l’influence de la Renaissance Italienne.

J’ai utilisé dans ce travail une technique qui m’est propre, la pratique du sample et du remix : j’ai scanné la gravure, l’ai agrandi puis j’ai rassemblé et fixé à la manière d’un puzzle chacune des impressions laser afin que la taille finale corresponde à un cadre ayant un fond en bois que je possédais. J’ai retrouvé ainsi l’image de la gravure agrandie fixée sur le bois, je l’ai pyrogravée, j’ai détouré les silhouettes ce qui rejoint cette idée de déchirure et de brûlure.

Le procédé de la pyrogravure est une pratique qui me renvoie à mon enfance. J’ai utilisé la maladresse de mon geste de graveur/brûleur et essayé de trouver une forme de liberté. L’odeur du papier et de l’encre laser, me rappelait ce souvenir d’enfance ou l’on brûlait au fond du jardin les plans de l’atelier d’architecture qui occupait le premier étage de la maison familiale. Giulio Romano était aussi architecte, il élabora pour Frédéric II de Mantoue (1500-1540), l’architecture et la décoration du Palazzo Te où figure la salle des Géants.

Les rochers élégants, légers, de facture maniériste de Giulio Romano trouvent poids, déchirure, dureté sous le dessin de Rubens pour se transformer en un drapé rigoureux à la Philippe de Champaigne sous la main du graveur Philipp van Gust. En voulant redonner avec l’aide de la pyrogravure une dimension spatiale à la représentation de ces rochers, j’ai réalisé que le rendu se rapprochait de la matière fécale, la foudre des dieux ici se transformait en une farandole scatologique…
La scatologie est un thème que l’on retrouve couramment comme sujet dans les gravures populaires du XVIIe et XVIIIe s. Giulio Romano a réalisé une suite de dessins érotiques, inspirés des amours des dieux, provoquant les foudres vaticanes et condamnant l’un de ses graveurs Marcantonio Raimondi (1480-1534) à une courte peine de prison.

Un exemplaire de la gravure originale de Philipp van Gunst est conservé au British Museum, en haut à droite de l’estampe l’inscription « The Blood of the Giants gives Birth to a new Race of Men » : « Le sang des Géants donne naissance à une nouvelle race d’hommes. » J’ai alors remplacé le mot « blood » par « piss » avec cette volonté d’intégrer une forme de jeu sexuel dans une communauté masculine inspirée de l’œuvre de Giulio Pippi.

Mon travail a toujours été lié à une forme de réappropriation puis à une modification des motifs, ou bien des images avec une pratique axée sur le collage. Pour ce projet, J’étais curieux de voir, tout en respectant la commande de la commissaire d’exposition, où cette gravure allait m’amener. J’aime ce moment où l’image produite, tout en gardant une identité, ici – celle de la gravure originelle – acquiert sa propre autonomie. »

(1)La Titanomachie (en grec ancien Τιτανομαχία / Titanomakhía, littéralement « combat contre les Titans ») est un épisode de la mythologie grecque racontant la lutte entre les Titans, première génération de dieux menés par Cronos, et Zeus, allié aux Hécatonchires et aux Cyclopes. La source principale est le récit qu’en fait Hésiode dans sa Théogonie. Source : wikipedia.org

(2)En bas, à gauche est inscrit Phil. A. Gunst shulp et à droite Jul. Romain inv. Il s’agit du graveur Hollandais Philipp van Gunst (1685-1732) et du peintre, architecte, décorateur italien Giulio Romano (Giulio Pippi), connu en France sous le nom francisé Jules Romain (1499-1546). La scène représentée est La Chute des Titans.

Gravures La Chute des Titans

 

 

Pour en savoir plus :
tomdepekin.tumblr.com
galeriefredericlacroix.com

Visuel tous droits réservés artiste et galeriste.