KATRIN KOSKARU, THE LINE OF LITTLE FIGURES

KATRIN KOSKARU, THE LINE OF LITTLE FIGURES

Vue de l’exposition « The line of little figures” de Katrin Koskaru
L’ahah #Moret
© Marc Domage/L’ahah

EN DIRECT / Exposition « The line of little figures » de Katrin Koskaru du 25 janvier au 28 mars 2020 l’ahah #moret, Paris

En raison des mesures exceptionnelles annoncées par le gouvernement et liées à l’épidémie de Covid-19  L’ahah est fermé au public jusqu’à nouvel ordre.

J’attendais des certitudes
__ Par Nina Leger

J’attendais des certitudes. J’ai traversé Paris avec mon carnet, un stylo et une pochette où conserver les documents qu’on me donnerait — j’escomptais une liste d’œuvres, peut-être des images ou le plan de l’exposition à venir, bref, la panoplie habituelle qui me permettrait d’écrire sur une exposition qui n’existait pas encore avec assez de précision pour que le moment venu, mes descriptions tombent sur les œuvres avec le naturel d’un vêtement bien taillé.

Mais en arrivant à L’ahah, j’ai vite compris qu’il n’y aurait pas de certitudes, encore moins de liste, d’images ou de plan. À la place : deux grandes toiles réalisées par Katrin Koskaru au cours des années précédentes. Je pouvais les observer, toucher le tissu fin et glissant dont l’artiste avait usé comme support. Ce tissu, m’a-t-on annoncé, serait l’élément principal de l’exposition, mais il ne fallait pas que je m’en tienne à ce que j’avais sous les yeux, sous les doigts, car sa texture et son apparence seraient métamorphosées : départi du châssis, il serait empesé, imprégné, vitrifié, augmenté, étoffé, devenu couleur et non plus support, devenu corps plutôt que fluide, architecture plutôt que plan.

J’avais approché l’art de Katrin Koskaru comme un art de motifs repris et fondus dans les teintes légères d’une abstraction picturale : voilà que les notions de motif, de reprise et d’abstraction sortaient ensemble du champ pour céder la place à des présences dont rien n’était encore décidé. Comment l’espace #Moret serait-il investi, quelles configurations, quelles tonalités, quelle atmosphère y découvrirait-on ? On ne le savait pas. Tout adviendrait par friction entre les matériaux rassemblés par l’artiste et les coordonnées du lieu. Une exposition-étincelle. Pourtant, il fallait écrire, dès à présent et sans plus d’indices, le texte qui l’accompagnerait. Les délais de relecture, les corrections éventuelles, l’impression et la distribution exigeaient l’anticipation. En somme, l’élément le plus immatériel de l’exposition – son texte – ne pouvait échapper aux pesanteurs dont l’œuvre s’était défaite.

Il fallait écrire avec pour seule matière l’idée d’un tissu, ou plutôt l’approximation de ce que ce tissu pourrait devenir. Il fallait abandonner les promontoires du texte « sur » et habiter les incertitudes du texte « pour », adressé à l’exposition comme un poème à une inconnue. Il fallait écrire par le manque, renoncer à la satisfaction d’apporter des réponses à des questions pas même posées, ouvrir l’espace plutôt que de l’occuper, il fallait écrire comme on veille et comme on attend. 

Le matin même, j’avais croisé une phrase qui disait : « Il importe de vivre comme si l’on se trouvait toujours à la veille de la grande découverte et de se préparer à l’accueillir, le plus totalement, le plus intimement, le plus ardemment qu’on pourra » (Maurice Maeterlinck, La Sagesse et la destinée). J’ai pensé qu’il me faudrait écrire comme cette phrase disait de vivre : concevoir un texte qui dise l’attente de l’exposition, un texte qui ne pose pas ses mots sur les choses comme on leur donne un terme mais joue comme un prélude, conscient que sa parole cessera là où l’événement commencera à parler.

J’ai traversé Paris dans l’autre sens en me disant que je n’y arriverais pas.

Nina Leger
Docteure en histoire de l’art, enseignant aux Beaux-arts de Marseille, Nina Leger publie régulièrement des textes dédiés à la création contemporaine. Elle a contribué à diverses revues (Specimen, Hippocampe, LeChassis) et catalogues, cherchant à chaque fois la façon juste pour écrire « avec » l’art plutôt que « sur ». Elle est également l’auteure de deux romans, Histoire naturelle (2014, JC Lattès) et Mise en pièces (2017, Gallimard, prix Anaïs Nin, prix de la Vocation Littéraire).

Katrin Koskaru est une peintre estonienne née en 1977.
Diplômée du Royal College of Art de Londres et de l’Académie estonienne des arts, elle a bénéficié d’expositions personnelles à la Galerie Pascaline Mulliez à Paris en 2016, à la Marlborough Fine Art Gallery de Londres en 2014. Ses tableaux ont également été présentés lors d’expositions collectives au musée Kumu de Tallinn en 2007 et 2012 ainsi qu’à la Tallinn Art Hall (Tallinna Kunstihoone) en 2014. Katrin Koskaru est membre de L’ahah depuis 2017.

Vue de l’exposition « The line of little figures” de Katrin Koskaru L’ahah #Moret © Marc Domage/L’ahah
Vue de l’exposition « The line of little figures” de Katrin Koskaru L’ahah #Moret © Marc Domage/L’ahah
Vue de l’exposition « The line of little figures” de Katrin Koskaru L’ahah #Moret © Marc Domage/L’ahah
Vue de l’exposition « The line of little figures” de Katrin Koskaru L’ahah #Moret © Marc Domage/L’ahah
Vue de l’exposition « The line of little figures” de Katrin Koskaru L’ahah #Moret © Marc Domage/L’ahah
Vue de l’exposition « The line of little figures” de Katrin Koskaru L’ahah #Moret © Marc Domage/L’ahah
Détail de l’oeuvre « The line of little figures. Luke », 2020, colle, pigments, polyester , 225 x 230 cm Exposition personnelle de Katrin Koskaru « The line of little figures » © Marc Domage/L’ahah
Détail de l’oeuvre « The line of little figures. Luke », 2020, colle, pigments, polyester , 225 x 230 cm Exposition personnelle de Katrin Koskaru « The line of little figures » © Marc Domage/L’ahah
Vue de l’exposition « The line of little figures” de Katrin Koskaru L’ahah #Moret © Marc Domage/L’ahah
Vue de l’exposition « The line of little figures” de Katrin Koskaru L’ahah #Moret © Marc Domage/L’ahah
Vue de l’exposition « The line of little figures” de Katrin Koskaru L’ahah #Moret © Marc Domage/L’ahah
Vue de l’exposition « The line of little figures” de Katrin Koskaru L’ahah #Moret © Marc Domage/L’ahah
Détail de l’oeuvre « The line of little figures. Ursula », 2020, colle, pigments et crayon sur polyester, 422 x 340 cm   Exposition personnelle de Katrin Koskaru « The line of little figures » © Marc Domage/L’ahah
Détail de l’oeuvre « The line of little figures. Ursula », 2020, colle, pigments et crayon sur polyester, 422 x 340 cm Exposition personnelle de Katrin Koskaru « The line of little figures » © Marc Domage/L’ahah
Détail de l’oeuvre « The line of little figures. Ursula », 2020, colle, pigments et crayon sur polyester, 422 x 340 cm  Exposition personnelle de Katrin Koskaru « The line of little figures » © Marc Domage/L’ahah
Détail de l’oeuvre « The line of little figures. Ursula », 2020, colle, pigments et crayon sur polyester, 422 x 340 cm Exposition personnelle de Katrin Koskaru « The line of little figures » © Marc Domage/L’ahah

L’ahah est un lieu partenaire de la revue Point contemporain