LÉA CITI, CHRONIQUE D’ATELIER
Léa Citi, feutrer et berger, 2023, toisons feutrées, photo : Garance Debergue.
CHRONIQUE D’ATELIER / PAR LÉA CITI
DANS LE CADRE DU COURS « PAIN COURONNÉ » DE JEAN-PIERRE CASTEX, ANNÉE 2023-2024, ISDAT TOULOUSE
J’aurais préféré trouver une mâchoire inférieure de brebis.
Pourquoi ma grand mère n’était pas bergère? Une pensée à l’histoire du Mistouflon, que j’ai toujours associé à celle d’un étrange mouton et non celle d’un mou on provençal à 6 pattes.
« Je connais Madame Untel, elle habite à côté, elle venait tous les matins au marché (…) elle aussi, c’est la voisine de (…) »
Ainsi de suite. Elle situait les visages aux mots, au marché, aux matinées estivales et givrées.
Ma soeur donne le biberon à un agneau, au lointain le patou garde le troupeau en bas de la maison, dans une des terres. Elles étaient là, de loin.
En bas, l’ânesse qui alertait les patous des loups en Savoie fait maintenant parti du troupeau.
Au réveil, se superposent les sonaïres lorsque je pousse les volets et entrouvre la baie-vitrée de la chambre. Je sors, mes pieds engourdis sur le béton chassent la froideur de la rosée. Une trace se forme. Le froid est plus vif. Plus de trace. J’oriente mon regard vers le son, les sonaïres sont à quelques mètres. Je ne les perçois pourtant pas. Elles sont aux antipodes. Elles étaient là, de loin.
Il a fallu une brebis, on en a trouvé une. Ne reste plus qu’à l’attraper. Attraper agit comme une habitude, même si la seule chose qui en témoigne avait été un lapin échappé. On la sort de l’abri, on la tire par les pattes. C’est raté. On finit par la plaquer au sol.
À 3, elle est mise à l’avant du van, dans la petite pièce qui sert de sellerie. Quand ils ferment la porte, la patte arrière est coincée, claquée. À Arles, elle réussit à sortir au feu rouge. Elle est sur la route, elle bêle.
Elle était là, plus près. Peut-être un acte rédempteur, s’excuser de l’avoir malmenée.
Je suis déjà montée sur une vache. J’ai trouvé une mâchoire inférieure de cheval dans une terre où il n’y avait que des pommiers, comme mon père aime à le raconter. J’ai attrapé un lapin fuyard. Mais rien à voir avec les brebis.
En Espagne, des chèvres mordent et rongent mon pull. Elles me courent après pour déguster mes vêtements. Leurs dents forment un sourire exquis.
Mais toujours pas d’ovins à l’horizon. Éparses, ils sont dans les coins, ne se soucient pas de ma présence, ni de mon pull pourtant appétissant. Alors j’attends.
Elles étaient hors de mon champs, aux extrémités de mes globes. S’incruster dans cette croute terrestre, dans cet espace, elles ne l’ont toujours pas fait.
Elles étaient en toile de fond. À vélo – regarde les moutons.
De la maison – ça sent bon !
En voiture – regarde les bébêtes
Habitantes et faiseuses du paysage, je ne les ai vues que récemment dans une serre bâchée, clôturée. J’ai grandi avec elles, comme avec un parent distant. J’attends la rencontre, comme on attend les sages paroles d’un aïeul disparu, qui raconterait ce qu’il a vu de nous, sans que je ne m’en sois aperçue.
Photos prises par Garance Debergue dans le cadre de l’exposition SUMMER FUN avec le collectif Folle Béton à L’espace Nonono, Montreuil.