VALERIE DUCHÉNÉ ET REGIS PINAULT, A PAS CHASSÉ
Coralie Cruchet, prise de vue lors d’une médiation à des scolaires dans l’exposition A pas chassés de Valerie Duchéné et Régis Pinault, 2023
EN DIRECT / Exposition Valerie Duchéné et Regis Pinault, A pas chassé, Commissariat
Valérie Mazouin, du 08 juillet au 25 novembre 2023, Chapelle Saint-Jacques, Saint-Gaudens
par Ernest Thinon
Habiter un endroit, c’est aussi savoir y inviter du monde, présenter son lieu de vie, son intérieur. On peut habiter bien des choses ; des lieux, des histoires ou même des souvenirs (même si généralement ceux-ci nous habitent plus que nous ne les habitons).
Il y a cet espace, il ne m’appartient pas mais quand on y entre je vous attends à l’entrée. Je suis l’hôte de cet endroit, pas tout le temps mais souvent. En tant qu’hôte j’essaie de pourvoir à vos besoins, à vos questions, je suis à l’écoute et parfois même prévenant. Demain, d’autres que vous passeront la grande porte et viendront à ma rencontre. Enfin iels viennent voir l’intérieur du lieu et moi je les y accueille. Sans me connaître, iels me rendent visite. À celles et ceux qui le souhaitent, je déposerai au creux de leurs mains le chuchotement des histoires que le lieu héberge, ensemble nous en prenons soin.
Lorsque je fais la médiation, il n’y a pas toujours foule à passer le pas de la porte. Alors c’est la rêverie qui vient prendre le thé, nous méditons. Mes pieds traversent à pas lents, à grandes enjambées et même d’un pas nonchalant « À pas chassés » l’exposition qui se dresse fièrement dans la chapelle Saint-Jacques. Cette exposition est née de deux esprits doux et farceurs : ceux de Valérie Du Chéné et Régis Pinault. Pour quelques heures et quelques mois j’habite, d’une certaine façon, la chapelle. J’apprends à la connaître, à ce qu’elle me soit familière, je lui apporte ma voix et mon énergie pour guider les regards et ouvrir la discussion à ses convives de passage.
Ma mémoire regorge de lieux où j’ai autrefois vécu ; la maison de mes premiers pas, et puis la seconde, celle où j’ai tout appris. Il y a ma chambre, celle qui a abrité et qui gardera mes secrets d’enfance ainsi que chacun de mes déboires et espoirs. Elle a grandi avec moi, sous chacune des couches de peinture qui la recouvrent, comme un arbre dont on compte les années selon le nombre d’épaisseurs qui le composent, on pourrait remonter le temps que j’y ai vécu en décollant la peinture délicatement. [Les voyages dans le temps ne devraient jamais se faire à la va-vite !] Ce fut aussi ma première galerie, le siège d’instants décisifs et pourtant elle me reste en mémoire comme un endroit paisible, un sanctuaire. Ensuite, il y a eu les appartements où pour quelques mois ou années j’ai posé mes valises. Chacun de ces mètres carrés est gravé dans la mémoire de mon corps ; en fermant les yeux je les traverse, je peux encore trouver les poêles, les crayons ou même le double des clefs qui est tantôt dans une armoire, tantôt dans un vide-poche et parfois chez une amie. Jamais je ne reverrai tous ces endroits mais les avoir habités a créé en moi une mélodie que j’entends parfois, pas tout à fait audible, plus un bourdonnement qu’un chant d’ailleurs. Parfois je fredonne cet étrange air rempli de toutes formes de vie.
J’habite comme on aime; avec attention, passion et ardeur, en chérissant le moindre relief de l’objet de mon affection.
L’exposition de la chapelle Saint-Jacques quant à elle semble répondre à mon affection. Bien que tirant d’abord la langue lorsque je me blottis entre ses épaisses couches colorées, finalement elle m’enlace.