Micah Lexier
Sélection d’images provenant de la page Instagram de Micah Lexier.
A selection of images from Micah Lexier’s Instagram page.
ENTRETIEN avec Micah Lexier
Par Alex Chevalier dans le cadre de « ENTRETIENS SUR L’ÉDITION »
Micah Lexier est artiste est commissaire d’exposition. Dans son travail, le langage, l’identité et d’espace sont des notions que l’artiste explore sous la forme de sculptures, dont les formes peuvent nous renvoyer à certaines pratiques de l’art conceptuel. Dans cet entretien, réalisé à l’été 2023, nous revenons sur l’importance de l’édition dans son travail, son rapport à la collection, Instagram ou encore son économie de travail.
Alex Chevalier (AC) : Micah, votre pratique se développe au travers de nombreuses formes différentes, et corrigez-moi si je me trompe, mais je pense que l’on pourrait dire que celui-ci porte principalement sur des questions de langage et d’espace. Qu’il prenne place dans ou sur un mur d’immeuble, dans un espace de type white cube ou dans un livre (je fais référence aux éditions d’artistes, comprenant donc cartes postales, affiches, livres, etc.), il y a toujours quelque chose qui traite de la façon dont l’espace influence l’œuvre. La question peut sembler un peu directe, mais comment en êtes-vous à travailler sous la forme d’éditions d’artistes ?
Micah Lexier (ML) : Quand j’ai commencé, en tant qu’artiste, je n’avais pas vraiment de compétences manuelles, alors j’ai dû trouver un moyen de faire de l’art qui n’avait rien à voir avec ma capacité à faire physiquement les choses. Très tôt, alors que j’étais encore à l’école d’art, j’ai réalisé que je pouvais profiter des choses que je pouvais bien réaliser pour gagner de l’argent t’utiliser cet argent pour embaucher des gens pour faire les choses quelle ne pouvais faire moi-même. Dans de nombreux cas, cela amenait à la fabrication d’objets imprimés, voire manufacturés. Nombre de ces projets résultaient en des objets réalisés en plusieurs exemplaires, qui se sont naturellement appelés multiples ou éditions. Cela a fonctionné pour moi, alors, j’ai continué à travailler de cette façon. Maintenant, plus de 40 ans plus tard, c’est toujours ma façon de travailler.
AC : Comment définiriez-vous la place de l’édition dans votre pratique ?
ML : Il y a une citation de Dieter Roth qui a énormément de résonance pour moi : « Je fais de l’art uniquement pour soutenir mon habitude qui est d’écrire et de publier des livres. » Je comprends. J’en suis arrivé au stade où je ne veux faire une exposition que s’il y a également une opportunité de publier quelque chose pour l’accompagner. Les multiples et objets imprimés en petits tirages sont l’expression pure de mes idées. J’aimerais pouvoir gagner ma vie en ne fabriquant que ce genre de projets. Je travaille aujourd’hui en ce sens.
AC : Je sais que vous collectionnez également beaucoup d’éditions d’artistes et autres imprimés. Vous êtes même à l’origine d’un groupe « secret » de collectionneurs qui se réunit réunissent régulièrement pour parler des dernières oeuvres que vous avez acquises. Une fois par an, avec ce groupe, vous invitez un-e artiste à proposer une œuvre et vous l’éditez en petit tirage. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce cercle dans lequel vous vous trouvez ?
ML : À vrai dire, ce n’est pas vraiment un groupe secret, mais plutôt un groupe exclusif, car une fois que nous avons atteint dix membres, nous avons décidés de ne plus laisser entrer personne dans le groupe car cela pourrait devenir trop indiscipliné et/ou trop bureaucratique. Dix est juste le bon nombre de personnes. Nous nous appelons « Book Club » et sommes un groupe d’artistes, d’écrivain-e-s et de conservateur-trice-s qui partagent tou-te-s un amour des livres d’artistes et des multiples. Nous n’avons pas de nombre fix de réunions par an, mais nous nous rencontrons dès que l’un-e d’entre nous a envie d’organiser un rendez-vous, ou lorsque suffisamment de temps s’est écoulé entre deux réunions. Nous nous réunissons deux à trois fois par an, depuis 2009 et avons également eu des visiteur-euse-s et des hôtes invité-e-s qui nous ont montrés leurs collections. À partir de 2012, et ce pendant les quatre années qui ont suivies, nous avons mandaté un-e artiste à concevoir un sac de livre du « Book Club » que nous avons publiés dans une petite édition pour que chaque membre puisse ensuite les disperser à sa guise. Il y a eu un bel article sur nous que l’on peut retrouver ici : https://www.torontostandard.com/culture/shelf-life/
AC : Travailler avec des publications d’artistes en tant que commissaire d’exposition est toujours délicat dans le sens où se sont généralement des formes que nous montrons sous une vitrine. Gardons à l’esprit qu’il s’agit là de livres, comment appréhendez-vous le fait que leur but premier est d^’très lus et manipulés ?
ML : Je suis vraiment frustré de voir des oeuvres sous vitrines, mais je comprends tout à fait. Mais je pense tout de même que je préfère l’objet original sous verre à une réplique que je peux toucher.
AC : Il est intéressant de regarder votre compte Instagram car il pourrait s’apparenter à un espace de monstration ooh vous partagez ce que vous regardez, et ce qui passe entre vos mains. Quel rôle diriez-vous qu’Instagram joue pour vous ?
ML : Je sais que les gens aiment se plaindre d’Instagram, mais cela a été une plateforme positive pour moi. Mes posts prennent plusieurs formes différentes, et je pense que c’est cette combinaison de contenu qui le rend précieux pour celles et ceux qui me suivent. Certains posts concernent la promotion de quelque chose que j’ai fait, soit un multiple, un zine ou une exposition, ou quelque chose que quelqu’un d’autre a fait et sur lequel je veux attirer un peu d’attention. D’autres postes concernent le partage de choses qui m’inspirent, y compris un certain nombre d’objets trouvés. Et d’autres messages encore sont plus personnels, soit en rendant hommage à un-e artiste décédé-e, soit en demandant de l’aide pour résoudre certains mystères, par exemple en m’aidant à identifier le nom du multiple d’un artiste anonyme. C’est quelque chose qui s’est passé récemment, et j’ai pu identifier l’auteur grâce au conseil d’un follower.
AC : En tant que collectionneur, commissaire d’exposition, mais surtout en tant qu’artiste qui travaille avec ce format, je me demandais qu’elles était votre regard et vos réflexions sur les pratiques éditoriales actuelles ?
ML : Je suis ravi de la prolifération de petit-e-s éditeur-trice-s et de la façon dont tout et tout le monde est devenu accessible grâce à Instagram. J’ai été invité à créer des projets avec quelques éditeurs que j’en e connaissais pas auparavant. Et chacun a été une expérience très positive. Il y a eu pleins de façons de travailler différentes, certain-e-s éditeur-trice-s paient des droits à l’avance, d’outrants envoient des copies du zine en guise de paiement, et d’autres paient une fois qu’un certain nombre de copies de l’édition a été vendu. Je suis d’accord avec ces différents modèles, tant que l’éditeur-trice est franc-che à ce sujet dès le début. Je pense que la prolifération des salons dédiés aux livres d’artistes combinée à Instagram crée une combinaison très excitante pour l’édition contemporaine.