ROBIN LOPVET, ENTRE DEUX MONDES
Robin Lopvet, série Là d’où je viens, Cygne noir, 2020 © Robin Lopvet
EN DIRECT / Exposition Robin Lopvet, Entre deux mondes, jusqu’au 12 mai 2024, Centre d’art et de photographie de Lectoure, Lectoure
Commissariat Lydie Marchi
Entre deux mondes
Une Intelligence avenante logée comme une araignée au fond d’une base de données pense à eux, amoureusement, à chaque instant. Elle accueille sans se lasser, le plus infime, le plus intime, le plus in- signifiant de leur comportement, l’interprète comme un désir secret, pour un jour pouvoir y répondre, au bon endroit et au bon moment.
Les Furtifs (2019) de Alain Damasio
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Entre deux mondes est une invitation à plonger dans un monde parallèle peuplé d’images à l’étrangeté tantôt séduisante, tantôt dérangeante. La réalité s’y entrelace avec l’imaginaire dévoilant ainsi de nouveaux horizons. L’image y est désacralisée à travers le prisme de la retouche numérique et / ou de l’intelligence artificielle, procédés utilisés avec malice par l’artiste. La symbiose entre l’esprit humain et la machine lui permet de générer des compositions photographiques créant ainsi de nouvelles formes narratives. Entre deux mondes présente plusieurs séries dont une totalement inédite, New New York, produite par le centre d’art. New New York revisite l’histoire de la photographie à New York offrant ainsi une nouvelle perspective sur le passé et la manière dont la technologie peut influencer notre compréhension de l’histoire visuelle.
Les Autoportraits de Robin Lopvet poussent avec humour et auto-dérision les limites de cet exercice et élargissent la perception de son identité en ne se contentant pas du simple reflet de son image physique. Ces autoportraits sont de nouvelles narrations visuelles complexes et introspectives. « Mytho ! » pourrait-on lui dire, paraphrasant ainsi le titre de son exposition au CRP de Douchy-les-Mines. Car, l’artiste se représente en centaure armé d’une kalachnikov ou en Pinocchio, s’amusant ainsi de sa propension à la déformation des images dont il fait œuvre tout en s’inspirant de mythes.
Là d’où je viens propose un retour dans la ville natale de Robin Lopvet, Épinal, où à travers une photographie crue au flash et des associations absurdes l’artiste sous-tend une atmosphère à la fois drôle et inquiétante. Dans la capitale des Vosges comme ailleurs, ce que nous montre la photographie n’est pas la réalité.
Série désormais emblématique de Robin Lopvet, DOGS associe des têtes de chiens trouvées sur internet et des nuages, catastrophes naturelles ou grands faits historiques. Cette série devenue virale a été publiée dans le monde entier. L’artiste s’est trouvé piégé à son tour par le flux des images, l’une des images qu’il avait créée se retrouvant publiée dans le monde entier. La découvrant imprimée sous forme de produits dérivés, l’artiste achète alors ces objets, les signe et décide de les exposer. Un livre est édité par la suite aux éditions de la vie moderne, et les images existent en NFT. Le template de meme Dust Storm Dog est toujours disponible sur les réseaux.
Le Christ aux limbes inspiré par le célèbre tableau éponyme du peintre flamand Jérôme Bosch est un savoureux mélange des genres et époques ouvrant les portes d’un monde familier et troublant asphyxié par un prodigieux déluge d’images. Le même procédé est utilisé par l’artiste pour la série Le 7ème continent. L’artiste dit qu’il a voulu n’utiliser que des déchets et prolonger cette expérience de nature morte de produits alimentaires avec son expérience dans l’industrie du luxe. Il a voulu traiter les déchets avec la même précision que les bijoux les plus précieux. Il ajoute que ce que l’on jette, ces productions dont personne ne revendique la propriété, en disent beaucoup sur notre société et la manière dont nous consommons le monde.
New New York est une nouvelle étape dans le travail que développe Robin Lopvet. Cette série prend naissance en 2015 lorsque l’artiste fait son post-diplôme à l’International Center of Photography (NYC). Ayant habité uniquement dans des petites villes de France avant ce post-diplôme, il est particulièrement surpris de se trouver dans cette métropole gigantesque, monstrueuse, avec un flux énorme de gens, d’énergie, d’argent. Il y a observé une dialectique de construction et déconstruction, de puissance et fragilité dont il a rendu compte dans un premier travail vidéo d’animation image par image Tout doit disparaître. C’est à partir de cette vidéo que Robin Lopvet réalise, avec la complicité du chanteur – compositeur – auteur – musicien Mathieu Blanc-Francard (connu sous le pseudonyme de Sinclair) une nouvelle œuvre vidéo d’animation d’une heure revisitant l’histoire de la photographie à New York au 20ème siècle. Les mêmes procédés créatifs sont utilisés par les deux artistes pour la réalisation des images et du son. Une cinquantaine de nouvelles photographies sont également pro- duites par l’exposition jouant des connaissances que nous pouvons avoir de New York par le prisme de la photographie. Ces photographies sont pour certaines produites avec des procédés d’époque : collodions, tirages argentiques, polaroïds. L’emploi de ces techniques ne pourra que troubler la perception que nous pourrons avoir de cette série par ce mécanisme de fausse reconstitution historique encore accentué par le truchement des encadrements et de la scénographie.
Robin Lopvet transcende les conventions de la photographie et explore les potentialités in- finies de la transformation de l’image numérique dont il repousse les limites conceptuelles. L’idée d’une image mutante, évoluant continuellement, ouvre les portes d’une réalité parallèle. Chacune de ses images devient une invitation à repenser notre perception du monde qui nous entoure. Entre deux mondes devient ainsi une exploration critique, une plongée profonde dans les fondements d’une société axée sur l’image et ses flux. Elle pose des questions complexes sur la manière dont la photographie, en perpétuelle transformation, influence notre compréhension du monde, soulignant l’importance de naviguer dans des réalités multiples.
Lydie Marchi, commissaire de l’exposition