GUILLAUME LO MONACO, ACME

GUILLAUME LO MONACO, ACME

Vue d’exposition ACME de Guillaume Lo Monaco, KOMMET Lyon – Photo Lam Son Nguyen

EN DIRECT / Exposition ACME de Guillaume Lo Monaco
jusqu’au 5 février 2022 à KOMMET, Lyon

Texte Tania Hautin-Trémolières – Janvier 2022

Jouer avec un monde grave 

Elle a l’air séduisante, l’exposition ACME de Guillaume Lo Monaco, aperçue depuis la rue à travers la vitrine d’angle de KOMMET. 

Des dalles aux couleurs flashy recouvrent un mur. Un étrange mobile se dresse près d’une vitre. A travers une autre, un cheval à bascule jaune et sur le sol, échoués, de petits bateaux de bois. Elle a l’air séduisante, vue comme ça, d’un coup d’œil. Elle est colorée et ludique. Comme une caisse de jouets laissée entrouverte. Et alors que la période de Noël s’achève à peine, c’est d’un à propos mordant qui sied bien à l’artiste. 

De jeu il est indubitablement question. Les œuvres présentes, quasiment toutes produites pour l’exposition, reprennent la forme et les codes visuels du jeu et de l’enfance. Habitué de la pratique du détournement ou du déplacement avec une bonne touche d’humour noir, l’artiste produit ses œuvres ici en détournant des jeux existants ou en fabriquant les siens, reprenant leurs codes, des éléments identifiables ou avec une esthétique cartoon. 

Mais elle a l’air un peu grinçante, aussi cette enfance selon Guillaume Lo Monaco. 

Ce joli mobile, c’est un tir aux pigeons, un mécanisme rotatif sur pied dont l’artiste a remplacé les traditionnels volatiles par des dessins de drones : bien nommée Tir aux nuisibles. Le cheval à bascule jaune et noir est en fait une réplique en bois du fameux chien robot Spot de l’entreprise Boston Dynamics. Et ces bateaux de bois coloré, ce sont de sympathiques porte-conteneurs CMA CGM renversés ou coupés en deux, en plein naufrage. L’installationToyxic qui structure visuellement l’espace de l’exposition est faite de dalles de mousse colorées, celles qui à la manière d’un puzzle s’emboitent et forment les tapis de jeu dans les chambres ou les écoles, créant un revêtement mou pour protéger des chutes. Ces mêmes dalles qui jusqu’à récemment étaient fabriquées dans un matériau soupçonné d’être cancérigène et finalement interdit. Celles de Guillaume Lo Monaco affichent pleinement leur toxicité. Sur fond coloré se dessinent crânes, flammes et autres symboles de mort formant une iconographie du danger.

Enfin comme un ultime pied-de-nez, une petite bibliothèque à ras du sol est constituée d’ouvrages sélectionnés pour l’exposition par Le Joli Rouge, une plateforme rassemblant des livres sur l’anarchisme, le féminisme ou l’éthique animale. Tout au long de l’exposition, le public est invité à se servir librement dans cette bibliothèque et à emporter les ouvrages s’il le souhaite. Mode de circulation des savoirs et support de réflexion et d’échanges autour de cette compilation d’ouvrages interrogeant la société, le capitalisme, les dérives sécuritaires ou techniques. Dans ce petit meuble de bois à hauteur d’enfants, se croiseront ainsi, Orwell, Engels, Marx, ou Huxley parmi d’autres. 

Dans l’imaginaire collectif, l’enfance c’est l’innocence, une forme de pureté, un regard neutre, bienveillant, candide. Quelque chose de sacré, à protéger, à préserver aussi longtemps que possible. Mise symboliquement en opposition à l’âge adulte qui serait à l’inverse, biaisé, construit et dont l’innocence aurait, justement, été entamée. Ce mythe commun voudrait que la sphère de l’enfant soit exempte de tous les maux qui traversent notre société, comme étanche aux affres du monde contemporain. Utopie ou hypocrisie ?

Devant les œuvres de Guillaume Lo Monaco, il y a une réaction double, troublée. Un mélange d’amusement et de malaise. Malaise précisément devant ce qu’évoquent ces jouets et de ce que cela dit finalement de notre propre rapport à l’enfance. 

Le danger, la surveillance, la catastrophe, le pouvoir ou la violence. Tout cela traverse notre société et notre époque. Et si le jeu a la vocation d’éduquer au monde, pourquoi pas, des porte-conteneurs en cubes de bois pour jouer au naufrage ? Pourquoi pas, un cheval à bascule sous les traits d’un chien robot dystopique ? Pourquoi pas, un tourniquet tir aux drones à la place du – très – traditionnel tir aux pigeons ? 

Si l’enfance et l’innocence sont à chérir et protéger, qu’en est-il du jeu, des jouets ? Ceux-là mêmes qui sont pourtant pleins de sous-entendus, de stéréotypes, d’objectifs commerciaux à atteindre et de langage marketing.

Spot, chien robot jaune créé par la fructueuse entreprise américaine Boston Dynamics est présenté comme une assistance surpuissante, une super aide aux allures d’animal domestique fidèle et inoffensif. Mais Spot est aussi chargé de filmer et de recueillir des données, des informations. Face aux critiques et inquiétudes formulées à son encontre et qui questionnent son inoffensivité supposée, la firme a renforcé son aspect ludique : commercialisation à grande échelle et vidéo promotionnelle quelque peu malaisante de robots performant un numéro de danse synchronisée. Ce glissement entre outil de surveillance et jouet télécommandé s’opère déjà sur les drones, devenus gadgets domestiques, comme autrefois les petites voitures télécommandées. 

Pour les œuvres Krach 1 et 2, Guillaume Lo Monaco a utilisé des jouets en bois existants de la marque Vilac, spécialiste français du jouet en bois. Vilac propose une collection de bateaux porte-conteneurs en partenariat avec la puissante compagnie CMA CGM pour « mettre en avant leur nouveau porte-conteneur propulsé au gaz naturel » d’après leur site web. Une entreprise de jouets pour enfants promeut donc les navires d’une importante compagnie de transport maritime et de conteneurs. 

Cette exposition c’est comme une maquette à échelle réduite de notre monde, un petit théâtre sans gravité apparente dressé là. Les œuvres et la vision du monde de Guillaume Lo Monaco ne sont pas si cyniques et dystopiques qu’on ne voudrait le croire. C’est bien notre monde qui l’est. 

Toutes ces contradictions, ces formes de violence plus ou moins déguisées, l’artiste ne les invente pas. Il les met en exergue simplement, posées là sous nos yeux. C’est la prise de conscience de ces contradictions qui crée le malaise. C’est l’absurdité et l’hypocrisie du monde adulte qui nous frappe encore plus. Encore plus fort ici. 

Qu’est-ce qui fait le plus mal, les jouets eux-mêmes ou la réalité que ces objets exposent ? 

Les œuvres-jouets de Guillaume Lo Monaco cristallisent ainsi nombre de nos incohérences et incompétences. Et parce que ces objets prennent la forme et l’image de jeux d’enfants, ils ont la violence de la réalité.

Pourquoi donc le jeu est-il si férocement associé à une forme d’innocence ou d’inconscience du monde ? Est-ce que ce n’est plus jouer si ça ressemble trop au monde réel ? Ou est-ce l’idée de jouer avec ce monde-là qui nous est inconcevable ? 

Malgré les sujets douloureux ou complexes auxquels ces objets se rapportent et se confrontent, Guillaume Lo Monaco conserve leur dimension esthétique et ludique, par leur couleur, leur forme, leur matériau ou simplement leur pouvoir d’évocation du jeu. 

Alors, je m’interroge, peut-on, encore, jouer (même) avec un monde grave ?

https://guillaumelomonaco.fr/

Vue d’exposition ACME de Guillaume Lo Monaco, KOMMET Lyon - Photo Lam Son Nguyen
Vue d’exposition ACME de Guillaume Lo Monaco, KOMMET Lyon – Photo Lam Son Nguyen
Vue d’exposition ACME de Guillaume Lo Monaco, KOMMET Lyon - Photo Lam Son Nguyen
Vue d’exposition ACME de Guillaume Lo Monaco, KOMMET Lyon – Photo Lam Son Nguyen
Vue d’exposition ACME de Guillaume Lo Monaco, KOMMET Lyon - Photo Lam Son Nguyen
Vue d’exposition ACME de Guillaume Lo Monaco, KOMMET Lyon – Photo Lam Son Nguyen
Vue d’exposition ACME de Guillaume Lo Monaco, KOMMET Lyon - Photo Lam Son Nguyen
Vue d’exposition ACME de Guillaume Lo Monaco, KOMMET Lyon – Photo Lam Son Nguyen
Vue d’exposition ACME de Guillaume Lo Monaco, KOMMET Lyon - Photo Lam Son Nguyen
Vue d’exposition ACME de Guillaume Lo Monaco, KOMMET Lyon – Photo Lam Son Nguyen
Vue d’exposition ACME de Guillaume Lo Monaco, KOMMET Lyon - Photo Lam Son Nguyen
Vue d’exposition ACME de Guillaume Lo Monaco, KOMMET Lyon – Photo Lam Son Nguyen
Vue d’exposition ACME de Guillaume Lo Monaco, KOMMET Lyon - Photo Lam Son Nguyen
Vue d’exposition ACME de Guillaume Lo Monaco, KOMMET Lyon – Photo Lam Son Nguyen