KENJIRO OKAZAKI, TOPICA PICTUS

KENJIRO OKAZAKI, TOPICA PICTUS

Kenjiro Okazaki, Underwater Vision / 睡蓮たちのスイミン , 2020
Acrylique sur toile 18 x 24,9 x 3 cm Unique
Photo : Shu Nakagawa – Courtesy artiste et galerie frank elbaz

EN DIRECT / Exposition TOPICA PICTUS / Rue de Turenne de Kenjiro Okazaki
jusqu’au 15 mai 2021, Galerie frank elbaz Paris

Par Laure Jaumouillé 

Pour sa première exposition personnelle à la galerie frank elbaz, TOPICA PICTUS / Rue de Turenne, l’artiste japonais Kenjiro Okazaki propose l’accrochage méticuleux de deux séries d’œuvres. La première est constituée de tableaux de petits formats réalisés à la peinture acrylique selon une technique tout à la fois gestuelle et extrêmement maîtrisée. La deuxième est réalisée avec l’intervention d’un robot : tandis que le pinceau de l’artiste reste immobile, la feuille de papier reliée à une machine, se déplace lentement pour faire apparaître un dessin. 

On observe que « topica » évoque « topos », à savoir le « lieu », alors que « pictus » fait écho, en latin, à « quelque chose qui est peint ». Les peintures de l’artiste nous font littéralement voyager, dans différents lieux mais aussi dans le temps. De mars à juin 2020, alors qu’il est confiné dans son atelier de Tokyo, Kenjiro Okazaki se livre à un travail intense, produisant environ 150 œuvres. Habitué à voyager très fréquemment, il s’empare de cette éclipse temporelle pour voyager par et avec la peinture, traversant des « lieux » multiples. La dimension temporelle de ce voyage le conduit à adopter comme titres de ses œuvres des tableaux ou des courants artistiques du passé. Il faut ici préciser que Kenjiro Okazaki est historien de l’art. Spécialiste de la Renaissance, il enseigne à l’université de Musashino. Dans l’exposition de la galerie frank elbaz, toutes les époques et toutes les civilisations sont abordées. L’artiste affirme lui-même « la possibilité d’aller partout car nous ne pouvons aller nulle part ». 

Les tableaux de petites dimensions sont dénommés « Zero Thumbnails », « Thumnails » signifiant « ongle du pousse » ou encore « miniatures ». L’artiste relève le défi d’une peinture gestuelle et rapide sur de très petites surfaces, produisant une intensité égale à celle d’un tableau de grande dimension. A certains endroits, la peinture semble s’échapper du cadre qui lui-même contient des ouvertures, des cavités émancipatrices. C’est bien l’autorité du cadre qui se trouve ici remise en cause, laissant l’acrylique prolonger le geste du peintre vers le mur blanc du White Cube. On peut aussi y voir une certaine tradition japonaise de l’architecture, selon laquelle l’intérieur et l’extérieur sont fondamentalement entremêlés. Constituées de différentes strates et d’épaisses couches de peinture, il semble impossible de savoir dans quel ordre ces dernières ont été apposées. 

Tandis qu’il évoque le mouvement, Okazaki se réfère à Marcel Duchamp, citant l’œuvre intitulée Jeune homme triste dans un train (1911 – 1912). Dans le tableau qu’il nomme Vision subaquatique / Le sommeil des nénuphars (2020), il fait allusion au célèbre personnage de Hamlet, Ophélie noyée, à savoir, ici, le tableau de Frances MacDonald, Ophelia (Jeune fille aux papillons bleus) peint en 1898. L’œuvre d’Okazaki dont les couleurs translucides tendent à déborder en dehors du cadre, évoquent un paysage aquatique parsemé de nénuphars. Enfin, lorsqu’il fait écho à Cézanne (La maison aux murs fissurés, 1892 –1894, ou encore La maison de Bellevue, 1890), il fait usage, dans son tableau, de la même gamme chromatique que celle du précurseur du cubisme.

Chez Kenjiro Okazaki, rien n’est laissé au hasard. Ses peintures robotisées sont réalisées au préalable sur une tablette graphique qui enregistre le dessin et le transmet au robot. Tandis que la machine produit un mouvement de la feuille pour réaliser ce même dessin, l’artiste instaure une relation entre son « moi passé » et son « moi présent ». C’est ainsi qu’il inaugure un voyage dans le temps et qu’il le justifie conceptuellement. Dans la lignée des Méta-Matics de Jean Tinguely, Okazaki se livre à un dessin mécanique qui reste pourtant totalement maîtrisé. A partir de 2007, il inaugure une collaboration avec la chorégraphe Trisha Brown, produisant le spectacle intitulé I love my robots. Okazaki conçoit des robots et leur apprend des mouvements que ces derniers exécutent sur scène.    

La série des « Zero Thumbnails » qui occupe la majeure partie de l’exposition se distingue par une richesse matiériste, tantôt translucide, tantôt mate. On y observe une forme d’action painting en miniature. La touche et son empâtement produisent une saturation de lumière évoquant, à nos regards d’occidentaux, une forme d’expressionnisme abstrait. La visibilité de la « pâte » donne vie au tableau, tandis qu’à certains endroits la toile est laissée vierge. Renfermant les secrets d’œuvres du passé, chaque tableau est une énigme dont l’artiste nous donne des indices à déchiffrer.  

Laure Jaumouillé 

Kenjiro Okazaki, TOPICA PICTUS / Rue de Turenne, 2021 Vue d'exposition, galerie frank elbaz, Paris photo Claire Dorn
Kenjiro Okazaki, TOPICA PICTUS / Rue de Turenne, 2021 Vue d’exposition, galerie frank elbaz, Paris photo Claire Dorn
Kenjiro Okazaki, TOPICA PICTUS / Rue de Turenne, 2021 Vue d'exposition, galerie frank elbaz, Paris photo Claire DornKenjiro Okazaki, TOPICA PICTUS / Rue de Turenne, 2021 Vue d'exposition, galerie frank elbaz, Paris photo Claire Dorn
Kenjiro Okazaki, TOPICA PICTUS / Rue de Turenne, 2021 Vue d’exposition, galerie frank elbaz, Paris photo Claire Dorn
Kenjiro Okazaki, TOPICA PICTUS / Rue de Turenne, 2021 Vue d'exposition, galerie frank elbaz, Paris photo Claire Dorn
Kenjiro Okazaki, TOPICA PICTUS / Rue de Turenne, 2021 Vue d’exposition, galerie frank elbaz, Paris photo Claire Dorn
Kenjiro Okazaki, Scriptorium / A Winged Man or Angel / 言葉が降りてくる場所 Acrylique sur toile 24,4 x 18 x 3 cm Unique  Photo : Shu Nakagawa - Courtesy artiste et galerie frank elbaz
Kenjiro Okazaki, Scriptorium / A Winged Man or Angel / 言葉が降りてくる場所
Acrylique sur toile 24,4 x 18 x 3 cm Unique
Photo : Shu Nakagawa – Courtesy artiste et galerie frank elbaz
Kenjiro Okazaki, TOPICA PICTUS / Rue de Turenne, 2021 Vue d'exposition, galerie frank elbaz, Paris photo Claire Dorn
Kenjiro Okazaki, TOPICA PICTUS / Rue de Turenne, 2021 Vue d’exposition, galerie frank elbaz, Paris photo Claire Dorn