SERGIO MORABITO, MAGMA

SERGIO MORABITO, MAGMA

Vue exposition Magma de Sergio Morabito, Galerie Argentine, Ambassade d’Argentine, Paris

EN DIRECT / Exposition Magma, Galerie Argentine, jusqu’au 13 mai 2022, Ambassade d’Argentine, Paris

L’heure est ambiguë, entre aube et crépuscule, à moins qu’en plein jour un volcan n’ait craché la nuée ardente qui a rendu l’atmosphère violacée. À l’instar de la masse en fusion longtemps retenue au tréfonds de la terre, Magma voit le jour après un temps de latence imposé qui a vu jaillir la peinture et sa force contenue.

Les tableaux de Sergio Morabito sont peuplés de personnes et habités par des objets. Les personnes interagissent plutôt avec eux qu’entre elles. Elles ne se parlent pas, ne se regardent pas, vaquent à leurs tâches. Ce n’est pas la relation qui importe mais ce qu’il faut faire, modeler, construire, dans un monde de bâtisseurs au service d’une création. Le magma, ensemble confus d’éléments, évoque alors le chaos originel où surgit un démiurge pour y imposer un ordre, un kósmos, et donner naissance à l’univers. Si dans la plupart des cosmogonies cet ordre est établi par séparation (la lumière et les ténèbres, la terre ferme et l’eau), ici, chaque élément trouve sa place dans une compartimentation exempte de cloisonnement : le silence des personnes laisse toute la place au dialogue entre les objets. Des espaces s’ouvrent dans l’espace, comme autant de prédelles éparses, pour abriter d’autres scènes, souvent la même, dans une suite de mises en abyme.

Cette activité bouillonnante est toute contemplative. Deux tableaux, Sans titre (2014 et 2017), semblent à la source de cette contemplation : deux têtes, l’une au sein d’une nature morte, l’autre au milieu de la nature. La première est posée parmi plusieurs objets naturels et matériels, un bouquet de feuilles, un coquillage souvenir d’enfance, une cruche, un sucrier, un bougeoir. Cette tête n’est pas celle du crâne des vanités ni celle de l’offrande à Hérodiade : il ne s’agit pas d’une décapitation mais d’un détachement. La deuxième tête repose à même le sol, comme à l’écoute des sons de la terre, le troupeau qui approche à grands pas ou encore la roche en fusion qui se fraye un chemin dans les fissures de l’écorce terrestre. Les deux fragments sont devenus autonomes le temps d’une méditation sur l’existence, au cœur du quotidien, au cœur de l’histoire, au cœur de la nature. Et l’on pourrait s’étonner de cette autonomie alors que nous utilisons de plus en plus têtes, mains, pouces et autres icônes pour remplacer à l’écrit les mots et les interjections du langage. À son tour, l’artiste se saisit de fragments pour créer un langage qui lui est propre. Que veut-il exprimer ? La peinture de Sergio Morabito est une quête dont la clef est peut-être contenue dans l’œuvre Lo hallado 1 : c’est dans l’acte même de la recherche que l’on commence déjà à trouver.

Il y a dans cette quête une dimension au-delà de la physique, qui s’intéresse au domaine de l’esprit. Cela passe parfois par la présence d’une iconographie religieuse dénuée de sa signification. Les images qui ont peuplé l’histoire de l’art, et même l’histoire du peintre, sont reproduites pour ce qu’elles ne sont pas. Elles s’affranchissent de leur sens spirituel pour devenir objets taillés par la main de l’homme. Pour autant, Sergio Morabito est loin d’être un iconoclaste. Modeler ces images à travers la peinture fait partie de la quête : il cherche à leur donner un sens non plus imposé de l’extérieur mais venant de l’intérieur en s’appuyant sur l’articulation entre la tradition religieuse et la nature. Ainsi, l’œuvre Mitos contemporáneos (2017) confronte une Vierge à l’enfant avec un rocher rayonnant qui semble plus vivant que la sculpture qui en est issue, grise, comme dévitalisée. En arrière-plan, une niche ouverte dans le rocher naturel devenu édifice sacré accueille une pierre brute à la place de la statuette cultuelle. Dans les formes coniques du rocher et de la pierre semblent converger toutes les formes féminines sacrées depuis les Vénus archaïques jusqu’aux représentations mariales. 

Le dialogue se poursuit au sein du tableau Les Volcans (2020). La scène se déroule sur un plan qui surplombe le monde ; là, des artisans-bâtisseurs travaillent au service du démiurge à la création des archétypes. Au loin s’érigent des sortes de clochers comme autant de reliefs prêts à entrer en éruption. Cette scène est littéralement traversée en diagonale par l’évocation de la légende de Saint Georges terrassant le dragon. Ce combat où la foi l’emporte sur le mal est ici prétexte pour démystifier l’iconographie. Le sens religieux est dépassé pour ouvrir la quête où l’on est soi-même l’acteur. En ce sens subsistent deux espaces de toile vierge, sur le bout de la lance et dans la boîte sous un siège, qui symbolisent pour le peintre le champ d’autres possibles. 

Il se pourrait que Sergio Morabito lui-même soit le démiurge qui se fait aussi serviteur, la main qui modèle, construit les compositions, le bâtisseur juché sur l’escabeau comme sur un échafaudage devant la toile démesurée, le chercheur qui ouvre des espaces à travers sa peinture. Non pas dans la surréalité d’un monde onirique mais embourbé corps et âme dans la matière et la nature. Un serviteur qui cherche en peignant, qui peint en aimant, qui aurait pu écrire sur le carré vierge de la toile « Et que devrais-je aimer si ce n’est l’essence métaphysique des choses ? »2

1 Ce qui est trouvé.
2 Et quid amabo nisi quod rerum metaphysica, Giorgio de Chirico, dans son Autoportrait, 1920, Pinakothek der Moderne, Munich.

Clara Pagnussatt, Critique d’art

Vue exposition Magma de Sergio Morabito, Galerie Argentine, Ambassade d’Argentine, Paris
Vue exposition Magma de Sergio Morabito, Galerie Argentine, Ambassade d’Argentine, Paris
Vue exposition Magma de Sergio Morabito, Galerie Argentine, Ambassade d’Argentine, Paris
Vue exposition Magma de Sergio Morabito, Galerie Argentine, Ambassade d’Argentine, Paris
Vue exposition Magma de Sergio Morabito, Galerie Argentine, Ambassade d’Argentine, Paris
Vue exposition Magma de Sergio Morabito, Galerie Argentine, Ambassade d’Argentine, Paris
Vue exposition Magma de Sergio Morabito, Galerie Argentine, Ambassade d’Argentine, Paris
Vue exposition Magma de Sergio Morabito, Galerie Argentine, Ambassade d’Argentine, Paris
Vue exposition Magma de Sergio Morabito, Galerie Argentine, Ambassade d’Argentine, Paris
Vue exposition Magma de Sergio Morabito, Galerie Argentine, Ambassade d’Argentine, Paris
Vue exposition Magma de Sergio Morabito, Galerie Argentine, Ambassade d’Argentine, Paris
Vue exposition Magma de Sergio Morabito, Galerie Argentine, Ambassade d’Argentine, Paris
Vue exposition Magma de Sergio Morabito, Galerie Argentine, Ambassade d’Argentine, Paris
Vue exposition Magma de Sergio Morabito, Galerie Argentine, Ambassade d’Argentine, Paris