Monica Mariniello, Piéta

Monica Mariniello, Piéta

FOCUS / La Piéta de Monica Mariniello

Mater dolorosa du siècle à venir par Romain Arazm

Le bras lourd du grand singe pend dans l’assourdissant silence de la mort. Brutal contraste avec l’horizontalité de son corps velu, la verticale de ce bras jadis si puissant désigne la terre dans laquelle il s’enfoncera pour disparaître à jamais. Le visage de l’homme qui le porte est un livre à la surface duquel celui qui contemple cette scène macabre peut lire l’apathie du désarroi.  

La référence convoquée ici par la sculptrice Monica Mariniello est l’une des scènes néotestamentaires les plus représentées à travers les siècles : la Piéta

L’épisode se déroule sur les hauteurs de Jérusalem au pied de la Croix virilement érigée par les Romains pour sanctionner un homme qui se prétendait fils de Dieu. 

Après la Descente et quelques instants avant la mise au tombeau, entre le ciel et la terre, Marie saisit le Christ dans ses bras frêles et déverse sur son corps blême les larmes que ses yeux n’ont pu retenir.

Cette scène atroce fait son apparition dans l’iconographie chrétienne à la fin du XIVe siècle, principalement dans le nord de l’Italie et dans le sud de l’Allemagne. La charge pathétique de cette image lui assure une place de choix dans les commandes de sculptures et de peintures. Le contexte de la guerre de Cent ans (1337-1453) et des grandes épidémies (notamment la peste entre 1348 et 1352) sert de terreau à l’épanouissement de cette image d’une mort violente et dramatique. Ainsi la Piéta évoque le désarroi d’une mère décrit dans le Nouveau Testament mais plus généralement la mort qui frappe aveuglément ceux qu’on aime. 

Mais ici, plus encore qu’un grand thème de l’imagerie chrétienne, l’œuvre de Monica Mariniello évoque une de ses représentations les plus célèbres : la version qu’en proposa le sculpteur florentin Michel-Ange (1475-1564). 

Commandée en 1498 par Jean Bilhères de Lagraulas, ambassadeur de France auprès du Pape, cette sculpture, en marbre de Carrare, est achevée l’année suivante tandis que son auteur n’a pas encore 25 ans.  

La version de ce jeune homme est révolutionnaire. Les traits de la Madone ignorent le poids du temps contrairement aux innombrables exemples qui l’ont précédée. La tristesse de la mère est contenue. Elle comprend que cette mort pourrait être une naissance et que sa douleur est une volonté divine. 

Chez Monica Mariniello le corps du Thaumaturge a été remplacé par celui d’un grand singe. Évidente, la référence au chef-d’œuvre de la Renaissance transalpine garantit le transfert de la charge émotionnelle.  

Ainsi, de la même manière que l’apparition du thème prenait racine dans les pires horreurs d’un Moyen Age finissant, sa réinterprétation contemporaine est fortement marquée par l’extinction progressive de la biodiversité. Signant le double tropisme de l’artiste (l’Italie qui l’a vu naître et le militantisme écologique), cette sculpture proclame, au vu et au su de tous, la culpabilité d’une Humanité suicidaire. 

Ce n’est pas la première fois que la mort d’un grand singe est symboliquement rapprochée de celle du Christ. En 2007, le photojournaliste sud-africain Brent Stirton (né en 1969) immortalisait la découverte d’un gorille mort attaché les bras en croix. La presse internationale avait publié le cliché, l’émoi fût considérable.  

Par-delà le discours écologiste qu’il permet de véhiculer, ce groupe pousse le spectateur à réfléchir aux relations que l’espèce humaine entretien avec le monde animal. 

Que ce soit avec des pièces comme « Vita », comme « Annonciation » ou comme sa série « Voyageurs », c’est l’ensemble de l’œuvre de Monica Mariniello qui est marqué par ces problématiques malheureusement plus actuelles que jamais. 

Mais si l’on suit le cheminement intellectuel que ce recours à l’iconographie de la Piéta suggère, cette mort pourrait ne pas en être une. Elle pourrait être synonyme de naissance, de Renaissance, voire même de Résurrection de la conscience écologiste viscéralement souhaitée par l’artiste. 

La Piéta et les sculptures de Monica Mariniello sont à retrouver jusqu’au 14 décembre 2019 dans l’exposition collective « Matières à penser » au Centre Tignous d’art contemporain de Montreuil. Son entretien filmé est quant à lui disponible sur le site internet de MAZART production (www.mazartproduction.com). 

Romain Arazm

La Piéta de Monica Mariniello Mater dolorosa
Monica Mariniello Mater dolorosa

UNE OEUVRE À VOIR À L’OCCASION DE L’EXPOSITION