MARINETTE CUECO, L’ORDRE NATUREL DES CHOSES
Vue de l’exposition consacrée à Marinette Cueco au LAAC de Dunkerque -Salle 1 – 2021 © Cathy Christiaen, Ville de Dunkerque
EN DIRECT / Exposition Marinette Cueco, L’Ordre naturel des choses
Commissaires Evelyne Artaud et Elena Groud en étroite collaboration avec l’artiste
jusqu’au 05 mars 2022, au LAAC Dunkerque.
Marinette et ses majestueuses cellules
par Laurence Gossart
Des phalanges, des cliquetis, bruissement de gestes ancestraux, de connaissances intimes des cycles du monde inscrits en elle, hominidea, femme qui porte toute notre histoire de maitrise de la main. C’est ce que cette oeuvre invite à découvrir encore et encore. Une précision des pressions, des plissements et torsions de ses doigts agiles ; des nœuds et des tresses, des mailles suspendues, ouvertes et lâches, parfois plus denses, concentrées, rythmées, saccades d’espaces. Les quatre salles, telles des cellules, les unes à côté des autres sont les écrins de cette rétrospective dédiée à l’œuvre de Marinette Cueco. Les cent cinquante mètres carrés de chacune de ces pièces sont à la dimension du travail qui les habite avec une plénitude aérienne où les œuvres jouent des murs et sols. La pureté qui s’en dégage, la fraicheur qui en émane, trace de façon persistante les lignes d’un cycle naturel que Marinette Coeco, d’arborescences en rayonnement, inscrit dans des formes à la géométrie sobre afin que toute la complexité des gestes puisse s’inventer en leur intérieur. Couleurs de terre, couleur de l’ocre, mirage de l’or, l’air traverse ces éléments végétaux séchés, tressés ou noués du bout de ses doigts, du bout de la pulpe agile parfois outillée d’une toute petite pince, à peine, pour serrer un peu plus les liens. Les lignes tracent, les gestes dessinent, la main polit. Ainsi le matériau se pare de brillance, miroite et se dore au gré des caresses de la lumière, des sillons laissés par les passages des regards.
Dès qu’elles sont vues, de loin, les œuvres absorbent, elles conduisent vers elles. Un petit fil d’Ariane, invisible, qui agit, magique, un petit signe qui fascine. Est-ce du fait qu’elle sont fabriquées (et le choix du mot importe ici) à partir d’éléments naturels ? Est-ce cette technique invisible et si présente à la fois qui font que les œuvres tiennent au temps, aux éléments malgré les déplacements ? Des tiges ligneuses que les gestes épousent pour former d’autres lignes, d’autres courbes et redisent autrement la nature, les cycles, les saisons, les comportements des matières.
Glaneuse et cueilleuse, Marinette Cueco cultive une œuvre dans la filiation paysanne où les matériaux les plus pauvres acquièrent une noblesse dans un touché plein de grâce. Mais, plus encore, au-delà de l’écoféminisme et l’éco-art que les réflexions contemporaines mettent en relief depuis quelques années et auxquels on l’associe, il nous semble que son œuvre trouve profondément sa sève généalogique dans ce Rémi Labrusse appelle la « cellule mère de la modernité 1». Originaire de Corrèze, on peut faire l’hypothèse que la Préhistoire, les tracés, les lignes, les matériaux, les différents faires qui agissent au cœur du néolithique, poursuivent en son œuvre leur chemin. Comme une réminiscence moderne, en effet, de cette cellule de l’humanité au cœur des cellules qu’elle dessine de ces gestes.
Elaborée en quatre parties thématiques – Tresses et Entrelacs, Herbiers, Hivernages/Ampélopsis, Ardoises – l’exposition montre la récurrence et le développement des préoccupations de l’artiste. Dans la discrétion, c’est tout au long d’un demi-siècle que s’est épanouie une œuvre élégante et sobre mais dont la pertinence percute particulièrement aujourd’hui l’état de notre vision du monde.
1 Rémi Labrusse, Préhistoire : l’envers du temps, Paris, Hazan, 2019.
