LE GESTE ET LA PAROLE
EN DIRECT / Exposition Le geste et la parole qui s’est tenue du 17 au 19 novembre 2023, à La Petite Fabrique d’Art, Paris
Commissariat Rodolphe Delaunay
Artistes exposés : Adam Farcus, Rodolphe Delaunay, Sophie Dubosc, Yohann Quëland de Saint Pern, Julien Quentel, Pierre Tectin, Alison Yakusawa ainsi qu’un anonyme.
Texte Clare Mary Puyfoulhoux
Le geste et la parole est à la fois une exposition-hommage à Leroi-Gourhan1 et le titre d’un ouvrage de ce dernier, publié en 1963, en deux tomes : Technique et langage, et La mémoire et les rythmes. L’exposition se tenait du 17 au 19 novembre 2023, à La Petite Fabrique d’Art. Le commissaire, Rodolphe Delaunay, avait rassemblé des œuvres puis demandé à Auriane Bel d’écrire un texte et de l’illustrer de croquis, comme autant de relevés pariétaux. On y apprend que
1/ l’exposition « prétend qu’une sculpture, communément entendue comme une forme en volume, a en fait foncièrement à voir avec le mouvement et le langage. »
2/ André Leroi-Gourhan « démontre que (…) le développement des membres antérieurs a libéré la bouche et le cerveau. »
3/ donc « les sculptures sont des morceaux de pensée. »
Le texte qui suit arpente la mémoire d’un.e spectateur.ice de l’exposition, navigue entre les références externes auquel le regard s’accroche pour forger un chemin, et la réception, sensorielle, des propositions plastiques auquel iel a été confronté.e.
L’empreinte est le silence, et le silence est mat comme le bruit du bois qui bat la pierre, comme le pas. L’empreinte est profondeur, elle est le vide du langage, le poids des ligaments qui tiennent le cœur. Les artères de la roche, usées à l’eau, moites. Sombres. L’empreinte est ce qui, indéniablement, et que l’on cherche. C’est d’abord une empreinte. D’abord ma main, ta main, la main posée sur le mur en passant et que l’autre aurait vue, que j’aurais vue, autre. Il fut un temps le flux battait dans les tempes, et le regard accroché, arrimé à un point du mur, au flou périphérique des corps. C’était en certitude, une trouée dans l’espace-temps, le voile s’était déchiré (mais personne n’avait vu). C’est, imagine, une caverne, la paroi rocheuse brillante d’humidité, le grain du calcaire dans le noir caressé par la flamme, par la fumée, par le froid, par la viscosité de la terre, par l’immensité de la paroi structurant la falaise – leurre du plein. C’est s’agripper, glisser, se hisser. C’est franchir, tomber. C’est la délicatesse des éléments qui s’agencent dans le corps et font mouvement, le va-et-vient des bras, la main, le doigt levé. C’est Dibutade, on n’en sort jamais. C’est Lespugue qu’on cherche à nommer.
La gourde porte l’eau, rigide, enveloppe, est condition de ma survie. Sphère ovale, couleur du bouillon de poule ou de la terre quand elle est sale et qu’elle suinte, fertile, se faisant fertile. Fixées à la colle, les pâtes alphabet sont les astres qui ponctuent le ciel, sont la rêverie des mots en gestation dans nos tripes, sont une manière de s’orienter dans l’absurde étendue du monde. Sont un jour pour enfants créées. Constellation, vocable en devenir, à venir. On voit la bouche qui émet un son, le son de celui qui digère, de celui qui a peur, celui qui rit. De quelle dimension parle-t-on ? C’est là que l’autre arrive en creux, car ce n’est pas seulement la paroi qui répercute, c’est le visage qui imprime, l’interaction. Les choses se décomposent en ventre comme elles se décomposent en sol, la chair est un miracle gravitationnel autour de l’os, seul l’air circule. Il suffit d’une pression, d’une intention, d’un accident ou d’un mouvement réflexe, archaïque, pour que la matière ploie. Le goulot est un pied tandis que par ailleurs le bras, qui est une somme d’articulations, qui saisit, indique, enlace, balance. Tandis que l’épaule pour se lover, d’où tire la carrure. Tandis que l’épaule par laquelle je t’attrape, le pli du coude, l’étrange évidence d’une constitution qui passe de mollesse à finesse plus on s’approche de la main. Tandis qu’on m’en suggère la forme, tandis qu’activant le présent, ventre, bras, pas hantés. Et la déclinaison, la répétition, martelant, mais comme un jeu, situé dans le temps, conjuguant la montée des marches et le rythme militaire et le mouvement d’intention, souvenir du temps qui volait. L’ascension se fait au mépris de la verticalité, se fait de travers, s’appréhende frontale, mène à son retour, revient au départ – c’est nécessaire. Tandis que le miracle de la lévitation, du suspens et le choc inévitable, tandis que la nonchalance, la colère, ou la résignation, tandis que la mécanique,
et que c’est corps d’Homme.
Comme autant d’os sur les trous, bouchant imparfaitement les trous, ponctuant le souffle de la même bouche qui boit et parle en devenir, à venir. Danse de squelette pour son strident – white is the flower of plasticized petrol, elastic, shiny, seemingly happy. Une flute est blanche comme l’os, comme le plastique, comme le mur, comme le lait dans le thé, comme la céramique et comme un gant. Esquisse, fantôme. C’est dans l’assiette que les gens ont mangé, dans leurs nez qu’ils ont trouvé à se lier. Lumière, et qui caresse l’œil et qui signale qu’on a gagné la guerre du feu, et qui rassure, et qu’on n’en doute jamais, parce que la main sait mieux.
1 Ethnologue, archéologue et historien français, spécialiste de la Préhistoire.