URSULA CARUEL, ASCENSION BOTANIQUE
Ursula Caruel, Achillea odorata, 42 x 42 cm / mine de plomb, encre et fil
EN DIRECT / Exposition Ascension botanique, Ursula Caruel
Jusqu’au 31 juillet 2021, Chapelle des Pénitents gris, Caromb, Ventoux
par Pauline Lisowski
Ursula Caruel n’a de cesse d’explorer différentes techniques de dessin tout en y ajoutant ses savoir-faire en art textile. Les milieux naturels qu’elle parcourt inspirent ses séries d’œuvres sur papier et ses wall drawings. Elle établit des connexions sensibles avec les végétaux, des relations fraternelles qui lui permettent d’entrer en contact avec le monde. Ses œuvres associent son amour pour les plantes, son goût pour les sciences et sa grande liberté en matière de création.
Sa démarche artistique relève d’une disponibilité permettant l’attention, la contemplation, l’émerveillement face à la biodiversité qui constitue la richesse des paysages. Pour l’artiste, chaque fois qu’elle marche, le paysage se déplace autour d’elle. Local et nomade, le milieu naturel constitue un terrain où elle puise ses sources d’inspiration. Elle s’approprie la nature, ses sens ouverts, en prenant le temps de comprendre les espèces natives de l’environnement qu’elle explore. Deux lectures sont à l’origine de sa nouvelle série de dessins, la lettre de Pétrarque sur l’ascension du Mont Ventoux et un récit du botaniste Jean-Henri Fabre. Celui-ci a listé 177 espèces qu’il a observé en 1865. Ursula Caruel s’est intéressée à cette montagne qui culmine à plus de 1900 mètres et qui a été l’objet de nombreuses explorations. Sa découverte des dessins du botaniste l’a incitée à répertorier les images des plantes issues de la liste établie. L’artiste s’emploie alors à un travail de reconnaissance par des mises en correspondance entre dessin botanique et photographie.
Elle cherche à faire sortir son dessin du cadre en accompagnant notamment sa ligne de fils dorés, traduisant ainsi un souvenir de cueillette. Chaque espèce est représentée sous au moins deux angles différents, sous plusieurs stades d’évolution et durant plusieurs saisons, de façon à traduire leurs particularités, leur structure et le temps du végétal. Entre l’esquisse et le trait fin à l’encre, L’artiste crée des habitats, des écosystèmes et rend compte d’une forme de sociologie des plantes. Dans certains dessins, des envolées de pétales, des fragments, des graines se donnent à voir. La dorure symbolise pour elle, les décharges émotionnelles et la richesse de celles-ci.
Le souvenir d’un état du végétal, un instant d’observation, d’étude, incite alors à nous engager dans la préservation d’un milieu naturel.
Les fils qui sortent du cadre en bois rendent le dessin vivant et peuvent suggérer des racines ou d’autres parties de la plante. Au-delà, l’artiste déconstruit les codes de cet art classique en faisant déborder son œuvre du passe-partout… En dépassant la limite du cadre habituel dédié au dessin, elle s’affranchit des limites qu’on donne habituellement au sujet représenté, nous proposant ainsi d’étendre notre champ visuel pour mieux comprendre l’environnement dans lequel on se trouve. L’espace de la feuille constitue ainsi une métaphore d’un milieu naturel où observer la flore à divers moments de l’année.
Nourrie de son intérêt pour les dessins de Pierre-Joseph Redouté et ceux de Francis Hallé Ursula Caruel revisite l’art du dessin botanique, et l’herbier comme objet scientifique et artistique tout en expérimentant une diversité de techniques, faisant émerger ses sujets dans leur mouvement. Entre dessin botanique et motif décoratif, ses œuvres sur papier témoignent de l’histoire de la représentation du végétal. L’artiste nous invite à regarder les espèces endémiques et les adventices qui indiquent les qualités d’un paysage. Elle met en lumière la vie des plantes et leur métamorphose. L’évanescence de la nature est gardée en mémoire comme si l’artiste tentait de saisir les états successifs d’une fleur, de la naissance à la fanaison, jusqu’à la dispersion des graines.
Ses œuvres nous ouvrent les portes vers l’observation d’une nature à proximité de chez soi, avec laquelle entrer en communion, pour mieux la connaître et la préserver. Au-delà du contact avec le végétal, une approche des autres êtres vivants non humains est rendue possible en prenant le temps d’explorer le paysage par de longues marches.
Dans la chapelle des Pénitents gris, les dessins d’Ursula Caruel peuvent aussi nous amener à songer à une forme d’archéologie d’une végétation oubliée. En parcourant ce lieu de mémoire, ses œuvres sur papier apparaissent comme des bijoux de nature à protéger. N’y-a-t-il pas dans ce travail artistique une part de rêverie et d’espoir de conserver les traces d’une biodiversité foisonnante ? L’artiste prend soin de recoudre la nature fragilisée et qui pourtant résiste à l’impact des aménagements urbains.
