WHITNEY ORVILLE, SACRÉE

WHITNEY ORVILLE, SACRÉE

Vue exposition Sacrée, Whitney Orville (œuvres et scénographie)

EN DIRECT / Exposition Sacrée de Whitney Orville
jusqu’au 1er novembre 2020, Galerie du Comble, Virton, Belgique

par Athénaïs Rz, Historienne de l’art

Sacrée

Silence, ça crée ! Ça crée des œuvres muettes ! En 1639, dans une lettre à Sublet de Noyers, Nicolas Poussin écrivit qu’il « [faisait] profession des choses muettes ». En effet, qu’elle soit peinture, sculpture, mosaïque, photo, dessin ou autre, l’image fixe ne parle pas. Mais paradoxalement elle parle à tout le monde, à toute âme éveillée. Elle parle à chacun dans un langage inintelligible par autrui. Elle parle même tellement fort que les iconoclastes de tous les temps et de toutes les anticultures ont toujours voulu la faire taire, martelant la face d’Akhénaton, brûlant Botticelli, condamnant « l’art dégénéré », canonnant les Bouddhas de Bamiyan…

L’image est puissance. Pour cela, elle est crainte. Elle est sacralisée. Taboue parfois. Idolâtrée aussi. Presque toujours mise à part, à l’écart, en exergue, en évidence, dans un cadre, sur un piédestal… Du fond ténébreux de la grotte de Lascaux aux salles rutilantes du Louvre Abu Dhabi, l’Homme s’est échiné à la placer dans des sanctuaires. Mais d’abord, dans la culture dont nous procédons, elle fut interdite : « Tu ne te feras point d’image taillée ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre » (Ex 20:4). Puis Abgar reçut le fameux portrait de Jésus. La prohibition s’en trouva abrogée. L’image était essentiellement sacrée.

Mais c’est l’amour profane qui avait guidé la main de Dibutade.

On le voit, l’évocation de la raison d’être des images conduisait souvent à mêler mythe et réalité. Mais au 21e siècle, les légendes n’ont plus cours. Le merveilleux n’est d’aucun secours pour appréhender la profusion contemporaine d’images dépourvues de raison d’être : des images qui n’ont rien à dire.

C’est probablement sur le socle de ce constat que s’édifie la démarche artistique de Whitney Orville. Retrouver, restaurer la langue ésotérique des images, cette langue des oiseaux que l’âme seule peut décrypter, c’est ce qui semble motiver l’artiste. La jeunesse de Whitney lui laisse le temps de verbaliser ce qui anime sa main. Toutefois des quelques lignes qu’elle a écrites pour préparer l’exposition à la Galerie du Comble peut se deviner le procès esthétique de sa création. C’est, lit-on sous sa plume, « comme si chaque chose enfermait en elle le secret (de la beauté) de la vie ». L’artiste doit « apprendre à voir la beauté en toutes choses puis […] la traduire sans dénaturer ces mêmes choses. »

De quelles « choses » parle-t-on ? C’est ici l’observation de la production plastique de notre artiste qui autorise à formuler une (première) réponse. Les « choses », c’est tout, absolument tout : le visible et l’invisible, le sensible et l’immatériel, le naturel et l’artificiel… Tout ! Tout, dans la philosophie de l’art de Whitney Orville, peut offrir à l’artiste « un moment incontournable à matérialiser ». Ce moment, il incombe à l’artiste de l’isoler, d’en dégager plastiquement ce qui a provoqué en elle la sensation particulière qu’elle veut pérenniser, qu’elle veut offrir à la contemplation du spectateur, qu’elle veut inviter celui-ci à partager pour qu’il puisse « exister davantage ». Par son contact privilégié avec le moment de grâce vécu par l’artiste, l’œuvre accède à un statut distinct, elle rejoint un domaine séparé de la vie séculière. Elle devient sacrée.

« Mes élans passionnés, écrit Whitney Orville, voient de la magie dans le banal et souhaitent faire transpirer le sacré dans la matière pour le partager ensuite. » Ce moment où la beauté a été perçue par l’âme de l’artiste peut donc avoir été suscité par la rencontre avec une personne, par la vue d’un objet, par l’audition d’un propos, par n’importe quoi en fait. La disparité, l’hétérogénéité des genres pratiqués et des thèmes abordés par l’artiste résultent directement de ce parti-pris éclectique.

N’importe quoi, c’est donc aussi ce qui émane de l’inconscient. La toile1 qui a été retenue pour l’affiche de l’exposition est le résultat d’une peinture automatique. Qu’y voit-on ?

Surtout du vert et du rose. Le vert, c’est de la végétation envahissant la majeure partie de l’image : des arbres touffus et des buissons. Le rose, c’est une déferlante qui tombe en diagonale d’une trouée ouverte sur un morceau de ciel où s’imprime un croissant de lune de même coloris, mais plus foncé. Des formes géométriques irréelles troublent cette vision presque tirée du visible : des segments de droite se coupant à angle droit suggèrent un escalier que noierait le fort flot rose ; celui-ci semble à la fois passer sur et sous une arche dépourvue d’utilité pratique ; de la large vague émerge par ailleurs une longue tige rectiligne verte paraissant, à la manière d’une figure impossible, être devant et derrière le simulacre de pont. Plus confortable pour l’œil cartésien, juste à côté de la pile de ce pont, mais appartenant à l’arrière-plan, jaillit une source donnant naissance à une cascade vivace et limpide provoquant un épais bouillonnement sur le plan d’eau qu’elle percute. Le centre de l’image se compose de formes imprécises, mais concentriques utilisant des nuances de vert s’assombrissant vers le centre. L’effet visuel centripète induit l’idée d’un antre ou celle du tréfonds d’une épaisse forêt.

À quel spectateur cette image écrite dans la langue des oiseaux peut-elle parler ? À l’artiste d’abord qui ouvrira son âme à ce qu’a donné la propre face cachée de celle-ci, l’inconscient. Au moyen d’un exercice d’écriture automatique, Whitney Orville consigne par écrit ce qu’elle ressent devant le tableau. La lettre métamorphose l’image. On sent qu’il est question de l’amour (ou d’un amour) qui n’est pas nommé. Pudeur ou superstition ? Mais clairement – explicitement ou par métaphores – la sensualité, la sexualité et les émotions ressenties avec ou face à l’être aimé se manifestent dans les mots et les phrases. La peur aussi. L’écriture automatique ne possède toutefois pas un pouvoir absolu d’épiphanie. La prose produite constitue elle-même une œuvre adjacente et cryptée. Le spectateur de l’image commentée sera donc celui dont l’attirance pour l’herméneutique fait apprécier les œuvres des surréalistes.

On le comprend à cet exemple extrême : dans le système esthétique de notre artiste, l’art ne peut s’envisager que comme total. Dès lors, il n’existera aucune hiérarchie entre les disciplines : toutes sont également aptes à « faire transpirer le sacré ». On ne peut pas toutefois ne pas souligner que cette audace est autorisée à W. Orville par son don exceptionnel pour la peinture et pour le dessin. Elle était encore très jeune (dans ses années de bac2) qu’elle n’avait déjà dans ces techniques plus grand-chose à apprendre. Elle a donc pu se consacrer librement aux expérimentations artistiques qui exigent de la maturité.

Cette conception du rôle de l’artiste comme maître d’œuvre d’un art total implique que la monstration du travail relève elle-même de la création. C’est le moyen par lequel l’artiste peut tenter de guider le spectateur – confronté à la double multiplicité que l’on a dite – dans la recherche de « l’identité cohérente sous-jacente ». Whitney Orville est donc la commissaire de sa propre exposition. Il n’y a aucun médiateur entre elle et le visiteur. Si celui-ci consent à communier dans l’œuvre, s’il rend son âme disponible, s’il la laisse écouter, il entendra les voix du silence.

1 « Paysage intérieur » (autoportrait), 40 x 30 cm, huile et acrylique sur toile, 2020.
2 Équivalent belge de la licence française.

Whitney Orville, Paysage intérieur (autoportrait), 40 x 30 cm,
huile et acrylique sur toile, 2020.
« Paysage intérieur » (autoportrait), 40 x 30 cm, huile et acrylique sur toile, 2020.

[Texte écrit à l’occasion de l’exposition personnelle de Whitney Orville à la Galerie du Comble : Sacrée, du 3 octobre au 1er novembre 2020 – https://galerieducomble.tumblr.com]

15 août 2020, Athénaïs Rz, Historienne de l’art

WHITNEY ORVILLE – BIOGRAPHIE
Née au Grand-Duché, Whitney Orville a passé sa jeunesse dans le sud de la province belge de Luxembourg.
Elle a ensuite étudié la peinture à Saint-Luc Liège (bac) puis les arts plastiques aux Beaux-arts de Bruxelles (master).
Aujourd’hui, elle vit et travaille à Bruxelles.
http://www.whitneyorville.daportfolio.com

Exposition Sacrée de Whitney Orville jusqu'au 1er novembre 2020, Galerie du Comble, Virton, Belgique
Exposition Sacrée de Whitney Orville jusqu’au 1er novembre 2020, Galerie du Comble, Virton, Belgique
Exposition Sacrée de Whitney Orville jusqu'au 1er novembre 2020, Galerie du Comble, Virton, Belgique
Exposition Sacrée de Whitney Orville jusqu’au 1er novembre 2020, Galerie du Comble, Virton, Belgique
Exposition Sacrée de Whitney Orville jusqu'au 1er novembre 2020, Galerie du Comble, Virton, Belgique
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