DAVID CASINI

DAVID CASINI

David Casini, Le sorelle, 2020 (Détail) Céramique, laiton, peinture synthétique, verre, impression UV, verre trempé, film acétate, fruits confits 157 x 50 x 23 cm. Unique. Courtesy de l’artiste et Galerie Valeria Cetraro

FOCUS / David Casini
Initialement paru dans la revue trimestrielle Point contemporain #19 décembre-janvier-février 2021

Par Valérie Toubas et Daniel Guionnet, fondateurs et rédacteurs en chef de la Revue Point Contemporain

Les rigoureuses constructions de David Casini relèvent des représentations spatiales que Brunelleschi, Léonard de Vinci et leurs héritiers ont puisées dans les formes naturelles, celle hélicoïdale d’un coquillage marin, rhizomique d’une éponge de mer, solaire d’un citron… Des recherches qui traduisent l’aspiration d’inscrire l’Homme dans un Tout aussi harmonieux que la grande Création, image suprême de la perfection. Aucune des lois physiques fondamentales sur la gravité, le mouvement, la relativité, aucun effet rétinien, sensation tactile ou élaboration mentale de l’espace, n’échappent
à l’artiste. Il opère avec méthode sur ces paramètres qui accompagnent tout agencement de formes, toute cosmogonie, soit-elle majeure ou minuscule. David Casini nous invite au déchiffrement autant analytique que ludique d’un rébus énigmatique, et à porter avec lui un regard attentif sur notre quotidien à travers la compréhension et l’organisation de la matière. Pièces détachées, de leur carrière granitique, de leur livre d’histoire, des profondeurs de la mer ou de la mémoire, les fragments assemblés en suspension dans une architecture de fer deviennent la métaphore d’une structure narrative à venir, multiple et protéiforme.

Libérées de cette pesanteur terrestre qui contraint la pensée, arrachées à l’état de réalité, ces compositions sur socle, suspendues à une cimaise, ou encadrées comme autant de mondes autonomes et inclusifs, nous rendent dépendant de l’attraction désirable des éléments qui les composent. Il y est question d’inconnu, d’autres versants de l’espace et du temps, de traversée dans les contrées de la matière et du vide, dans
la juste vision de son échelle permettant de se rendre compte de l’immensité dans laquelle on peut s’accomplir soi-même. Comme dans l’hyper-roman Si par une nuit d’hiver un voyageur d’Italo Calvino, chaque construction devient une hyper-œuvre, une « machine à multiplier les récits1 » où le vécu vient compléter la figure « morcelée » de celui qui les regarde. En effet les œuvres de David Casini ne sauraient s’appréhender comme l’application des règles mathématiques, de la perspective et de la philosophie humaniste revisitées sous forme de displays. À travers la vision de paysages italiens, d’architectures utopiques ou d’œuvres de la Renaissance florentine, elles interprètent les possibles d’une humanité en proie à l’errance dans sa propre mémoire et qui vit dans un désordre permanent.

Espaces satellitaires, les mondes de David Casini proposent une expérience inédite, interagissant avec le regard qui les pénètre par la mise en relation avec la potentialité esthétique des formes et des matériaux : cercles de couleurs, moulages, modelages, fragments calcifiés ou sédimentaires, transparence des protections d’écrans. Par l’exigence toujours renouvelée de l’imbrication des objets dans leur perspective poétique, l’artiste nous rappelle celle de Cesare Pavese dans la construction de ses poèmes qu’il retrace dans Le Métier de vivre. Les paysages offerts au regard abordent les multiples rivages de la pensée, les contrées avant-gardistes des Futuristes, l’expérience de visions cubistes ou conceptuelles, celles encore des philosophies spéculatives. Ils renaissent de la tradition de la marqueterie, de la chaudronnerie, tout autant que dans les matériaux hi-tech d’un futur non encore advenu.

N’est-ce pas là toujours renouvelée la métaphore du Grand Voyage, celui de la traversée de la vie comme accomplissement ? La route est fixée, la destination non connue mais pressentie, il s’agit alors de s’engager vers l’avant, avec pour perspective, un lointain qui prendra l’aspect d’une découverte australe, avec pour seules références les repères essentiels que nous ont donnés l’artiste et ses compagnons de toutes les époques. Que de magie dans l’intuition qu’ils nous donnent de la réalité du monde dans lequel nous vivons ! David Casini nous ouvre la voie, avec ces corps suspendus, nous enjoint à nous défaire de notre pesanteur terrestre, à glaner les images du subconscient, à allumer notre lanterne magique intérieure, à ne plus sentir le poids des matériaux précieux, ces éclats du réel, dans la pesée de l’âme, pour sentir enfin que s’ouvre en nous l’enchantement de la vie.

1 – https://www.oulipo.net/fr/contraintes/hyper-roman

Valérie Toubas et Daniel Guionnet
Fondateurs et rédacteurs en chef de la Revue Point Contemporain

David Casini / Ritratto di giovane con libro / 2020
David Casini / Ritratto di giovane con libro / 2020
David Casini / Via del Guasto / 2020
David Casini / Via del Guasto / 2020
David Casini / Sorgenti rigeneranti / 2020
David Casini / Sorgenti rigeneranti / 2020
David Casini / Castiglion Ubertini / 2018
David Casini / Castiglion Ubertini / 2018

DAVID CASINI – BIOGRAPHIE
Né en 1973 à Montevarchi, Toscane (Italie)
Vit et travaille à Bologne
Diplômé de l’École des Beaux-Arts de Florence (1997)
Prix Carapelli for Art (Italie) en 2018
www.davidcasini.com

Représenté par Galerie Valeria Cetraro, Paris
www.galerievaleriacetraro.com