L’écriture : l’autre image de soi

L’écriture : l’autre image de soi

Triptyques des futurs souhaitables, volet 1, bois et acrylique, 80×80 cm, Maud LC 2012

PORTRAIT D’ARTISTE / Romain Arazm à propos du travail de Maud Louvrier-Clerc

« Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre »1.

A peine vient-il de sortir du ventre de sa mère que le maïeuticien enserre la cheville du nourrisson d’un bracelet d’identification. La graphie noire mentionne, au milieu d’un rectangle blanc, un prénom et une date. A toute allure, l’immensité d’une vie s’écoule, simple battement d’ailes entre deux éternités. A peine vient-il d’entrer dans les froides profondeurs de la terre que la famille du défunt fait graver sur le marbre de son tombeau l’épitaphe que liront des proches venus se recueillir puis, bien vite, des passants anonymes.

Ainsi de la naissance à la mort, d’un simple prénom  donné par ses parents à une sentence murement réfléchis, l’écriture façonne l’identité et permet d’en  fixer les contours pour la rendre visible aux yeux des autres.

Lorsque, dans le cadre du protocole artistique « Je Monde » – mise en place à partir de 2014 – Maud LC interroge la délimitation à géométrie variable qu’est l’identité,  la plasticien entend faire des portraits par l’unique truchement des mots qu’ils  ont choisi.

Face à la forme, les mots sont exigeants. La première se donne à voir, tandis que les seconds se lisent, se comprennent et mettent en branle la puissance imaginante de l’esprit. Déclenchée par la diminution  phénoménale du coût de leur production, l’avalanche d’images –  certains convoquerait davantage la sémantique de la diarrhée ou du vomissement – n’a  pas déraciné les mots qui s’accrochent , malgré tout, aux flancs de la colline.

 A moins d’imiter la ru se d’Ulysse qui, comme le raconte Homère, répond au cyclope Polyphème  l’interrogeant sur son identité, qu’il n’est personne2, à moins  d’avoir l’infini sagesse de YHVM se contentant, au sommet du mont Sinaï, de révéler  qu’Il est (Ehyeh Asher Ehyeh)3, la question de  l’identité est redoutable. Source de nuits d’insomnie, objet de la recherche d’une vie entière, les réponses au je-suis peuvent désarçonner et, le cas échéant, effrayer.

Répondre avec des mots  c’est ériger des frontières rigides et stables dans une topographie fréquemment touchée par les séismes.  Valant pour l’instant, la définition est, sans cesse, toujours obsolète. Dans ces exercice proposé, les mots traduisent qui nous sommes  jusqu’à se substituer  à l’individu que nous avons patiemment sculpter depuis notre naissance.

En proposant des débuts de phrases («  Je suis… », «  Je vis dans un monde… », «  mon engagement… », «  ma citation préférée… »), Maud LC circonscrit la superficie infinie des possibles et aiguillonne les éléments de réponse s afin d’en faciliter leur expression. Les quatre axes définitionnels que  l’artiste a choisi comme canevas constituent à ses yeux les quatre piliers fondamentaux d’une identité en réseau. Certains, comme le prénom, préexiste à la mise en branle de notre conscience mais nous relie aux temps p assé, d’autre, comme la citation et l’engagement, illustrent notre itinéraire intellectuel et notre libre arbitre.

A u fil des ans, d’un continent à l’autre, le protocole « Je monde » a récolté des portraits en éradiquant  l’image. Les visages sont absence de ces portraits. Seul l ’écrit demeure. La graphie noire des lettres formant un cercle devient la trace  d’une identité, le vestige  d’un être. Ainsi, les portraits des innombrables parties façonnent, peu à peu, celui  d’un tout, d’un monde et d’une époque. Les attributs révèlent la Substance par un subtil jeu de miroirs.

De ce point de vue, ces portraits radicalisent un  emploi de l’écriture comme l’expression privilégiée  d’un être au monde.

De l’autonomie progressive du genre du portrait, consécutive de  l’individualisation engendrée par le courant Humanisme au XVe siècle à la pratique contemporaine du selfies, par-delà la diversité des pratiques artistiques et de leur hiérarchie, cheminons au sein des innombrables  usages de l’écrit comme  véhicule de l’expression de soi. L’itinéraire proposé suit volontairement la ligne de crète entre l’image et le texte, les arts plastiques et la littérature. Tantôt les lettres se juxtaposent tantôt elles substituent aux  portraits, comme dans la présente oeuvre de plasticienne Maud LC.

1 Exode 20, 4
2 Homère, Odyssée, chant IX
3 Exode 3, 14

Maud Louvrier-Clerc
Née en 1976
artiste plasticienne et designer

www.maudlouvrierclerc.com

Actualités de Maud Louvrier-Clerc :
www.agenda-pointcontemporain.com/tag/maud-louvrier-clerc/

courtesy Maud Louvrier-Clerc
Protocole « J’ai découvert des futurs souhaitables »,
épisode Darwin, photographie et texte; Maud LC 2013
courtesy Maud Louvrier-Clerc
courtesy Maud Louvrier-Clerc
Je suis née Louve, photographie, Maud LC 2014
courtesy Maud Louvrier-Clerc
courtesy Maud Louvrier-Clerc
Variations carrond, canson sur tvx, 20*20 cm, Maud LC 2011 
courtesy Maud Louvrier-Clerc