MARIUS PONS DE VINCENT

MARIUS PONS DE VINCENT

Marius Pons de Vincent, Studio 8 (impression soleil couchant), huile sur bois, 110 x 90 cm, 2020

PORTRAIT D’ARTISTE / Marius Pons de Vincent
Par Xavier Bourgine

Introduction aux œuvres d’une peinture permissive

La peinture figurative n’est pas toujours si mimétique qu’on croit. Après une série de naturistes au cœur de paysages (La planche ou L’Arno, 2015) qui se prêtait peut-être trop à la métaphore de l’homme dans la nature et aux récupérations écologiques qui vont de pair, Marius Pons de Vincent a décidé de replier sa pratique sur la peinture elle-même. Tout comme Jean Le Gac à partir de 1968 renonçait à la peinture directe au profit d’une mise en scène photo-textuelle d’un personnage de peintre plus ou moins amateur (comme dans la série Introduction aux œuvres d’un peintre dans mon genre), Marius Pons de Vincent en est venu à s’intéresser aux artefacts qui nourrissent la peinture et à ceux qu’elle produit incidemment – ses outils et ses déchets : chevalet, chiffons maculés, raclure de peinture encore fraîche récupérée sur les palettes de verre, ces mêmes palettes parfois remployées directement. 

Marius Pons de Vincent, La planche, huile sur toile, 150 x180 cm, 2015
Marius Pons de Vincent, La planche, huile sur toile, 150 x180 cm, 2015

Ce retour à l’atelier, mouvement symétrique d’un retour contemporain à la nature parfois bien artificiel, aboutit à produire des « tableaux qui n’existent pas », ainsi qu’à une exploration intime de la picturalité, ou pour, paraphraser Barthes, à la captation du « frémissement du désir de peindre ». Il ouvre aussi des espaces intimes, des « structures permitives », au sens où elles permettent une peinture qui ne soit ni proprement figurative, ni véritablement abstraite, mais une peinture autogénérée ou autophage, réalisée à partir d’elle-même. Structures permissives également, qui autorisent le peintre à s’affranchir des appellations et des codes, du fini et du léché, avec parfois un trait enfantin ou des collaborations avec son fils (Collaboration avec mon fils Jonas, 2020). Il s’agit donc moins d’un retour à la peinture, que le peintre a toujours pratiquée, au point de s’interroger plus généralement sur le régime de surexposition dont celle-ci bénéficie depuis quelques années, que d’un retour à la picturalité.

Marius Pons de Vincent, Collaboration avec mon fils Jonas, aquarelle, feutre et graphite sur papier, 29,7 x 21 cm, 2020/21
Marius Pons de Vincent, Collaboration avec mon fils Jonas, aquarelle, feutre et graphite sur papier, 29,7 x 21 cm, 2020/21

Plusieurs travaux en sont issus. Avec Les chevalets, Marius Pons de Vincent utilise ses palettes en verre et ses chiffons, qu’il met en scène par un jeu de recadrage, en peignant sur ou sous le verre ou en rentoilant ses chiffons usagés, pour donner lieu à de nouvelles compositions. Ainsi, par un jeu de mise en abyme, une nouvelle toile apparaît sur un chevalet héritier des grandes représentations d’ateliers d’artiste, mais, à la façon du chef-d’œuvre inconnu, cette toile demeure une masse de matière méconnaissable et illisible (Croûte sur chevalet, 2020). Parfois, des formes abstraites plus complexes émergent, qui sont autant de portraits de proches ou plutôt de traits (de caractère) de connaissances et amis, dans une démarche semblable aux Pensées sans langage de Picabia, qui avaient alimenté le scandale au salon d’automne de 1920 par sa stylisation abstraite et machiniste des interactions humaine, même s’il n’est pas question ici de mécanique, le vocabulaire étant plus proche du « tubisme » de Fernand Léger.

Marius Pons de Vincent, Croûte sur chevalet, huile sur/sous verre, 40 x 50 cm, 2020
Marius Pons de Vincent, Croûte sur chevalet, huile sur/sous verre, 40 x 50 cm, 2020

Au-delà des outils du peintre, Les bureaux et Les copies investissent son espace de travail, saisi depuis un surplomb radical qui tend à aplanir la peinture, malgré une évidente profondeur : ainsi le matelas sur lequel le peintre fait la sieste (Le lit d’appoint, 2019), sa tasse de café, les feuilles sur lesquelles il crayonne (Copie au stylo, 2022), ses stylos et ses pinceaux passent au crible d’une représentation stricte, documentaire s’il n’était une composition très travaillée, des rapprochements insolites ou des parasitages, par des flèches d’arc, des fenêtres pop-up d’une version périmée d’un système d’exploitation, qui ne sont pas sans rappeler l’ironie d’un Magritte ou la saturation visuelle de la Grosse fatiguede Camille Henrot. Voilà donc qu’un Saint-Sébastien droit emprunté à Antonello da Messina se retrouve dans des couleurs très pop sagitté par des pointeurs de souris d’ordinateur (Sans titre, 2019) ; ou qu’une imprimante tire une image verticale de coucher de soleil, parodie de Monet (Studio 8 (impression soleil couchant), 2020).

Marius Pons de Vincent, Le lit d’appoint, huile sur bois, 150 x 90 cm, 2019
Marius Pons de Vincent, Le lit d’appoint, huile sur bois, 150 x 90 cm, 2019

Dans cet univers qui ramène aux structures élémentaires de la peinture, s’immiscent parfois des autoportraits, des portraits et des natures mortes, celle-ci réduites à leur plus simple expression : une pomme (Sans titre, 2022), un avocat, ou une prise électrique dans un jeu illusionniste à la Victor Dubreuil, dont le Five dollar bill a marqué le peintre lors de la récente exposition Les Choses au Louvre. Si ces intrusions du réel restent parfois parcellaires, comme sur certains autoportraits encore contaminés par les chiffons et les palettes (Sans titre, 2021), quand le peintre « invite quelqu’un dans sa peinture », ou dans la structure de celle-ci, il lui laisse toute la place. Le double-portrait Renaissance, traditionnellement face-à-face, est ainsi réinvesti dans un côte-à-côte où chaque corps est mis à l’échelle de l’autre, annulant la distance qui les sépare, créant un être hybride moins bicéphale que profilé, comme dans M.S. & S.M. (2022) ou E.V. & G.G (2018).

Marius Pons de Vincent, Sans titre, huile sur bois, 13 x 11 cm, 2022
Marius Pons de Vincent, Sans titre, huile sur bois, 13 x 11 cm, 2022

C’est certainement ce traitement perspectif plan, presque paradoxal, qui donne à l’ensemble des séries leur uniformité stylistique. Au contraire d’un Gérard Gasiorowski dont le passage de l’hyperréalisme avec sa série L’Approche à la disparition du motif avec Les Impuissances se traduit par une rupture grammaticale totale, les différentes séries de Marius Pons de Vincent communiquent avec un langage commun, qui rappelle la planéité enfantine des toiles hyperréalistes de Malcom Morley. Lui aussi jouait des collisions entre époques et allusions picturales : ses chevaliers de profil sur des aplats de couleur vive (Tilting, 2017, une de ses dernières œuvres), rappellent à la fois les fonds et l’impression de netteté et de découpage des figures de Marius Pons de Vincent. Il n’est pas plus surprenant que Malcolm Morley et Gérard Gasiorowski, ces « deux destructeurs des apparences », se soient fréquentés, comme le rappelle Philippe Dagen, et qu’ils soient tous deux regardés par Marius Pons de Vincent.

Loin de détruire pourtant, puisqu’ici le geste premier de renoncement aboutit au contraire à conserver, recueillir et recycler, Marius Pons de Vincent souligne les apparences que le monde se donne, les rôles que chacun y joue et les aberrations des conventions de sa représentation picturale. Il parvient ainsi à une peinture dont l’hyperréalisme peut accueillir la fausseté, dont la rigueur et le sérieux peuvent laisser la place au sourire et à la liberté. 

Xavier Bourgine

Marius Pons de Vincent, M.S & S.M, huile sur bois, 52,5 x 38,5 cm, 2022
Marius Pons de Vincent, M.S & S.M, huile sur bois, 52,5 x 38,5 cm, 2022