Pétrel / Roumagnac (duo) – Une exposition de rêves – Galerie Escougnou-Cétraro

Pétrel / Roumagnac (duo) – Une exposition de rêves – Galerie Escougnou-Cétraro

En direct de l’exposition Une exposition de rêves du 02 au 30 juillet 2016, Galerie Escougnou-Cétraro 7, rue Saint-Claude 75003 Paris.

Artistes : Aurélie Pétrel et Vincent Roumagnac mènent depuis 2012 une recherche collaborative en duo.

 

… de rêve en rêve, entre une dialectique du cache-cache et une imagerie du duplice par Laurence Gossart

« Pensées du rêve et contenus du rêve sont devant nous comme deux représentations du même contenu dans deux langues différentes (…) le contenu onirique est en quelque sorte donné dans une écriture iconique dont les signes doivent être transposés un à un dans la langue des pensées du rêve. » Sigmund Freud, L’Interprétation des rêves.

Tout d’abord il y eut un prologue, un acte I, Côté jardin, de cette pièce qui en comporte cinq en tout. Actuellement à la Galerie Escougnou-Cetraro se déroule l’acte II, Côté cour. Cette proposition du duo Pétrel / Roumagnac joue sur la lisière de ce qu’ils nomment leur « protocole de réactivation » – dispositif existant dans leur pratique depuis 4 ans – et qu’ils déploient ici en regard de l’œuvre de Shakespeare, Le Songe d’une nuit d’été. Leur attention s’est portée sur les trente scènes qui se déroulent dans le bois. Ces dernières sont au cœur de la pièce de Shakespeare. Elles forment comme une alcôve  isolée dans le temps et l’espace, un bois, comme l’île sur laquelle le duo Pétrel / Roumagnac, accompagné de Nagi Gianni et de Simo Kellokumpu, s’est rendu pour incarner la pièce et en photographier des temps. Rêves, songes et mythes s’y côtoient sans réalisme, autorisant tous les probables en latence que la conscience refoule.

Pétrel I Roumagnac (duo), de rêves, acte I, jardin, 2016 Vue d’exposition, Cité Internationale Des Arts de Montmartre
Pétrel I Roumagnac (duo), de rêves, acte I, jardin, 2016
Vue d’exposition, Cité Internationale Des Arts de Montmartre

Derrière chacun des sept masques réalisés pour l’occasion par Nagi Gianni, se trouvent des âmes, des incarnations mouvantes des personnages qui peuplent l’imaginaire de la forêt. D’intrigue en renversement, de trame narrative en fil conducteur allusif, les fragments qui composent cette œuvre s’irriguent de strates de mémoire qui, chaque nuit, comme les rêves, font réapparaître d’autres aspects de l’histoire. Dans les transparences et opacités vibratiles des supports se cache la part inconsciente, la part ensevelie des méandres de la psyché humaine qu’incarnent tour à tour fée, faune, flore et êtres.

Petrel I Roumagnac (duo), de rêves, acte II, cour, 2016 Vue d’exposition, Galerie Escougnou-Cetraro
Petrel I Roumagnac (duo), de rêves, acte II, cour, 2016
Vue d’exposition, Galerie Escougnou-Cetraro

De rêve en rêve on assiste à une déclinaison poreuse du sens de la pièce initiale qui sert de prétexte. De « pré-texte », dit Vincent Roumagnac… car il y a  tout autant prétexte que support pour les images qui se déplacent de formes en contre-formes. Cette proposition en cinq temps ne se présente pas comme une illustration de la pièce de l’auteur anglais, mais bien plus comme un miroitement, une déclinaison spéculaire, voire spectrale, de cette dernière. Le temps du rêve dans ce huis-clos manifeste le latent et l’indicible au-delà de l’image, grâce aux compositions chaque jour renouvelées. Il y a bien des combinaisons, des agencements, des organisations de pièces, des pièces entendues comme éléments, des « pieces » comme le dit l’anglais. Des mises en abyme de l’idée de pièce ou bien un jeu sur la polysémie du terme même. Le mot mute, comme les images mutent. Dans ces combinaisons renouvelées, le sens et les images se meuvent dans les rêves en veille.

Pétrel I Roumagnac (duo), de rêves, acte I, jardin, 2016 Vue d’exposition, Galerie Escougnou-Cetraro
Pétrel I Roumagnac (duo), de rêves, acte I, jardin, 2016
Vue d’exposition, Galerie Escougnou-Cetraro

La pièce est mise en pièces, dégorge son sens à l’instar des « pensées » et « contenus » du rêve grâce aux combinaisons du duo. La double face du rêve agit comme modus operandi dans la galerie. Le passage du seuil d’une pièce à l’autre est comme le franchissement du seuil de l’état de veille à celui de sommeil, du monde des Idées au monde sensible, du monde initial à son duplicata. Dans ces jeux de duperies, de cache-cache et d’illusion, le duo se décline et déploie les pièces de dilatation en compression. A l’instar du rêve qui opère un travail de condensation, l’œuvre se compresse et se dilate au fur et à mesure des cinq actes. Ceci conduit à penser l’œuvre dans l’œuvre, chaque temps d’exposition faisant fragment et déploiement. La pièce de théâtre opère ainsi comme processus narratif, comme mouvement sous-jacent. Quant aux pièces du duo, elles reconstruisent, réassemblent, recomposent, en d’autres termes, réactivent l’œuvre et la dilatent.

Dans ce deuxième acte, les jeux d’acteurs et d’illusionnistes des artistes se répètent, car ils modifient chaque nuit l’œuvre, en déplacent les éléments, constituant à chaque lever de rideau une nouvelle pièce. Parfois un geste minimal, parfois une déconstruction. Mais par delà le processus de déconstruction apparent il y a le miroir, le miroitement. Comme un effet de diffraction produit par le reflet dans l’eau, de l’une à l’autre pièce de la galerie. Chaque jour, chaque proposition fait allusion à une scène, plus exactement à un temps de la pièce. Comme un reflet en effet. Alors on relit Songe d’une nuit d’été et là les éléments s’animent au-delà des images qui sont imprimées dessus. Un élément à particulièrement son importance car il est immuable dans le dispositif : c’est le plancher, la scène qui, comme l’île, l’alcôve, le bois concentre le sens à partir duquel les éléments évoluent, passent de la réserve à la scène. Ce plancher dont l’empreinte se trouve dans la seconde pièce, au fond. Pièce qui fut réalisée dans un second temps mais qui finalement est l’origine, l’unité initiale du processus en cours. Et de l’un à l’autre de ces planchers, de ces scènes, de ces estrades se déplacent les autres éléments du dispositif. Il semble alors que s’opère une mue d’images. Celles-ci font peau et se déposent sur chaque support pour le conduire à dire l’histoire. La vibration qui s’instaure entre l’image et son support, entre les images et leur support est reconduite chaque nuit. La nuit, à l’orée du bois l’onction est déposée sur les paupières frêles, sur cette peur fragile, cette peau qui fait seuil entre deux mondes. Ouvrir ou fermer les yeux, veiller ou sommeiller, être dans le principe de plaisir ou principe de réalité, là est la question.

Pétrel I Roumagnac (duo), de rêves, acte I, jardin, 2016 Vue d’exposition, Cité Internationale Des Arts de Montmartre
Pétrel I Roumagnac (duo), de rêves, acte I, jardin, 2016
Vue d’exposition, Cité Internationale Des Arts de Montmartre

de rêve, est un phénomène de condensation, de sublimation où les choses s’échangent, se permettent, mutent. Et « mute » au sens où l’anglais le suggère. Les choses sont rendues muettes, des choses qui s’estompent dans le voile brumeux des jeux de cache-cache du non-dit. Doubles, empreintes, duplicatas et négatifs développent un ensemble d’interrogations sur l’origine, l’initiale, l’unique et l’unité en instaurant au cœur même du processus des procédés (photographie et moulage) dont le paradigme est d’emblée la duplicité. Ou mieux, le dialectique. « Un, écrit Georges Didi-Huberman, c’est l’unité, c’est la mêmeté close. Deux, c’est la dualité, c’est l’opposition sèche. Il faut donc ajouter le « trois », c’est-à-dire l’ouverture dialectique de la différence. »

Petrel I Roumagnac (duo), de rêves, acte II, cour, 2016 Vue d’exposition, Galerie Escougnou-Cetraro
Petrel I Roumagnac (duo), de rêves, acte II, cour, 2016
Vue d’exposition, Galerie Escougnou-Cetraro
Petrel I Roumagnac (duo), de rêves, acte II, cour, 2016 Vue d’exposition, Galerie Escougnou-Cetraro
Petrel I Roumagnac (duo), de rêves, acte II, cour, 2016
Vue d’exposition, Galerie Escougnou-Cetraro

Pour en savoir plus :
escougnou-cetraro.fr