ROMAN MORICEAU, OUR EXQUISITE REPLICA OF « ETERNITY », GALERIE DEROUILLON

ROMAN MORICEAU, OUR EXQUISITE REPLICA OF « ETERNITY », GALERIE DEROUILLON

JARDIN D’HIVER.

Sous le froid soleil de néon de la Galerie Derouillon, Roman Moriceau cultive une hétérotopie sensorielle où les parfums, les couleurs et les sons se répondent. Derrière la vitre, préservé des frimas de novembre, se déploie un jardin singulier où la nature est « réformée par le rêve, […] corrigée, embellie, refondue1». En effet, les fleurs qui composent l’imposant bouquet au centre de l’espace sont des artefacts, de celles que les horticulteurs ont manipulées, adaptées à une exigence de beauté et de durabilité. Leurs corolles laissent pourtant choir des pétales trop lourds sur le socle massif et l’ombre mouvante de leur chute déclenche des sons créés à partir d’extraits de chansons et de films d’amour: un discours amoureux standardisé pour répondre à une horticulture de masse. Les voix qui s’échappent du socle parlent le langage des fleurs, mais chaque pétale tombé, comme une déclaration qui brise le silence, contient déjà la perspective de l’amour qui se délite. Et si l’artiste remplace les fleurs fanées, ce n’est que le signe d’une nature cultivée qui vit, meurt et ne renait que sous le contrôle attentif de l’homme.

De nouvelles sérigraphies de la série Flowers ornent également les murs de la galerie. Si les premières fleurs de la série, espèces presque éteintes réalisées à l’huile de vidange, avaient perdu toute couleur, ces fleurs nouvelles resplendissent de teintes chatoyantes. Les compositions florales réalisées puis photographiées par l’artiste, sont sérigraphiées à l’aide de poudre de super-aliments—açaï, baie de goji, chlorophylle, matcha, curcuma—qui composent des images pointillistes, dont certaines évoquent les fleurs de Warhol sur leur fond foisonnant, tandis que d’autres semblent flotter délicatement dans le blanc. Comme toujours Roman Moriceau produit des images stratifiées. Souvent séduisantes au premier regard, elles ne prennent leur sens qu’en fonction de l’origine de leur objet et des matériaux employés pour les créer. Ceux qu’il utilise cette fois comme pigments révèlent bien le désir de tirer le meilleur des plantes pour notre propre bénéfice. Dans un monde de surproduction d’images, l’artiste invite à porter attention à celles qui ne sont pas que ce qu’elles semblent être, à questionner ce que l’on perçoit, mais aussi ce que l’on ne perçoit pas, pour parvenir à appréhender les œuvres dans leur entièreté.

Sensoriel, diffus, l’art de Roman Moriceau réclame une attention de tous les sens. Ce n’est pourtant pas le doux parfum des fleurs fraîches qui infuse doucement l’atmosphère de la galerie. En collaboration avec Ilias Ermenidis, parfumeur chez Firmenich, l’artiste a pensé l’odeur d’une fleur génétiquement modifiée. Après tout le parfumeur, comme l’horticulteur, a le pouvoir de remodeler la nature pour lui donner la forme que son désir commande. Mais loin de tenter une interprétation littérale, c’est plutôt l’idée d’une nature dénaturée, asphyxiée, écrasée par l’homme, qui transparaît dans cette œuvre olfactive. Sous des notes industrielles de plastique, de bitume, de goudron, tente de survivre un fragile bouquet floral—jasmin, rose, lys, cassie, iris. Un bouquet de laboratoire, comme tous ceux qui ornent l’espace. Car bien qu’autonomes, les pièces olfactives de Roman Moriceau sont toujours conçues au sein d’un réseau cohérent d’œuvres qui se répondent. Ici, les bouquets qui occupent l’espace, les murs et l’air de la galerie, suggèrent tous une idée commune bien que chacun, par son médium et sa forme, possède aussi ses évocations propres. L’objet, l’image de l’objet et l’essence de l’objet—le One and Three Chairs de Kosuth ne semble pas si loin.

Avec la fleur fraîche pour sculpture, le végétal pour pigment et l’odeur pour œuvre, Roman Moriceau livre délibérément son art à l’imprévisible et aux meurtrissures du temps. Les odeurs s’évanouiront et n’existeront plus qu’en souvenir. Les images aussi pâliront et, à la manière des fleurs, à la manière du monde, viendront à leur chute. Mignonne, allons voir si la rose, qui ce matin avait déclose… Peut-être ne peut-on, comme le disait Baudelaire, « tirer l’éternel du transitoire ». Peut-être que rien ne dure toujours, ni les fleurs, ni les arts, ni les amours. Mais assister à leur passage, si bref soit-il, vaut bien l’éternité.

1 Charles Baudelaire, « L’invitation au voyage », Le Spleen de Paris, 1869.

Texte Clara Muller © 2018 Point contemporain

 

 

Roman Moriceau

www.romanmoriceau.com

 

Infos pratiques

Roman Moriceau, Our exquisite replica of « Eternity »

Du 15/11/2018 au 22/12/2018

Galerie Derouillon
38 Rue Notre Dame de Nazareth
75003 Paris

www.galeriederouillon.com

 

Visuel de présentation : Vue de l’exposition Roman Moriceau, Our exquisite replica of « eternity », Galerie Derouillon Paris. Photo Grégory Copitet

 

 

Vue de l'exposition Roman Moriceau, Our exquisite replica of « eternity », Galerie Derouillon Paris. Photo Grégory Copitet
Vue de l’exposition Roman Moriceau, Our exquisite replica of « eternity », Galerie Derouillon Paris. Photo Grégory Copitet

 

Vue de l'exposition Roman Moriceau, Our exquisite replica of « eternity », Galerie Derouillon Paris. Photo Grégory Copitet
Vue de l’exposition Roman Moriceau, Our exquisite replica of « eternity », Galerie Derouillon Paris. Photo Grégory Copitet

 

Vue de l'exposition Roman Moriceau, Our exquisite replica of « eternity », Galerie Derouillon Paris. Photo Grégory Copitet
Vue de l’exposition Roman Moriceau, Our exquisite replica of « eternity », Galerie Derouillon Paris. Photo Grégory Copitet

 

Vue de l'exposition Roman Moriceau, Our exquisite replica of « eternity », Galerie Derouillon Paris. Photo Grégory Copitet
Vue de l’exposition Roman Moriceau, Our exquisite replica of « eternity », Galerie Derouillon Paris. Photo Grégory Copitet

 

Vue de l'exposition Roman Moriceau, Our exquisite replica of « eternity », Galerie Derouillon Paris. Photo Grégory Copitet
Vue de l’exposition Roman Moriceau, Our exquisite replica of « eternity », Galerie Derouillon Paris. Photo Grégory Copitet

 

Vue de l'exposition Roman Moriceau, Our exquisite replica of « eternity », Galerie Derouillon Paris. Photo Grégory Copitet
Vue de l’exposition Roman Moriceau, Our exquisite replica of « eternity », Galerie Derouillon Paris. Photo Grégory Copitet

 

Vue de l'exposition Roman Moriceau, Our exquisite replica of « eternity », Galerie Derouillon Paris. Photo Grégory Copitet
Vue de l’exposition Roman Moriceau, Our exquisite replica of « eternity », Galerie Derouillon Paris. Photo Grégory Copitet

 

Vue de l'exposition Roman Moriceau, Our exquisite replica of « eternity », Galerie Derouillon Paris. Photo Grégory Copitet
Vue de l’exposition Roman Moriceau, Our exquisite replica of « eternity », Galerie Derouillon Paris. Photo Grégory Copitet