SANGLAN KIM – PORTRAIT D’ARTISTE

SANGLAN KIM – PORTRAIT D’ARTISTE

Sanglan Kim, Une rencontre 1981. Laine, structure en bois, tissage, 150 x 190 x 20cm

PORTRAIT D’ARTISTE / Sanglan Kim par Jeongmin Domissy-Lee

Héritière de l’esprit avant-gardiste, adepte du virage de l’art contemporain, Sanglan Kim conçoit, depuis plus de quatre décennies, une œuvre inclassable qui occupe une place singulière dans l’art de notre temps. Concrète et symbolique, intense et apaisante, réfléchie et ludique, son œuvre est multiple et paradoxale !

Nouer, tisser, coller, empiler, superposer…, le fil, le papier, le grillage, le bambou, le coton… Par ces quelques gestes et matériaux, elle crée une diversité de formes en fibre, produisant des effets visuels, surprenant et inattendus, à la fois par leur texture et par leur mouvement. Construites à partir de la perspective des tentures murales, des sculptures, des peintures ou des installations, ses œuvres recèlent une esthétique complexe, une dimension plastique ouverte à des interprétations changeantes. L’évidence ou le bon sens ne permet pas d’appréhender immédiatement l’identité de son travail. Car, dans la voie tracée par Sheila Hicks : « J’entre par différentes portes dans différents lieux. Les catégories n’ont aucune importance. », elle fait son art qui ne se définit pas dans un récit idéologique ou un courant artistique donné.

Sanglan Kim, Galaxie 2016. Toile, point en papier, coton, bambou - collage - 250 x 130 x 150cm
Sanglan Kim, Galaxie 2016. Toile, point en papier, coton, bambou – collage – 250 x 130 x 150cm

Sources d’inspiration

La plupart des œuvres de Sanglan Kim sont nées de ses rencontres avec des matériaux. Les lieux également, constituent, pour elle, une source d’inspiration majeure. L’artiste ne planifie pas à l’avance la production précise ou l’efficacité rendue, mais elle se laisse, d’abord, immerger dans le plaisir de découvrir de nouveaux champs de création qui s’ouvrent par des matières et des vécus spatio-temporels, retranscrits, ensuite, au travers de ses propres écritures.

Lissière de formation, mais curieuse des jeux avec tout type de matériaux liés au passé ou au temps actuel, elle lance sa réflexion, à chaque contact avec un nouveau matériau, pour expérimenter ses diverses possibilités plastiques. Les mains de l’artiste travaillent, ensuite, à matérialiser le regard, l’imaginaire, le ressenti… : elles mélangent les fibres textiles aux éléments venus de la nature ou de l’industrie ; faisant appel à une fusion technique ‘interdisciplinaire’, elles réalisent des formes et des volumes insolites et uniques. Un bout de fil, un papier, un accessoire traditionnel, ou même un déchet se muent ainsi en œuvres d’art, adoptant un nouveau corps dans une structure formelle suggestive.

Lorsque l’artiste se trouve dans un endroit – nature ou construction, extérieur ou intérieur -, elle dialogue intimement avec l’espace, pour y puiser une force infinie créatrice. Elle produit ou module des œuvres en lien avec les observations et émotions qu’elle perçoit. « D’une infinie patience, elle a le sens de la matière, mais aussi de l’espace », comme l’exprime Pierre Cambon. Au gré des expérimentations, elle incorpore aussi le lieu, comme un élément plastique dont elle se sert et, avec lequel elle agit directement pour créer des œuvres monumentales d’extérieur.

Libre d’imagination et animée du sens de la fantaisie elle organise et réorganise le monde ouvrant un nouvel univers esthétique inscrit entre la matière et la lumière.

Sanglan Kim, Soo-Sok 017T-IV 2017 Papier mûrier-hanji, plaque électronique, 24 x 18cm
Sanglan Kim, Soo-Sok 017T-IV 2017 Papier mûrier-hanji, plaque électronique, 24 x 18cm
Sanglan Kim, Fleur de désert_Le nid 1993. Installation_Jardin du château royal de Senlis
Sanglan Kim, Fleur de désert Le nid 1993. Installation Jardin du château royal de Senlis

Références artistiques

La pratique formelle diversifiée de Sanglan Kim et son multiple registre artistique s’appuient principalement sur deux références – l’art abstrait et l’art textile. Toutefois, dans une vision holistique de l’art, elle renouvelle son travail et réinvente sans cesse son processus de création, en dépassant les contraintes techniques ou les préconçus.

Qu’il s’agisse d’une petite figure en papier façonnée à la main ou d’un empilement de fibres imposant, ses œuvres sont majoritairement abstraites. C’est l’invisible, l’illimité… qu’elle donne à voir, derrière la matière, la couleur et la forme et, non pas l’interprétation fidèle d’un objet ou d’une idée concrète extraite de la réalité. Cependant, ces œuvres naviguent entre l’abstraction et la figuration : certaines de ses créations semblent s’inspirer d’un objet ou d’un être vivant, peut-être invisible à l’œil nu, pour créer des images abstraites et, nous conduire vers un monde imaginaire ou susciter des émotions en nous ; d’autres semblent évoquer des scènes réelles, sous l’illusion d’une structure formelle abstraite nous proposant d’y découvrir un corps, une fleur ou un rocher.
Une représentation évanescente s’offre à l’infini … et, par cette démarche on peut l’associer à des artistes, tel que Kupka ou Miro, ayant participé au surréalisme.

Sanglan Kim, Soosok_tension 2015. Papier mûrier-hanji, 20 x 15x 15cm
Sanglan Kim, Soosok_tension 2015. Papier mûrier-hanji, 20 x 15x 15cm
Sanglan Kim, Magie blanche, Autoportrait 2015. Papier mûrier-hanji, 390 x 120cm
Sanglan Kim, Magie blanche, Autoportrait 2015. Papier mûrier-hanji, 390 x 120cm

Les créations de Sanglan Kim prennent comme point de départ les gestes manuels liés au textile, tels que le tissage, le nouage, le tricot ou la broderie, généralement considérées comme des activités artisanales. À partir de ces gestes, simples et répétitifs, l’artiste construit, en net contraste un processus de recherche de type plastique libre, qui exige une infinie rigueur et « une logique dure et sans faille », embrassant harmonieusement le rationnel et la poésie. Nombreux sont les exemples. Les installations, monumentales et éphémères, réalisées en plein air, avec des matériaux souples, comme le filet de pêche ou le grillage, semblent se fondre dans une île ou englober une montagne dans l’œuvre. D’où un rapprochement de la démarche de Christo, représentatif du Land Art qui place la nature comme cadre de création et d’expression artistique. L’espace recréé par des unités de fibre textile accrochées en hauteur sur le mode de la répétition questionne la problématique inhérente à l’art contemporain – la disposition spatiale dans l’esthétique -, qui ne se limite pas à l’art textile au sens classique.

Sanglan Kim, Fleur de désert 1992 Installation_ Kangwado
Sanglan Kim, Fleur de désert 1992 Installation_ Kangwado
Sanglan Kim, Le temps de prière 1999. Installation_Anciens Réservoirs, Limay
Sanglan Kim, Le temps de prière 1999. Installation_Anciens Réservoirs, Limay

Parcours de vie d’artiste

Le grand sens créatif et l’ambition novatrice de Sanglan Kim apparaissent dès sa jeunesse, alors qu’elle recherche des moyens d’aller au-delà du cadre traditionnel de la peinture ou du dessin – sur toile ou papier et du style académique dominant la création artistique d’alors. Avec sa découverte du textile, un matériau souple qui lui semblait accorder une plus grande liberté d’expression, elle commence à construire un univers qui lui soit propre, fusionnant différents champs artistiques avec le textile et, développe un langage permettant de produire des œuvres bi- et tri- dimensionnelles, qui se situent dans un entre-deux conceptuel, entre l’art plastique et les arts décoratifs. Cette approche “avant-gardiste” se nourrit et se renforce par son parcours de vie, partagé entre la Corée, son pays natal, et la France, son pays d’adoption.

Pendant ses premières années en France, dans les années 80, elle travaille, à la Manufacture Nationale des Gobelins, auprès de Sheila Hicks, dont la réputation n’est plus à faire dans le domaine de l’art textile, pour mieux maîtriser et se perfectionner dans les diverses techniques de création. Parallèlement, elle mène des recherches théoriques au département des arts plastiques à la Sorbonne, pour approfondir ses connaissances et enrichir sa vision de l’art. L’acquisition du savoir scientifique donne à son savoir-faire créatif une dimension plus concrète, tandis que la pratique technique dans la création élargit ses réflexions esthétiques, pour donner un prolongement à son imagination débridée. L’approche inventive de Sanglan Kim se développe davantage dans le domaine des textiles et au travers de sa conception très large de ce médium.

Par ailleurs, elle découvre et redécouvre, grâce à ses nombreux voyages et séjours en Corée, les traditions artisanales et matériaux anciens, tels que le ‘maedeup’ – technique de nœud qui s’apparente aux objets de décoration ou aux parures vestimentaires et le ‘hanji’ – papier fabriqué à base de fibres du mûrier, dont la qualité transparente et la plasticité sont largement reconnues. Afin de comprendre ces héritages ancestraux et de se les approprier techniquement, elle travaille auprès des maîtres-patrimoines culturels humains. Ce faisant, Sanglan Kim s’offre un temps de réflexion pour développer un nouveau langage qui conjugue la substance esthétique de la tradition coréenne dont elle est profondément empreinte et les signes plastiques du modernisme occidental qu’elle connaît et pratique depuis le début de sa carrière d’artiste.

Le geste manuel de l’artiste la ramène à son intimité ; il est influé par la réinterprétation émotionnelle de sa patrie et de ses paysages… et, les quelques feuilles de papier ‘hanji’ se transforment en une forme hasardeuse déclinée seule comme une sculpture, évoquant une pierre d’eau, un moine bouddhiste médiéval, ou en une série de bustes féminins superposés, symbolisant le mystère de la vie, pris entre la force et la stabilité ; le ‘maedeup’ fait naître une série d’œuvres en toile métallique auxquelles s’amalgament des nœuds de fils colorés, en forme circulaire, associée aux images de la danse traditionnelle en groupe. C’est à la reviviscence d’un passé lointain en une pratique actuelle, et à l’émergence d’une véritable intersection entre l’Occident et l’Orient que nous assistons et, qui font l’originalité du travail de Sanglan Kim.

Sanglan Kim, Danse des cordes 1991 Tissu, fil, tissage maedup - collage - dia.120cm
Sanglan Kim, Danse des cordes 1991 Tissu, fil, tissage maedup – collage – dia.120cm
Sanglan Kim, Magie blanche-5 2001. Papier mûrier-hanji, Installation 200 x 300 x 300cm
Sanglan Kim, Magie blanche-5 2001. Papier mûrier-hanji, Installation 200 x 300 x 300cm

De même que le texte se conçoit comme une trame de mots, toutes les créations de Sanglan Kim, quelle que soit leur aspect plastique ou leur dimension singulière, s’enchevêtrent entre elles et forment une œuvre qui est la traduction de sa vie, le miroir de ce qu’elle est. Son œuvre est une recherche, une aventure, un exploit permanent pour atteindre son propre soi, pluri- identitaire, au cœur duquel est posée la problématique du lien et de la cohésion. Les solutions qu’elle propose, dans sa quête d’harmonie, de sérénité et d’une lueur d’espérance, prennent corps quelque part, en point de contact, entre l’art textile et l’art plastique, entre la tradition et la modernité, faisant émerger un élan créatif, animé d’un double regard esthétique France-Corée et, nous offrent de nouvelles perspectives sur l’art en constante évolution.

Jeongmin Domissy-Lee // Docteur en Linguistique, Conseillère en Art