CLUB FORME COULEUR, SURFACE DE REPARATION

CLUB FORME COULEUR, SURFACE DE REPARATION

FOCUS / Surface de réparation de CLUB FORME COULEUR,
par Nathalie Poisson-Cogez

Le duo CLUB FORME COULEUR formé par Inès Willaume et Hugo Villaspasa a été accueilli en résidence par le Vecteur à Charleroi (Belgique). Au coeur de cette ville wallonne marquée par son passé industriel, les artistes ont été stimulés par les lieux inoccupés, le chantier permanent des espaces urbains en mutation.

Ville haute, Ville basse, le ring, La Sambre et ses péniches, les grappins qui ramassent le cuivre, le stockage dans les hangars, le terril des Piges, les carreaux de mines… Par la collecte de matériaux : gravats, mousse expansive, plaques d’isolation, bâches et tissus… Ils opèrent alors des prélèvements dans l’espace public qu’ils recomposent dans l’espace intérieur de la galerie d’exposition. « Surface de réparation » 1, tel est le titre de l’installation visible depuis la rue grâce aux larges vitrines de l’ancien magasin investi par Le Vecteur.

Le travail en tandem donne lieu à une série de résonances. Comme un jeu, le nom même du collectif ouvre un éventail des possibles. D’abord, le terme de « club » offre une polysémie dont chacun est libre de s’emparer : club mickey, club de sport, night-club, allusion aussi aux cercles politiques ou intellectuels… CLUB FORME COULEUR est aujourd’hui un collectif de deux personnes mais qui se donne une potentielle géométrie variable. Les termes « forme » et « couleur » renvoient quant à eux aux fondamentaux de la peinture et aux diverses polémiques que ces deux termes ont suscitées dans l’Histoire de l’Art.

Le rapport de force et la prédominance de l’une sur l’autre émaillent les différentes périodes : colorito contre disegno à la Renaissance, querelle du coloris au dix-huitième siècle, réflexions d’Henri Matisse et recherches du Bauhaus au vingtième siècle… Cette dichotomie forme/couleur donne une clé d’accès aux expérimentations plastiques du collectif. Hugo Villaspasa revendique de façon directe l’héritage du groupe Supports/ Surfaces et plus précisément de Claude Viallat.

Un texte manifeste datant de 1969 confirme cette référence : « L’objet de la peinture, c’est la peinture elle-même et les tableaux exposés ne se rapportent qu’à eux-mêmes. Ils ne font point appel à un « ailleurs » (la personnalité de l’artiste, sa biographie, l’histoire de l’art, par exemple). Ils n’offrent point d’échappatoire, car la surface, par les ruptures de formes et de couleurs qui y sont opérées, interdit les projections mentales ou les divagations oniriques du spectateur. La peinture est un fait en soi et c’est sur son terrain que l’on doit poser les problèmes. Il ne s’agit ni d’un retour aux sources, ni de la recherche d’une pureté originelle, mais de la simple mise à nu des éléments picturaux qui constituent le fait pictural. D’où la neutralité des œuvres présentées, leur absence de lyrisme et de profondeur expressive. » 2

De fait, les interventions graphiques et picturales réalisées sur les différents supports trouvés dénient toute figuration pour jouer sur les variations formelles et colorées. Du côté de la forme, des motifs géométriques ou organiques créent des dynamiques. Les tracés à main levée se combinent à l’utilisation de pochoirs ou d’empreintes. Les couleurs quant à elles jouent des harmonies ou des contrastes, des effets de dégradés ou d’aplats, de la matité ou de la brillance… Les toiles libres sont envisagées comme des surfaces de projection instinctive, une « peinture décomplexée » selon les propos des artistes, qui revendiquent le plaisir du geste. La peinture s’affranchit de la surface du mur pour se déployer dans l’espace. L’exposition du Vecteur propose une combinaisons de dispositifs pouvant être  pensés  soit  comme   des   productions indépendantes les unes des autres soit comme un ensemble constituant un environnement au sein duquel le spectateur est invité à déambuler. C’est sans doute aussi une manière d’interroger les usages de la construction et l’impact de l’homme sur son environnement. Questions d‘actualité s’il en est à l’heure de la prise en compte de l’anthropocène. Issu du gros œuvre ou de la finition, l’ensemble de matériaux utilisés relève de composants artificiels y compris le faux marbre (de la résine) et le tissu (du nylon et non du coton ou du lin)…

Les dispositifs qui occupent l’espace sont comme autant de combinaisons qui renvoient à la dimension sculpturale de la ville, captée également par quelques prises de vues photographiques. Les empilements déjouent la question du socle et de l’équilibre. Comme pour la peinture le rapport fond / forme montre l’intérêt formel du négatif à l’instar des chutes de papiers découpés utilisées par Matisse dans ses collages. Un morceau de contreplaqué apparait en deux endroits offrant ainsi au regard une rime formelle entre la découpe et sa chute valorisées simultanément.

Les variétés de possibles forcent les artistes à opérer des choix et à les assumer le temps d’une exposition. Autant de propositions qui peuvent être retravaillées ultérieurement par le collectif.

1 SURFACE DE REPARATION, Le Vecteur, Charleroi, 29 MAI – 26 JUIN 2019

2 Texte publié dans la plaquette de l’exposition de l’Union havraise des arts plastiques. Nouveau Musée du Havre juin-juillet 1969 (exposants : Cane, Dezeuze, Viallat, Saytour) – Repris dans Daniel Dezeuze, Textes, entretiens, poèmes 1967 – 2008 (Écrits d’artistes), École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, Paris, 2009.

Nathalie Poisson-Cogez

Surface de réparation de CLUB FORME COULEUR,
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CLUB FORME COULEUR
Surface de réparation de CLUB FORME COULEUR,
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CLUB FORME COULEUR
Surface de réparation, CLUB FORME COULEUR
Surface de réparation, CLUB FORME COULEUR

CLUB FORME COULEUR

https://www.clubformecouleur.com