MARIE MAILLARD, UNIT 2015

MARIE MAILLARD, UNIT 2015

Vue exposition Unit 2015 de Marie Maillard Villa Cavrois, Croix – crédit Grégoire Vieille

EN DIRECT / Exposition Unit 2015 de Marie Maillard : de nouveaux espaces temps dans une villa moderne
Jusqu’au 20 août, Villa Cavrois, Croix près de Lille

Par Pauline Lisowski

Dès le début de sa pratique artistique, Marie Maillard développe un intérêt pour les pouvoirs de l’image ainsi qu’une réflexion sur le décoratif, interrogeant l’ornement. Les espaces architecturaux sont à l’origine de ses projets à partir desquels elle propose des œuvres qui jouent sur un déplacement du réel au virtuel. Ses œuvres nous invitent à réfléchir aux technologies nouvelles et aux manières que nous avons de vivre les espaces. Les théories scientifiques et architecturales, l’inspirent, les récits également. Ses sculptures et œuvres à la fois matérielles et virtuelles ont d’une certaine manière un caractère ludique et nous amènent à nous projeter dans un monde fictif, où les distances sont étirées. Certains de ces travaux ayant pour origine un lieu, se vivent uniquement dans le regard de ceux qui les activent. Les expériences artistiques de l’artiste nous mènent vers des espaces qui s’agrandissent et aux volumes qui se prolongent à l’infini.

Invitée à exposer dans la villa Cavrois, créée par Robert Mallet-Stevens, Marie Maillard propose un parcours nous amenant à nous projeter dans différentes temporalités et spatialités, entre ici et maintenant et un possible futur. L’architecte a également conçu des décors de cinéma, notamment pour L’inhumaine de Marcel L’Herbier, ce qui a nourri l’artiste dans sa réflexion sur l’espace. Au fur et à mesure de la visite, notre perception bascule entre sensation d’une présence mémorielle et celle de nouveaux habitants des lieux. Elle nous accueille par une œuvre invitant à aller de l’autre côté du miroir. Dans l’office, une installation de petites boules rouges accompagne notre mouvement et rappelle les flux, l’accélération que nous percevons en nous déplaçant. Les changements d’échelle sont au cœur du travail de l’artiste plasticienne. La cuisine est aussi le lieu d’une effervescence, d’une vie de famille. Ses œuvres suggèrent des atomes ou des molécules et laissent imaginer un moment figé, en suspens, indiquant pourtant un bouleversement possible dans le calme de cette grande maison. Chaque pièce apparaît alors comme habitée par des éléments géométriques qui y pénètrent et attirent le regard des plus attentifs.

Dans le salon, un tapis servait d’élément de décor somptueux. L’artiste en installe un nouveau dans la même gamme de motifs géométriques ainsi qu’aux couleurs du mobilier, tel un prolongement du parquet. L’œuvre en adéquation avec la pièce semble avoir toujours été là. À partir d’une sculpture animalière, elle crée également des formes en impression 3D, des sculptures qui renvoient à l’idée du paraître et à une certaine échelle sociale. Marie Maillard insère de façon subtile ses œuvres et certaines sont quasi imperceptibles tant elles sont associées aux meubles modernes. Elle investit le bureau tel un cabinet de curiosités avec ses sculptures hybrides qui évoquent les compréhensions et connaissances du monde naturel. Ses sculptures et impressions 3D repeintes à la main associent une branche et du marbre. Elles incarnent les analogies entre les formes de la nature.

Chaque pièce de grandes dimensions l’a incité à composer des œuvres pour un voyage dans le temps et dans l’espace. Dans la chambre du garçon, elle propose une œuvre en réalité virtuelle, qui nous propulse dans un espace dilaté et à vivre une expérience quelque peu troublante. La Villa Cavrois fut conçue de façon la plus moderne possible. Marie Maillard répond avec précision à cette architecture, art total où chaque pièce est pensée avec soin et aménagée dans tous ses détails. Des automates cellulaires s’intercalent également dans le carrelage de la salle de bain.

Depuis l’étage, une application en réalité augmentée nous invite à activer son tapis et à faire apparaître une œuvre virtuelle, génératrice de motifs infinis. L’artiste explore des recherches sur la présence et l’absence d’une image. L’œuvre n’apparaît que si nous l’activons et existe alors dans nos souvenirs d’un moment.

Dans le boudoir de Madame, elle pose une œuvre qui parle du quotidien, un miroir brisé qui renvoie aux souvenirs de la famille Cavrois. L’artiste poursuit les allusions aux créateurs de cette villa aux beaux volumes géométriques en proposant des œuvres fondées sur le principe de symétrie du couple. Une tasse en impression 3D sur une des tables de chevet se découvre en prêtant attention à chaque élément, objet de décor qui fondent le caractère moderne de cette demeure. Cette sculpture prend un état de plus à chaque fois qu’elle est exposée. Elle incarne les limites floues du réel, une des questions que travaille l’artiste. La salle de bain parentale est elle aussi ponctuée d’œuvres qui s’invitent et sont disposées comme des traces de fantômes du passé, tout en étant tournées vers l’avenir. Ses objets de demain se révèlent également aux plus curieux. Marie Maillard combine différents états de matière pour créer ses sculptures hybrides. 

Dans un couloir qui dessert l’aile des filles Cavrois, elle propose une fenêtre sur un ailleurs, qui commence à nous faire plonger dans l’infiniment grand. Plus loin, elle poursuit des jeux de correspondances entre ses œuvres et les détails pensés finement par l’architecte. Une chaise et un bureau de travail ont trouvé une nouvelle place dans la chambre de la gouvernante. Ses œuvres se réfèrent aux multivers : plusieurs univers qui impliquent plusieurs réalités et font écho aux meubles art déco. Continuant une lecture de l’histoire de la villa, comme participant aux recherches archéologiques, l’artiste propose une installation qui fait surgir les traces des diverses matières du lieu, telle une bande d’échantillons de couleurs.

Dans le dernier étage, nous sommes projetés vers un futur marqué par les nouvelles technologies. Dans la salle de jeux, des éléments en forme de pyramides créent une impression de vie étrange comme si le monde des robots n’était pas si loin. Dans la salle d’étude des filles, une œuvre, livre de sable, composée d’un Ipad et de livres, fait référence au passé, présent, futur et nous incite à nous interroger sur la transmission de l’histoire de l’humanité comme si nous étions amenés à disparaitre.

Ainsi, Marie Maillard crée un dialogue entre ses axes de recherches et cette villa. Son exposition est à la fois à parcourir pour ressentir les grands et hauts volumes et à vivre se laissant glisser dans une autre dimension. Telle une rétrospective des années de recherches et d’expériences, cette carte blanche lui offre un terrain de jeu pour explorer les relations à l’espace. L’artiste sollicite notre perception et nous invite à questionner l’ambiguïté entre matérialité et immatérialité, entre tangible et impalpable, entre unique et multiple. De nombreux changements d’échelle, de l’infiniment petit à l’infiniment grand se découvrent au fil de la visite de cet habitat désormais préservé et géré par les Monuments Nationaux. Les œuvres de l’artiste provoquent des visions troublées entre ce qui aurait été et ce qui pourrait advenir. Elles poursuivent l’histoire d’une villa à la pointe de son temps et forment des présences, qui nous amènent à regarder chaque élément de décor, d’aménagement pensé en accord avec l’immensité du lieu. L’artiste fait revivre cette bâtisse des années 30 et nous la donne à voir autrement.

Pauline Lisowski

Vue exposition Unit 2015 de Marie Maillard Villa Cavrois, Croix - crédit Grégoire Vieille
Vue exposition Unit 2015 de Marie Maillard Villa Cavrois, Croix – crédit Grégoire Vieille
Vue exposition Unit 2015 de Marie Maillard Villa Cavrois, Croix - crédit Grégoire Vieille
Vue exposition Unit 2015 de Marie Maillard Villa Cavrois, Croix – crédit Grégoire Vieille
Vue exposition Unit 2015 de Marie Maillard Villa Cavrois, Croix - crédit Grégoire Vieille
Vue exposition Unit 2015 de Marie Maillard Villa Cavrois, Croix – crédit Grégoire Vieille
Vue exposition Unit 2015 de Marie Maillard Villa Cavrois, Croix - crédit Grégoire Vieille
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