Ludovic Landolt, De Tintinnabulis

Ludovic Landolt, De Tintinnabulis

EN DIRECT / Exposition De Tintinnabulis Ludovic Landolt sous le commissariat d’Émilie d’Ornano du 07 juin au 13 juillet 2019 Kommet Lyon

Par Maxime Leblond

Si le temps où la cloche constituait en Occident un instrument privilégié de communication semble  révolu, elle fait toujours indéniablement partie de notre environnement sonore. Rythmant encore dans une certaine mesure la vie des villages occidentaux, elle investit jusqu’à notre monde numérique, constituant par exemple le symbole de nos notifications facebook ou des paramètres sonores de nos smartphones. Dans ces conditions, on conçoit bien la pertinence de la démarche  artistique  de Ludovic Landolt qui vise à en réactualiser la fonction originelle : celle de rassembler. 

Traité consacré aux différentes significations et fonctions des cloches et des carillons, le De Tintinnabulis du juge et ingénieur militaire italien Girolamo Maggi a ainsi constitué une inépuisable source d’inspiration pour le travail de Ludovic Landolt. On y trouve un exposé aussi rigoureux que détaillé de l’origine des cloches, de leurs modes d’utilisation et de leurs procédés de fabrication.

L’intérêt de l’artiste pour les cloches découle du constat d’une tendance de l’homme à se rendre inattentif à son environnement, et plus spécifiquement à son environnement sonore. Ludovic Landolt nous invite ainsi à prendre à revers le rythme de notre monde, qui, marqué par l’accélération, tend à s’homogénéiser de façon radicale, pour l’écouter plutôt que l’entendre. 

Or le son d’une cloche a cela de particulier qu’il impose toujours une forme de rupture avec notre rythme quotidien. Qu’il vise à alerter, informer, localiser ou rassembler, il nous intime de cesser notre activité pour lui consacrer toute notre attention. Sans appel, le son d’une cloche ne peut pas être entendu, il ne peut qu’être écouté. C’est donc assez logiquement que Ludovic Landolt entend remédier à un tel constat en nous invitant à une immersion sonore, par l’intermédiaire d’un soundspace conçu sur les principes du deep listening

Ludovic Landolt, Kugelhopfsänger, 2016. Bois de hêtre, moule à kougelhopf en téflon, arduino, solenoïde. Photo Aude Couvercelle
Ludovic Landolt, Kugelhopfsänger, 2016.
Bois de hêtre, moule à kougelhopf en téflon, arduino, solenoïde. Photo Aude Couvercelle

On y trouve des œuvres aux noms évocateurs, dont Ferrea lamina, Klingelkammer (conçue à l’occasion de cette exposition) et Kugelhopfsänger. A première vue, les différentes œuvres exposées ne partagent pas grand-chose en commun si ce n’est le fait d’émettre un son à intervalles réguliers, à l’instar d’une cloche, et d’être conçues à partir d’objets qui ne sont conventionnellement pas sollicités pour leurs propriétés acoustiques, une démarche qui d’ores et déjà n’est pas sans rappeler celle qui avait amené Luigi Russolo a théoriser dans son manifeste futuriste L’art des bruits l’idée selon laquelle la familiarisation de l’oreille humaine avec l’environnement sonore urbain et industriel impliquait une nouvelle approche des instruments et de la composition musicale. Toutefois, l’exposition devient rapidement cohérente si l’on conçoit qu’il s’agit pour l’artiste de privilégier des sons susceptibles de bousculer nos habitudes auditives. 

Et c’est lors de la performance qui ouvrait l’exposition que Ludovic Landolt nous révélait toute sa rigueur. Intitulée Musique pour chambre, l’artiste y manifestait une minutieuse attention à la fréquence de résonance, à la vibration par sympathie et à la réverbération. Les œuvres y étaient activées les unes après les autres selon une logique vraisemblablement acoustique. Klingelkammer manifeste une volonté de privilégier les basses fréquences, afin de plonger l’auditeur dans une expérience méditative qui ne se borne pas à solliciter son seul appareil auditif. Aussi retrouve-t-on à l’arrière-plan de cette œuvre la philosophie zen, et plus spécifiquement le concept japonais satori dont l’essence a été décrite par le maître Taisen Deshimaru comme le  fait de « percevoir le son de la grande cloche ou le tambour dans le temple au crépuscule. C’est l’état où les sons et celui qui entend ne font plus qu’un. » C’est à l’autre bout du spectre sonore que se situent les œuvres Ferrea lamina et Kugelhopfsänger, elles qui bousculent nos habitudes sonores de manière plus agressive. Mais dans un cas comme dans l’autre, il s’agit pour Ludovic Landolt de convoquer notre attention auditive avec une exclusivité jalouse, pour nous ré-apprendre à écouter au lieu de simplement entendre.

Ludovic Landolt, exposition De Tintinnabulis, Kommet Lyon. Photo Aude Couvercelle
Ludovic Landolt, exposition De Tintinnabulis, Kommet Lyon. Photo Aude Couvercelle

Disons enfin un mot de la véritable réflexion esthétique de Ludovic Landolt qui apparaît en filigrane dans son travail, que l’on ne saurait réduire à sa seule dimension acoustique. De toute évidence, le choix des objets n’est pas laissé au hasard. Ou plutôt, il est laissé à un hasard calculé, choisi, selon le potentiel comique ou absurde de l’objet, suivant une démarche toute duchampienne. De fait, faire d’un moule à kouglof une cloche a de quoi déstabiliser. En ce sens, c’est tout notre appareil sensoriel qu’entend convoquer Ludovic Landolt, matérialisant le son, rendant visible l’invisible.

Aussi, lors de sa performance qui inaugurait sa première exposition à KOMMET, Ludovic Landolt réactualisait subtilement la fonction originelle de la cloche, qui est celle de rassembler. Par une minutieuse maîtrise des propriétés acoustiques de ses œuvres, il parvenait ainsi à nous proposer une véritable immersion sonore. On ne peut alors que reconnaître à cet artiste le mérite paradoxal de nous faire entendre un tout autre son de cloche.

Maxime Leblond

POINT CONTEMPORAIN SOUTIEN KOMMET