Éloge de la curiosité

Éloge de la curiosité

Ilya Fedotov-Fedorov, Miniature museum of poisons, 2018.
43 x 28 x 30-cm
copyright et courtesy artiste et Anna Nova Gallery

EN DIRECT / Exposition Éloge de la curiosité, du 03 octobre au 09 novembre 2019, Galerie Henri Chartier, Lyon, avec Ghyslain Bertholon, Corine Borgnet, Marion Catusse, Julie Dalmon, Odonchimeg Davaadorj, Felix Dolah, Floris Dutoit, Ilya Fedotov-Fedorov, Sally Hewett, Julien Langendorff, Damien Moulierac, Maël Nozahic, Karine Rougier, Necla Rüzgar et Lionel Sabatté
commissariat LT

Faire l’éloge de la curiosité, celle qui fut un temps considérée comme une indiscrétion blasphématoire et qui servit à édifier une approche didactique du monde fondée sur l’étonnement et la fascination, tel est le parti pris dont se revendique cette exposition. La grande oubliée du Siècle des Lumières, celle qui a subi les humeurs changeantes de ses disciples, revient en effet aujourd’hui en grande force. S’ils s’opposent encore à l’incommensurabilité divine, les curieux de notre temps essaient de porter un regard lucide sur une époque qui côtoie les cimes de l’indécision et qui dirige ses interrogations non plus vers la science mais vers de nouvelles sources de connaissances possibles : l’histoire naturelle, l’ésotérisme, le rêve, le cosmos… Autant de territoires réexplorés par l’art contemporain qui, à travers une poignée d’artistes, s’en remet aux valeurs sûres du « cabinet de curiosités » non pas tant pour lui rendre hommage que pour en tirer des enseignements. Car si les fondements de toutes les croyances viennent à s’effondrer, la curiosité puise dans le merveilleux et fait de lui le premier outil de compréhension d’un monde en lutte pour sa survie. Les artistes l’ont bien compris.

La curiosité devient alors un terrain de jeux d’interconnexions qui résultent des glissements entre des formes reprises pour leur puissance symbolique. L’hybridation, la métamorphose et l’étrangeté se placent au cœur de leur processus créatif et mettent au jour des formes archétypales et éternelles. Des œuvres insolites, merveilleuses, inquiétantes parfois, tout droit sorties du grand laboratoire de la vie et « propres à remuer la sensibilité humaine » (André Breton). De quoi bousculer les codes de l’art contemporain et ses catégories bien ordonnées. Autant de raisons de glorifier ces curiosités contemporaines tout en veillant à ne pas transformer l’éloge en parodie. En effet, prendre conscience du nombre croissant d’expositions autoproclamées « Wunderkammer », c’est aussi être le témoin d’un effet de mode qui n’en a pas fini de jouer avec l’historicité des cabinets et des réalités qu’ils recouvrent…Les œuvres de Ghyslain Bertholon, Corine Borgnet, Marion Catusse, Julie Dalmon, Odonchimeg Davaadorj, Felix Dolah, Floris Dutoit, Ilya Fedotov-Fedorov, Sally Hewett, Julien Langendorff, Damien Moulierac, Maël Nozahic, Karine Rougier, Necla Rüzgar et Lionel Sabatté sélectionnées pour cette exposition sont toutes vectrices d’une « apocalypse en marche, [mais dont la] beauté n’a pourtant pas entièrement disparu » (Régis Durand). À partir d’impressions, sculptures, installations, peintures et dessins, les artistes tentent d’apporter une réponse à une humanité écocidaire en quête de vérité. Collages, hybridations, curieuses métamorphoses : la transformation, le passage du rien et de l’infime au tout et à l’absolu, en somme les mystères liés au passage de la vie à la mort et de la mort à la résurrection, sont au cœur du discours. 

Les œuvres nous parlent de l’humain et de la part de mystère qui nous relie à l’univers, mettant parfois en avant une horreur non dissimulée au service d’un éclatement de la charge poétique des œuvres. Un bouleversement des croyances caractérise notre époque où ni la religion ni la science n’arrivent à s’imposer comme seules voies d’accès au savoir. Le besoin de comprendre les lois qui régissent notre monde invite les artistes à faire communiquer l’art et la science, conduisant ainsi à de nouvelles histoires naturelles dues au « regard à la fois épouvanté et émerveillé » (Barbara Polla) que ces artistes portent sur le monde qui les entoure. La beauté se confond avec l’horreur dans une renaissance du sublime. Les œuvres nous rappellent que même sous les symboles de beauté communément admis, telles les fleurs, ne cessent de croître des racines « grouillant souterrainement comme de la vermine » (Georges Bataille). Un insecte, monstre à échelle miniature, est glorifié par l’association d’un petit être constitué de rognures ongles à son cadavre naturalisé (Lionel Sabatté). La frontière entre l’humain et l’animal se brouille dans un érotisme non dissimulé (Odonchimeg Davaadorj) jusqu’à mettre à l’honneur les pratiques sexuelles les plus taboues (Julie Dalmon). Les limites entre les règnes et les catégories sont abolies au profit d’une célébration de toute forme d’assemblage ou de liaison, fruits de mutations brutales qui peuvent conduire à un déchirement de l’être, et ce parfois jusqu’à l’innommable : exploration des fantasmes les plus violents, pulsions de mort (Karine Rougier, Damien Moulierac). On assiste alors à une corruption de la beauté dans un traitement maîtrisé du macabre. Les œuvres nous révèlent des artistes qui ne postulent ni la pureté ni l’irréprochabilité, mais qui ont fait le choix de malmener le confort du spectateur, comme dans une tentative « d’atteindre des espaces impossibles » (Georges Bataille).

Les œuvres nous offrent ainsi une fuite spirituelle nous permettant de « s’interroger sur l’histoire, celle bien sûr de notre époque, avec ses actualités, ses événements et ce doute persistant sur la nature de notre réel. Mais à la différence de la grande majorité de l’art contemporain, [elles actualisent] le passé lointain, comme si la seule façon d’éprouver le monde consistait à le convoquer devant le tribunal de l’histoire » (Damien Sausset).

LT

Vue de l'exposition Eloge de la curiosité, Galerie Henri Chartier Lyon. Photo Blaise Adilon
Vue de l’exposition Eloge de la curiosité, Galerie Henri Chartier Lyon. Photo Blaise Adilon
Vue de l'exposition Eloge de la curiosité, Galerie Henri Chartier Lyon. Photo Blaise Adilon
Vue de l’exposition Eloge de la curiosité, Galerie Henri Chartier Lyon. Photo Blaise Adilon