ETHERSECTION

ETHERSECTION

Vue de l’expostion ETHERSECTION, La cuisine, centre d’art et de design, 2021, ©Laetitia Bourget

EN DIRECT / Exposition ETHERSECTION, Philippe Charles en collaboration avec Laetitia Bourget, La Cuisine Centre d’art et de Design, Esplanade du château, Nègrepelisse

« L’exposition est un écrin et une invocation des énergies qui renouvellent sans cesse le vivant : la rivière, la terre, le feu de la cuisson et les processus organiques, cycliques. »
Laetitia Bourget

L’exposition Ethersection de Philippe Charles à La cuisine centre d’art et de design à Nègrepelisse est la résultante de résidences de territoire et de création lancées en 2019. Avec Lætitia Bourget, ils étendent leur collaboration à un ensemble d’agents et de forces dont l’énumération trahirait la subtile articulation qui raconte l’importance des altérités.

Ethersection est une installation qui laisse place aux éléments fondamentaux. Élaborée dans les temps justes de la nécessité, de la contingence et du dépôt, l’installation invite à coopérer, à recevoir, à percevoir et à prendre soin. Elle est constituée d’objets, de processus et de mouvements en circulation de soi à l’autre, à l’entour. Les chants de la terre est un dispositif qui a été activé le 14 août 2021. Lors de cette expérience sensorielle et cognitive collective, il y a eu la cuisson du pain, la dégustation de préparations actives et salvatrices ainsi que l’immersion dans la sonorisation continue de Jean-Yves Evrard.

Cet hiver, Philippe est venu évaluer la meilleure terre pour ses blés. Son critère n’était pas celui de la qualité du sol mais le souci de l’emplacement. Il s’est demandé comment intensifier la distribution des vibrations à cet endroit là, entre les eaux de la rivière de l’Aveyron et le bâtiment anciennement château, puis place publique, désormais centre d’art et de design au sommet de sa bute empruntée de promenades. Il a tracé six disques sur l’herbe humide et boueuse, pour implanter ses cultures agissantes.

Parfois les contours au sol signalent une disparition, ici ils étaient annonciateurs de devenir. Parce que l’artiste est paysan-boulanger, son programme de résidence a mêlé la sémiotique du sensible avec la pratique paysanne, la quête de l’essentiel et le goût du pain.

La fois suivante, Philippe est revenu avec des grains de blés anciens Red Fife et Marquis. Il a semé ces grains au sein des disques et son geste, approvisionnant sa vision, a prolongé ses intentions de valorisation et d’égard envers le sol nourricier. Ce faisant, il a participé au projet amorcé par le centre d’art d’implanter des histoires fertiles sur la bute communale sinon entretenue tondue. En cette fin d’hiver nombre d’oiseaux ont convergé vers ces îlots de grains tendres qui contrairement à ceux alentours n’étaient pas défendus par des effaroucheurs. Sans doute que l’animation a également intéressé les rampants et habitants du sol, si bien que le volume semé s’est dispersé au fond des terriers d’ici et d’ailleurs. Son geste semant s’est inscrit dans le cycle saisonnier, il s’est préparé à l’attente de la pousse, soit du développement du grain au germe, au plant feuillé, à l’épi.

Pendant ce temps, Philippe s’est adjoint les compétences de Jérôme Tugayé, spécialiste de la terre crue, formateur, et de sa classe apprenante, pour construire un four à pain portatif. Cet élément est indispensable pour la cuisson de la pâte et par lui, la flamme convoquée doit être domestiquée. Un foyer, dont le fonctionnement l’emporte généralement sur l’appréciation esthétique de son intérieur. Or, cet endroit de l’intimité du four concerne l’artiste paysan-boulanger.

Plus tard, dans la salle d’exposition ils installeront, Lætitia et lui, une sole en briques de terre crue gravée d’un reptile qui couve un cœur enflammé, nommée métamorphisme du cœur. Sur le sol, ces briques correspondent à la cohérence des choses en présence.

Au sol encore, d’autres cercles sont tracés fertiles, ils sont faits de limons. Ces pigments sont le fruit d’un processus qui a commencé l’été dernier par l’emprunt de roches devenues grains sur les rives de l’Aveyron. L’expérimentation s’est poursuivie dans la rivière de la Creuse, en plusieurs endroits de son lit par poignées transplantées ici. Les ondes se croisent et se chevauchent, elles donnent voix à la minéralité fertile.

En écho vibratoire, une phrase inscrite qui invoque la source qui nous traverse, une autre qui évoque ce qui se dépose en nous. Deux formules équivoques adressées aux visiteurs ou prononcées par les présents, qui rappellent l’étant commun de matières traversées pétries de fluides, à leur tour profondeurs.

Sous l’une des inscriptions, des creux d’argile, façonnés par Laetitia, sont disposés sur une table. Ils servent à contenir les deux levains de Philippe mis à la disposition des visiteurs qui pourront les cultiver à leur tour.

À la veille de l’inauguration d’autres êtres ont pris part à la conception de l’installation. Sur la surface verticale vitrée de l’espace d’exposition, un cortège d’escargots a cheminé en trajectoires indécises et visqueuses. Plus tard, un levain a été appliqué sur les vitres, opérant ainsi la double articulation de révéler le mucus gastéropodien et de voiler la lumière extérieure, pour créer une lumière lente. L’espace d’exposition a ainsi été transformé en un écrin nervuré de rubans de ciel. Seule une fenêtre a été réservée, un écran d’ouverture qui cadre en profondeur.

Au chaud de l’été, un promontoire intérieur a été construit pour multiplier les possibilités d’observations et célébrer la co-existence de cette entité vive, massive et multiple qu’est la rivière de l’Aveyron, dont les berges sont en contre bas du centre d’art mais dont les cimes, l’humide et les oiseaux se disputent la hauteur.

La scène étant donnée à l’horizon, le jour de l’ouverture Jean-Yves Evrard a sonorisé cet espace par la vibration continue de sa guitare. Il a amplifié la conscience d’être en présence, d’être au monde, d’être là. À l’extrémité de la pièce, un mur lui faisant face était le support d’une fresque collaborative invitant chacun à y représenter sa flamme intérieure pour alimenter le grand feu. Cette fresque a été commencée ce jour et attise depuis les expressions personnelles. Ce mur comme la fresque au sol dont les frottements piétons altèrent sa réalité précaire, suggèrent l’ambivalence d’être à la fois ressource et agent de transformation.

Concourant à l’intention d’apports génératifs, Laetitia s’est employée à la préparation de collations vivantes, actives, issues de cueillettes au fil du développement végétal, et de récipients pour les contenir, façonnés dans les argiles locales. Des boissons pétillantes, lactofermentées, infusées, des macérations, des sels, ont pu être dégustés en association aux pains et brioches, de Philippe, accompagnés des fumigations, animés de bouquets de fleurs, de baies, de racines. Le jour de l’ouverture, le public devenu convive, a participé à une série d’expériences corporelles, olfactives et gustatives qui ont stimulé les profondeurs organiques et cognitives.

De cette œuvre nous pouvons faire la lecture d’une démarche faite de rencontres, de transports et de tentatives. Nous pourrions y voir la revendication par l’application de la fusion de domaines d’activités, qui, par leurs contacts et échanges permanents, ne se distinguent plus dans des catégories.

Cela est valable pour la vie de Philippe Charles et maintenu dans le contexte de résidences dans un centre d’art, tenu, de la mise en œuvre jusqu’à son ouverture. Nous pouvons apprendre d’une création comme état de disponibilité, de réception et de réactivité à ce qui se manifeste dans la reconnaissance, par l’habitude et par l’apprentissage. Nous sommes invités à déchiffrer ce qui est plus ou moins à portée et parfois il faudra plonger dans le milieu, parfois il faudra plonger dans l’intime.

L’indice d’une démarche holistique serait manifeste si l’on demandait à Philippe de faire le récit de chacune des relations invitées au sein de l’exposition. Nous aurions sans doute un récit par lequel les règnes du vivant animé et inanimé auraient tous un.e représentant.e convoqué.e. Les anecdotes, aux temps et modalités de relations multiples, concerneraient les levures et bactéries, les grains, les argiles, les gastéropodes, les plantes, les arbres, les champignons, les chiens, les rivières. À l’évidence des relations de collaboration avec d’autres humain.e.s pour la fabrication du four, pour la semence et la récolte des blés, pour la construction du promontoire, pour le soin du levain et pour les dégustations. Il y aurait également dans ce récit les anecdotes d’emprunt, de prélèvement, de négociations pour permettre le transport à travers les distances et les climats, avec l’inquiétude que certains auxiliaires ne résistent pas à ces conditions imprévues. Des histoires de suivis et de veille des processus enclenchés.

De cette oeuvre nous pouvons faire la lecture d’une intervention contextuelle aux égards multiples, une intervention dans le sens de la réparation. Une opération de mise ensemble et en vitalité des corps et des énergies avec l’impératif qu’iels soient substantiellement plein.ne.s, chargé.e.s ou le cas échéant à remplir. Une articulation organique et énergétique, également formelle et symbolique si nécessaire. Un plan perceptif complexifié, déployé et multiplié par les êtres convoqués, dont le résultat échappe à la formule initiale, dont le résultat ne prétendra pas à la vérité mais à l’initiation.

Marion Albert, octobre 2021

Vue de l’expostion ETHERSECTION, La cuisine, centre d’art et de design, 2021, ©Sylvain Thédon
Vue de l’expostion ETHERSECTION, La cuisine, centre d’art et de design, 2021, ©Laetitia Bourget
Vue de l’expostion ETHERSECTION, La cuisine, centre d’art et de design, 2021, ©Sylvain Thédon
Vue de l’expostion ETHERSECTION, La cuisine, centre d’art et de design, 2021, ©Laetitia Bourget
Vue de l’expostion ETHERSECTION, La cuisine, centre d’art et de design, 2021, ©Sylvain Thédon
Vue de l’expostion ETHERSECTION, La cuisine, centre d’art et de design, 2021, ©Laetitia Bourget
Vue de l’expostion ETHERSECTION, La cuisine, centre d’art et de design, 2021, ©Sylvain Thédon
Vue de l’expostion ETHERSECTION, La cuisine, centre d’art et de design, 2021, ©Sylvain Thédon
Vue de l’installation «culture agissante #1», La cuisine, centre d’art et de design, 2021, Image ©Association Survol
Vue de l’installation «culture agissante #1», La cuisine, centre d’art et de design, 2021, Image ©Association Survol
Vue de l’installation «culture agissante #1», La cuisine, centre d’art et de design, 2021, Image ©Tomas Matauko
Vue de l’installation «culture agissante #1», La cuisine, centre d’art et de design, 2021, Image ©Tomas Matauko
Portrait des artistes Philippe Charles et Laetitia Bourget, ©Sylvain Thédon
Portrait des artistes Philippe Charles et Laetitia Bourget, ©Sylvain Thédon