LES HEURES SAUVAGES NEF DES MARGES DANS L’OMBRE DES CERTITUDES

LES HEURES SAUVAGES NEF DES MARGES DANS L’OMBRE DES CERTITUDES

EN DIRECT / Exposition Les Heures Sauvages Nef des marges dans l’ombre des certitudes dans le cadre de Saison Liquide_Ethique Barbare, jusqu’au 19 juin 2022, Centre Wallonie-Bruxelles, Paris

Commissariat Stéphanie Pécourt

Avec Angyvir Padilla, Anne-Marie Maes, Brognon Rollin, DISNOVATION.ORG, Félix Luque Sanchez, Lucie Lanzini, Lucile Bertrand, Maëlle Dufour, mountaincutters, Renaud Auguste-Dormeuil, Sabrina Montiel-Soto, Simon Nicaise, Sébastien Reuzé, Tatiana Wolska, Thomas Garnier, Tony Regazzoni

Et Monelle me tendit une férule creusée où brûlait un filament rose.
— Prends cette torche, dit-elle, et brûle. Brûle tout sur la terre et au ciel. Et brise la férule et éteins-la quand
tu auras brûlé, car rien ne doit être transmis ;
Afin que tu sois le second narthécophore et que tu détruises par le feu et que le feu descendu du ciel remonte au ciel.
Et Monelle dit encore : Je te parlerai de la destruction. (…)
Ne porte pas en toi de cimetière. Les morts donnent la pestilence.
(…)
Sois donc semblable aux saisons destructrices et formatrices.
Bâtis ta maison toi-même et brûle-la toi-même.
Ne jette pas de décombres derrière toi ; que chacun se serve de ses propres ruines.
Ne construis point dans la nuit passée. Laisse tes bâtisses s’enfuir à la dérive.
Contemple de nouvelles bâtisses aux moindres élans de ton âme.
Pour tout désir nouveau, fais des dieux nouveaux.[…]

Marcel Schwob

Les intentions sibyllines exprimées à l’adresse de celles et ceux qui furent invité.e.s à ce projet traduisirent les intuitions de cette ambition sous-titrée Nef des marges dans l’ombre des certitudes. Elles portaient sur le souhait que soient convoqués – l’espace d’une temporalité fugitive dans un espace à désennoblir et à dépouiller de ses atours d’écrin – des gestes, des actes, autour de projets portant sur le temps, la trace, l’empreinte.

Obsédantes furent les crépusculaires proses de Le Livre de Monelle de Marcel Scwhob et son appel à la pure connaissance de l’instant inspira la mise en œuvre de ce qui n’a vocation à ne durer qu’un temps suffisamment puissant pour aspirer à ce qu’il suscite une expérience vécue hic et nunc et que dans son sillage se grave des images et sensations.

Ces intentions adressées le furent quelques semaines avant qu’au cœur même de l’Europe, le mot destruction ne résonne avec gravité et que certain.e.s ne soient tragiquement confronté.e.s à la menace de l’annihilation. Ce contexte ne fut pas sans m’interpeller sur la dimension prodromique et anticipatrice de l’art contemporain qui dit bien, autrement qu’avec littéralité, quelque chose de notre temps…

… Vivre dans les ruines …

Les œuvres qui cohabitent dans l’espace de galerie, pour quelque 216 heures, la métamorphosent irréversiblement ; de l’autoroute disloquée qui en relie les espaces intérieurs et extérieurs, de la saillie tronçonnée qui en éventre le sol, à l’installation faite de rebuts et de chutes qui tel un organisme proliférant envahit son entrée, l’espace est démantibulé, déstabilisé et comme remis en potentialité et toute en puissance.

Aux rêves conquérants portés par des artistes démiurges, aux aspirations à la sanctuarisation, autre chose se loge en cet espace : de la fragilité, de l’humilité, de la densité, une prégnance d’éléments, de matières : du sable, du feu, de l’eau, du vent, du fer, de l’aluminium…

… que chacun se serve de ses propres ruines…

Nombre des œuvres originales présentées et pensées en in-situ procèdent d’une forme de « re- potentialisation », de réagencements d’éléments, de matières. Déjouant l’ajustement à une logique ascensionnelle verticale, elles jouent de la répétition, de l’itération.

Magnification de l’usure à l’heure de la saturation de l’esthétisation et de l’hypertrophie de l’image, ces œuvres blasonnent l’érosion, ennoblissement le résiduel et semblent indiquer une résistance à la sédimentation des agencements posés. Certaines d’entre elles en appellent à leur propre disparition et détérioration. Comme une sorte de contre ordre au fétichisme patrimonial à l’ère de l’obsolescence programmée, elles ont vocation à être les vestiges de temps liquides.

Ontologiquement, ces œuvres s’expurgent de toute référence à l’essentialisation des choses, elles sont des dénégations obstinées à l’immuabilité.

En requalifiant la réalité, en se revendiquant d’une autodétermination assumée, ces œuvres hackent les vraisemblances, les probables.

Selon le réalisme modal en métaphysique analytique, notre monde est un parmi d’autres possibles, qui ne peut se revendiquer d’aucune prééminence ontologique sur les autres. Chaque monde est intriqué par une infinité de mondes possibles, chacun étant une nouvelle constellation d’éléments stipulés, arrêtés. Ces œuvres sont en quelque sorte et en elles-mêmes des fictions world theory pour reprendre l’expression de Lubomir Dolozel. Elles sont des univers fractals qui donnent à appréhender le vertigineux enchevêtrement du monde, toute sa fascinante instabilité.

De la complexité, de la réalité spatio-temporelle, de la durée et de l’uchronie, il en est également question dans les œuvres qui composent ces Heures Sauvages.

Un hypnotique tourbillon chorégraphique exécuté par deux machines désynchronisées – une édification architecturale fantomatique cernée de verre et de glace sans tain mue par un automate – une flamme perpétuelle irriguée par un goutte à goutte d’essence – un objet cristallisé – un crâne achevant le tracé d’une faille – comme autant d’allusions à l’infini et au perpétuel.

La durée
celle de la vie d’autres espèces vivantes, celle de ce que coûte la culture artificielle en milieu clos d’un écosystème

Le souvenir, l’évocation également :
Celui de terres noires et de pratiques ancestrales, celui de 3000 km de traversé vers un No women’s land – l’évocation par une toile d’araignée savamment tissée d’or des paradis artificiels et du frisson de l’évasion

L’uchronie
Cela eût pu 
… des peintures et gravures anciennes sur lesquelles irréversiblement une image de notre réalité contemporaine est apposée – des assises qui n’ont d’antique que par effet de métaphore

L’échappée
Une corde en résine qui anéantie toute tentative d’y grimper pour tenter la désertion

Chacune des œuvres arpentent, sondent des trajectoires possibles, modélisent des mises en abimes. Aucune n’a vocation descriptive et toutes relèvent de ce que Alfred North Whitehead a appelé un « appât pour des sentirs ».

Tout geste artistique est-il testamentaire même ceux qui disparaitront dans un espace qui s’efface ? Ce qui compte doit il demeurer ? Ce qui fait valeur est-il conditionné à ce qui résiste à l’effacement ?

Des installations précaires à celles qui donnent à mesurer autrement le temps que dans son idéal-typique de linéarité, à la dénégation des points de vue suprémacistes, s’interjettent les questionnements de savoir pour reprendre les mots d’Anna Lowenhaupt Tsing , comment il convient de prospérer dans la précarité et dans les environnements dévastés, comment il s’agit de développer de nouvelles alliances avec urgence et conséquence, comment ultimement fabriquer du sens.

Entrez en ces Heures Sauvages

Stéphanie Pécourt

Félix Luque Sanchez, Perpétuité I - Exposition Les Heures Sauvages Nef des marges dans l’ombre des certitudes, Centre Wallonie-Bruxelles, Paris - Photo Valérie Toubas
Félix Luque Sanchez, Perpétuité I
Exposition Les Heures Sauvages Nef des marges dans l’ombre des certitudes, Centre Wallonie-Bruxelles, Paris
Photo Valérie Toubas
Sabrina Montiel-Soto, Trata de recordar - Exposition Les Heures Sauvages Nef des marges dans l’ombre des certitudes, Centre Wallonie-Bruxelles, Paris - Photo Valérie Toubas
Sabrina Montiel-Soto, Trata de recordar
Exposition Les Heures Sauvages Nef des marges dans l’ombre des certitudes, Centre Wallonie-Bruxelles, Paris
Photo Valérie Toubas
Au premier plan : mountaincutters, Objet incomplet - Au second plan : Renaud Auguste-Dormeuil, Série D'après nature - Exposition Les Heures Sauvages Nef des marges dans l’ombre des certitudes, Centre Wallonie-Bruxelles, Paris - Photo Valérie Toubas
Au premier plan : mountaincutters, Objet incomplet
Au second plan : Renaud Auguste-Dormeuil, Série D’après nature
Exposition Les Heures Sauvages Nef des marges dans l’ombre des certitudes, Centre Wallonie-Bruxelles, Paris
Photo Valérie Toubas
Au premier plan : Sébastien Reuzé, Casquette de l'US Air Force - Au second plan : Sébastien Reuzé, Colorblind Sands - Exposition Les Heures Sauvages Nef des marges dans l’ombre des certitudes, Centre Wallonie-Bruxelles, Paris - Photo Valérie Toubas
Au premier plan : Sébastien Reuzé, Casquette de l’US Air Force
Au second plan : Sébastien Reuzé, Colorblind Sands
Exposition Les Heures Sauvages Nef des marges dans l’ombre des certitudes, Centre Wallonie-Bruxelles, Paris
Photo Valérie Toubas
Au premier plan : Lucie Lanzini, Traversée#2 - Au second plan : Lucile Bertrand, Survival Route - Exposition Les Heures Sauvages Nef des marges dans l’ombre des certitudes, Centre Wallonie-Bruxelles, Paris - Photo Valérie Toubas
Au premier plan : Lucie Lanzini, Traversée#2
Au second plan : Lucile Bertrand, Survival Route
Exposition Les Heures Sauvages Nef des marges dans l’ombre des certitudes, Centre Wallonie-Bruxelles, Paris
Photo Valérie Toubas
Angyvir Padilla, La vague venue de loin - Exposition Les Heures Sauvages Nef des marges dans l’ombre des certitudes, Centre Wallonie-Bruxelles, Paris - Photo Valérie Toubas
Angyvir Padilla, La vague venue de loin
Exposition Les Heures Sauvages Nef des marges dans l’ombre des certitudes, Centre Wallonie-Bruxelles, Paris
Photo Valérie Toubas
Au premier plan : Brognon Rollin, I love you but I've Chosen Darkness (Golden Shoot) - Au second plan : Tony Regazzoni, Conforama - Exposition Les Heures Sauvages Nef des marges dans l’ombre des certitudes, Centre Wallonie-Bruxelles, Paris - Photo Valérie Toubas
Au premier plan : Brognon Rollin, I love you but I’ve Chosen Darkness (Golden Shoot)
Au second plan : Tony Regazzoni, Conforama
Exposition Les Heures Sauvages Nef des marges dans l’ombre des certitudes, Centre Wallonie-Bruxelles, Paris
Photo Valérie Toubas
Thomas Garnier, Cénotaphe - Exposition Les Heures Sauvages Nef des marges dans l’ombre des certitudes, Centre Wallonie-Bruxelles, Paris - Photo Valérie Toubas
Thomas Garnier, Cénotaphe
Exposition Les Heures Sauvages Nef des marges dans l’ombre des certitudes, Centre Wallonie-Bruxelles, Paris
Photo Valérie Toubas
Maëlle Dufour, Entre intérêts - Exposition Les Heures Sauvages Nef des marges dans l’ombre des certitudes, Centre Wallonie-Bruxelles, Paris - Photo Valérie Toubas
Maëlle Dufour, Entre intérêts
Exposition Les Heures Sauvages Nef des marges dans l’ombre des certitudes, Centre Wallonie-Bruxelles, Paris
Photo Valérie Toubas