ANDREA VAMOS

ANDREA VAMOS

ENTRETIEN / Andréa Vamos avec Pauline Lisowski à l’occasion de l’exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, du 21 au 30 juillet 2022

Les pellicules cinématographiques, des outils de capture du temps et des révélateurs de moments ?

Complètement, j’ajouterai même bâtisseuses de mémoire !
Ce qui me fascine c’est qu’elles ont cette double fonction entre vie et mort qui est exposée sous nos yeux. En suspension, elles émanent un temps suspendu sensible à chaque mouvement, à chaque courant d’air.
C’est un support qui reflète notre réalité et émet une distance en même temps où l’on peut s’observer.
C’est l’un de mes premiers outils pour mes installations éphémères outdoor. J’en ai trouvé par hasard dans des poubelles, et plutôt que de les voir comme un déchet, je l’ai vu comme quelque chose de précieux, un bijou à garder soigneusement.

Comment développes-tu un intérêt pour la perception du paysage et pour la mémoire des lieux ?

Le paysage est quelque chose que je cultive grâce au voyage et à la marche. C’est donc une expérience physique mais aussi visuelle. C’est un espace-temps où je peux faire des points ! c’est-à-dire me centrer sincèrement avec l’environnement qui m’entoure. La photographie, l’écriture, le dessin m’aident à mémoriser les lignes du paysage qui m’ont attirées au point d’arrêt.

Devant un paysage, il y a une apparition qui souvent prend forme grâce à l’instant. Je travaille mon regard en repérant les lignes et les lumières. C’est une sensibilité photographique qui travaille à ce moment-là et en même temps picturale car il est question de projeter un équilibre entre le réel et l’imaginaire.

Le paysage m’inspire l’envie de créer de nouveaux lieux dédiés au vent, à la fragilité et à l’éphémère, à des valeurs non rentables.
Devant un paysage, il y aussi une résonnance avec ma personnalité. Je suis fascinée par l’ampleur de la nature, sa résilience sur son environnement et l’altération des matières par le temps qui passe.

Intervenir sur le paysage vient de mon besoin de laisser des traces. Une certaine paraphrase pour dire que le « ça a été » a existé. Mon intention n’est pas de créer des documents de mes installations plutôt d’en révéler leur histoire aussi fugace soit-elle. Grâce à la mémoire, on construit son identité et l’image, avec ses couches successives, écrit des histoires. C’est aussi une manière de comprendre d’où l’on vient, à force de répéter ou de revenir à certains endroits.

J’ai tant besoin de relations aux paysages qu’il me semble nécessaire de me déplacer afin d’ouvrir de nouveaux horizons.

Tu travailles dans des lieux libres, où il y a moins de règles, des territoires de possibles, de ressource. Tes installations incarnent et mettent en lumière la vie des lieux où tu interviens… Comment interviens-tu in situ ?

C’est vrai, en choisissant des lieux abandonnés, oubliées, des lieux d’enfance, des lieux en ruine, je cherche à me déconnecter de la réalité, à repérer des failles, des matières ou des graphismes qui sont loin d’un univers lisse, sans entraves. Je cherche des lieux qui ont leur propre histoire et qui l’exposent dans leur plus grand dénuement, Essentiellement je dirais que je passe l’appareil à la main avec une playlist particulière pour chaque lieu. Je cherche la lumière, le végétal, la trace. Je cherche où se trouve l’invitation, la simplicité où la porte est ouverte sans surveillance, où les grilles sont écrasées. Les lieux en bords de route sont ceux qui ‘m’inspirent le plus car ils ont été bâtis avant que la circulation routière n’existe, avant le bêton, ils sont témoins de l’évolution du paysage. Et ils restent à la disposition de tous.

D’un autre côté, les lieux inaccessibles ont le charme de ne pas respecter les règles de propriétés, il faut passer au-delà de la grille, cette curiosité met en éveil les sens.

De retour à l’atelier, j’écris ce en quoi ce site m’interpelle en tant que réalisatrice et actrice, où me place-t-il ? à l’extérieur ou à l’intérieur ?
Je fais un point également sur la technicité de l’installation, je travaille seule et je suis rapidement limitée dans la forme que peuvent prendre les installations.

Puis je reviens sur le site équipé de mes gélatines, mes c stands, mes outils … J’installe une première fois et je m’aperçois que ce n’est pas le bon endroit. Je recommence un pas sur le côté, j’observe et laisse faire l’imprévu afin que l’installation m’échappe et fasse partie intégrale du lieu. C’est là que je shoote.

Comment songes-tu au cheminement du visiteur dans cette exposition ?

Il y a deux cheminements dans l’exposition 36 pauses-36 poza : il y a celui de l’exposition dans sa totalité et celui de l’installation Slides memory.
Ces deux promenades proposent une approche différente : soit on traverse l’image, on vit d’abord l’expérience, spontanément.
Soit on découvre les travaux préparatoires à l’installation pour ensuite vivre l’expérience (ou non) de l’installation Slides memory.
Ces deux cheminements résonnent avec les manières dont on peut aborder la vie et que je pratique tous les jours : soit on réfléchit puis on y va, soit on fonce sans réfléchir !!
Il y a également un cheminement plus subtil, c’est celui du regard car dans un sens l’installation est brillante, les impressions sur celluloïd reflètent la vie à l’extérieure et donc expose une vision où deux mondes se projettent l’un sur l’autre, un peu comme les pellicules cinématographiques. Un monde en mouvement où se juxtaposent couleur et noir et blanc, nature et ville.
Quand on décide de sortir de l’installation et donc de faire retour en arrière, on a alors une nouvelle texture qui apparait plus sombre, plus franche où les superpositions, n’existent pas, on a une réelle vision de l’image que l’on a traversé, on y voit plus claire, on comprend également qu’il s’agit de la même image, qu’elle a répétée, découpée, architecturée. On sort donc d’un état de flou à un état de clarté.

Tu proposes trois temps dans l’exposition et trois temps de construction de l’image, peux-tu préciser cette correspondance ?

Il y a le temps de la naissance, un temps inconscient exprimé par le dessin. C’est le temps violent de l’imaginaire, le temps de l’inconscient, le temps des possibles impossibles. C’est le temps qui ne sera jamais à son image.

Il y a le temps de l’expérience de l’image, celle qui joue sur la construction de notre identité, celle qui cristallise notre mémoire sous forme de parois.

Il y a le temps du retour, celui où on se rappelle que l’extérieur existe, qu’il y a une suite à cette exposition et qu’en obligeant la sortie en repassant par l’installation, on se pose la question de savoir quelle image on va garder de cette exposition dans notre mémoire ? comment va-t-elle nous influencer à l’avenir ?

Des dessins, des photographies de dessins composent une ligne. Seraient-ce des indices pour appréhender ton œuvre in situ ?

Tout à fait ! Ce sont des indices pour appréhender le paysage, pour ne pas arriver en territoire inconnu. Ces dessins et photographies de dessins sont là également pour témoigner de la naissance de cette installation, lui fournir une pièce d’identité, un passeport et ainsi créer un dialogue avec le public.

Dans cette exposition, tu crées un espace à traverser… Cette expérience ne ferait-elle pas écho au passage du temps et aux phénomènes naturels ?

Si tout à fait. Le passage du temps se fait d’une image à une autre, du fait que l’installation contraint certaines gestuelles tel qu’avancer, reculer, faire un pas de côté. Et en même temps, elle appelle le regard qui a besoin soit de s’arrêter soit de passer sans regarder. Les phénomènes naturels y sont évoqués par la variation des impressions entre sous exposées et surexposées, entre noir et blanc et couleur, entre une entrée non éclairée et la sortie vers une installation lumineuse.

Relation entre intérieur et extérieur, proximité avec la matière de l’image, changement de lumière, de quelle façon ces expériences s’opèrent-elles dans ta pratique artistique ?

Elles sont constantes comme un leitmotiv, comme un rappel, c’est une manière de regarder et de savoir qui je suis et d’où je viens.
J’aimerai qu’elles soient plus présentes dans mon quotidien, et en même temps je crains qu’elles me rendent plus agressives. Je crois que je protège beaucoup mon travail.

En fin de parcours, un dessin de lumière révèle des montagnes, mémoire de l’expérience d’un paysage… ?

Je dirai plutôt que c’est une autre lecture de la photographie, et aussi une nouvelle apparition de paysage, une suite à mon travail à venir. C’est la première fois que j’utilise des néons dans mon travail. Je dessine ces lignes de montagnes si particulières à la côté monténégrine, et cette forme est en écho avec un dessin exposé à l’entrée de la galerie. C’est une boucle qui se renouvelle.

Avec Ponovo*, la couleur de la gélatine se superpose sur le paysage. La photographie exprime ici le mouvement, l’accident, la force de la nature. Ce projet offre-t-il pour toi la possibilité de rendre visibles les changements infinis dans le paysage ainsi que les bouleversements climatiques ?

Ponovo peut être lu avec un œil soucieux des bouleversements climatiques. Cependant, mon intention première n’était pas dans cette perspective.

Enfin, il est question de mémoire dans cette exposition, mémoire d’impression colorée, mémoire d’une marche en forêt, mémoire de sensations éprouvées entre deux territoires. Comment poursuis-tu la composition des souvenirs et ce à l’infini ?

Je dis souvent que je photographie ma vie, sinon j’oublie tout ! Ma capacité à fixer des images, à les choisir comme faisant partie de ma mémoire essentielle puis à les classer est fortement mise à l’épreuve par la circulation de toutes les images qui nous entourent au point tel que je peux vite oublier ma propre vie. Dès lors que je partage une partie de mes propres images, elle ne m’appartient déjà plus.

C’est très compliqué d’entretenir sa mémoire. C’est pourquoi je pense plutôt en termes d’architecture et de structure dans l’espace qui viendrait soutenir la mémoire des images, des couleurs, des sites.
Je voudrai également apporter de nouvelles pièces à lire qui seraient intégrées dans le processus de mémoire comme parcours dans l’exposition. Je cherche un impact visuel fort sans que cela passe forcément par des formats monumentaux mais plutôt qui s’adapterait à chaque lieu d’accueil de mes expositions.

Andréa Vamos vue de l'exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l’exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l'exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l’exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l'exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l’exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l'exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l’exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l'exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l’exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l'exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l’exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l'exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l’exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l'exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l’exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l'exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l’exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l'exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l’exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l'exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l’exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l'exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l’exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l'exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l’exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l'exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l’exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l'exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l’exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l'exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022
Andréa Vamos vue de l’exposition 36Pauses à la Ulus Galerija à Belgrade, juillet 2022