CESAR VAN PINSETT

CESAR VAN PINSETT

Cesar Van Pinsett – fac simile – 2020

ENTRETIEN / Cesar van Pinsett

PAR ALEX CHEVALIER DANS LE CADRE DE « ENTRETIENS SUR L’ÉDITION »

Artiste et éditeur Cesar van Pinsett joue avec les systèmes de production et de diffusion de l’édition. Que ce soit les siennes ou celles des artistes qu’il édite, elles sont données de main à main, envoyées par courrier et sont même parfois collées, il arrive également qu’elles puissent servir d’emballage cadeau. Un lien à l’autre et au collectif qu’il nourrit au quotidien en partageant les multiples éditions qu’il collectionne. Dans cet entretien, réalisé entre octobre et décembre 2022, nous revenons sur les jeux d’identité de Cesar van Pinsett, ses activités et rapport qu’il entretien avec l’édition.

Comment en es-tu arrivé à travailler avec les éditions d’artistes ?

J’ai commencé à faire des fanzines en 2008 pendant mes études d’arts du spectacle (cinéma) et je crois n’avoir jamais arrêté de faire des fanzines et des livres d’artistes, puis de participer aux foires de livres (NY Art Book Fair en particulier). Les premiers fanzines étaient des collages faits entre amis puis photocopiés et distribués gratuitement. Il y avait, pour tous, un plaisir libérateur à faire ces collages ensemble et à les distribuer dans un système hors de tout champ économique. Puis les années ont passé, la passion pour les fanzines et les éditions d’artistes n’a fait que grandir.

Je t’ai connu sous le nom Le Gros Monsieur, qui était, si ne me trompe pas, une sorte d’entité anonyme réunissant une quinzaine de personnes, toutes liées de près ou de loin à l’édition. Pourrais-tu nous parler un peu plus de ce collectif et de ses activités ?

Ce collectif réunissait effectivement environ 12 personnes dont une dizaine que je représentais avec différents pseudonymes !!!
Ma vie professionnelle m’a toujours incité à utiliser des pseudonymes (y compris pour cette interview).
Les différents noms d’emprunts sont pour certains construits en lien direct avec le livre d’artiste (je te laisse deviner…), ou sont parfois des inventions plus farfelues pour garder l’anonymat.
Le collectif a été une plateforme pour faire de nombreux fanzines/livres d’artistes et être présent dans différentes foires de livre. C’était sans doute également un moyen pour moi de cacher ma timidité et mon manque de confiance en moi.

Je sais aussi que tu collectionnes beaucoup d’édition, des acquisitions que tu partages d’ailleurs régulièrement par l’intermédiaire de ton compte Instagram. Pourrais-tu nous en dire deux mots ? Comment en es-tu arrivé à collectionner ? Quels types d’objets peut-on y retrouver ?

La collection est née à la suite des échanges de fanzines, notamment par le mail art qui est aussi une pratique importante chez moi. Initialement, mes acquisitions se faisaient souvent dans le but de soutenir un artiste/ami. Après quelques années d’échanges de fanzines/livres j’avais accumulé un nombre conséquent d’ouvrages qui devenait un corpus intéressant des publications queer/gay de la dernière décennie. Je suis alors doucement tombé dans le piège du collectionneur, c’est-à- dire le besoin presque compulsif de cumuler les fanzines queer.
Ma collection est focalisée sur les productions récentes : fanzines queer/LGBT+/gay accompagnés de quelques livres photo et j’ai également acquis un petit nombre de livres d’artistes ayant des reliures originales.
En cours de déménagement, j’ai le secret espoir d’organiser et cataloguer la collection.

Depuis 2012, tu co-édites CAS, pour Cock Au Soleil qui est un zine apériodique gay et porno pour lequel aucune communication n’est faite, si ce n’est par vos réseaux. Il prend la forme d’une enveloppe A5 dans laquelle sont glissés des livrets réalisés par des artistes que vous invitez, des autocollants, cartes postales, préservatifs, etc. Comment est né ce projet ? Et que pourrais-tu nous en dire ?

Le projet avait pour but de réfléchir sur ma propre sexualité et de permettre à tous de participer à un projet artistique autour de la sexualité gay. L’aspect underground et secret du projet a permis de donner beaucoup plus de liberté aux contributeurs (certains n’étaient pas des artistes mais des anonymes qui voulaient juste participer).
Le concept de la pochette avait pour but d’éviter un ouvrage collectif que je trouve souvent hétérogène et de permettre à chaque publication de vivre indépendamment. La première édition est née autour d’un ami qui avait des pratiques sexuelles liées à la douleur corporelle, ce que je voulais partager pour comprendre sans juger.
La seconde édition était autour du hanky code.
La troisième édition était sur la figure de Saint Sébastien et du porno vintage. La quatrième édition était un set de papier cadeaux gay.
Et la dernière (et finale) édition a pour thème le « saut dans l’inconnu ».
Ce projet a été très important pour comprendre, accepter et vivre mon homosexualité ainsi que pour rencontrer des artistes.

Il y a aussi, dans le côté underground et secret, quelque chose d’historique je trouve. Avec CAS vous rejouez un mode de diffusion historique propre à ce type de littérature, qui, il fut un temps, se partageait sous le manteau. Pourrais-tu nous en dire un peu plus sur ce qui a motivé vos choix et comment cela se passe concrètement ?

Ayant été assez (trop) longtemps dans le placard, il était pour moi assez naturel d’avoir un mode de diffusion hors des circuits traditionnels. L’aspect underground et secret permettait aussi de rencontrer un public plus curieux et plus ouvert à une publication qui avait du contenu pour adultes avertis. Plutôt que de me battre avec la censure, il m’était plus intuitif d’emprunter d’autres routes.
En outre, ce mode de diffusion permet de rencontrer un autre public, souvent éloigné du monde des fanzines mais prêt à tout découvrir et à faire vivre le projet sans aucune sacralisation (par exemple, le CAS#4 était des papiers cadeaux et rien ne pouvait me faire plus plaisir que de savoir qu’ils étaient utilisés ! au lieu d’être conservés comme une œuvre intouchable !).

Le collectif est très présent dans ton parcours, tu en viens, tu crées une publication dont l’idée tourne autour du partage… Est-ce une notion importante ?

Je crois que le partage est une notion très importante ! et tristement de plus en plus oubliée. Presque toutes mes publications sont gratuites !
J’ai toujours vendu mes publications au New York Queer Zine Fair pour un baiser ! La réaction des gens face à la gratuité est très intéressante et souvent déroutante. Les gens confondent générosité et richesse par exemple… ou considèrent que la publication n’a pas de valeur artistique car pas de valeur marchande…

Tu pointes-là une question très intéressante, tu disais un peu plus tôt avoir participé à la Printed Matter ArtBook Fair ou encore à la New York Queer Zine Fair, je sais que tu participes ou a participé à d’autres foires, et je me demandais justement comment cela se passe-t-il pour toi quand on fait du gratuit, que l’on édite et que l’on fait des foires ? Pourrais-tu nous en dire un peu plus ?

Je crois que ce qui m’intéresse avant tout est de rencontrer un public et d’échanger avec lui. Autrement dit, sur ma table je ne précise pas si c’est gratuit ou payant et j’attends patiemment que quelqu’un pose la question !
Les réactions sont très variables mais commencent toujours par la surprise et puis le plaisir de repartir avec quelque chose. Les visiteurs sont toujours intrigués par le processus économique et je dois toujours expliquer que par souci de liberté et d’indépendance, j’économise pour publier sans recherche de profit. Bien entendu, il y a des projets que je n’ai jamais pu éditer pour cette même raison mais j’ai appris à être inventif et j’ai toujours gardé une totale liberté dans mes publications.
Les visiteurs prennent rarement beaucoup de copies par gêne mais certains ont voulu me casser la figure car je refusais de l’argent !
Cependant, à cause des coûts d’impression et des foires il m’arrive parfois de vendre mes publications. J’ai aussi la chance de faire beaucoup d’échanges avec d’autres artistes.

Il y a un caractère très lié au Do It Yourself (DIY) dans ce que tu édites, collectionnes et partages. Des objets simples, pauvres et diffusés de la main à la main. Tu fais toi-même la diffusion, adresses toujours un petit mot aux destinataires de tes envois postaux. Maîtriser toute la chaîne, de la conception à la diffusion en passant par la production est-il important pour toi ?

Beaucoup de mes publications sont quand même imprimées en ligne !
Maîtriser toute la chaine de conception/production/distribution offre une grande liberté à laquelle je tiens énormément ! Je ne crois pas faire des productions artistiques mais des souvenirs. Souvent mes fanzines sont faits pour me souvenir d’un moment avec un ami, j’en publie simplement quelques exemplaires en plus pour en donner.
Il y a régulièrement la frustration des limitations économiques mais cela pousse à être toujours plus créatif.
Je suis également très attaché à la spontanéité de la culture DIY où l’envie de faire et de partager prime sur la dimension artistique du projet en lui-même. Je suis également très attaché à la spontanéité de la culture DIY où l’envie de faire et de partager prime sur la dimension artistique du projet en lui-même.