NICOLAS DEGRANGE

NICOLAS DEGRANGE

Nicolas Degrange, Exposition collective La Chamade, L’annexe 2020, Paris. Knick-Knack (banc) : peintures acryliques sur toile coton, pieds en sapin entoilés, 135 x 50 x 35 cm – 2020. Crédit photo : Alice Tremblot

ENTRETIEN / Nicolas Degrange, entretien du 23 novembre 2020, ChezKit, Pantin

par Lena Peyrard

C’est dans son atelier CHEZKIT à Pantin que Nicolas Degrange me reçoit en cet après-midi de fin novembre. Après des études artistiques à l’ECAL d’abord (Lausanne, Suisse) puis aux Beaux-Arts de Bordeaux, Nicolas vit et travaille désormais à Paris. Réduire sa pratique au seul prisme de la peinture serait une erreur et nous le verrons au cours de cet entretien, Nicolas explore le medium pictural à travers un spectre élargi. Ensemble nous allons aborder les ‘bidules’ et les ‘machins’ qui peuplent son univers, ses collections variées comme autant de récits possibles à réinterpréter, la peinture comme objet et la photographie comme empreinte de l’éphémère.

Lena Peyrard : Nicolas, je disais tout à l’heure que tu es peintre mais j’ai l’impression que lorsqu’il s’agit de parler de ton travail, le terme de peintre peut paraitre incomplet. Qu’est ce que tu en penses ? Est-ce que peintre, ça te convient ?

Nicolas Degrange : Peintre est un mot qui me convient. J’ai une formation de peintre et je vois énormément les choses comme des peintures. Que ce soit du volume ou des objets et parfois même certaines photos ou vidéos. Je suis souvent amené à en parler comme des peintures. Mais en même temps, j’ai l’impression que le terme de peintre est trop petit pour contenir l’ensemble de ma pratique. Je suis parfois un peintre-sculpteur, parfois un peintre-photographe. Ça commence toujours par peintre mais ce n’est jamais uniquement que de la peinture.

L: Ce qui me fascine dans ton travail, c’est que tes pièces se libèrent partiellement ou complètement du format classique du tableau. Cette réflexion croisée à la fois sur le châssis comme objet, et sur la peinture comme pratique, tu la nourris depuis plusieurs années. Si tu veux bien, j’aimerais commencer par parler des shaped canvases qui sont en quelques sortes des tableaux-objets, aux angles parfois arrondis, à la surface parfois courbée, et recouverte généralement d’un aplat de couleur. Dans quelles circonstances en es-tu venu à envisager la peinture sous cet angle ?

N: Lorsque je suis arrivé en Suisse je n’avais pas les moyens de m’acheter des châssis alors on m’a dit de les fabriquer. C’est là que j’ai appris à faire mes premiers châssis et ce lien entre l’objet peint et l’objet fabriqué s’est réuni dans le shaped canvas. C’était pour moi le moyen de construire un objet qui a vocation à être peint ensuite. D’un premier châssis très simple est venue toute une expérimentation où j’essayais de pousser un petit peu plus loin le châssis, de le décrocher du mur pour le mettre au sol. Dans ma pratique, il y a aussi beaucoup de tableaux qui s’incrustent dans des objets ou d’objets en trois dimensions qui dictent la forme d’un tableau. Ça s’est fait petit à petit mais dans un vrai intérêt de questionner la surface picturale et le volume sculptural : de les faire jouer ensemble ou parfois l’un contre l’autre ou l’un avec l’autre.

L: Dans ta pratique, tu vas encore plus loin dans cette exploration disons « hors cadre » de la picturalité. Je pense plus particulièrement à cette série intitulée Knick-Knack débutée en 2013 alors que tu étais encore étudiant à l’ECAL, et que tu poursuis aujourd’hui encore. Dans cette série, tu t’intéresses comme tu le dis toi-même à « des machins, des bidules utiles ou non, qui peuplent nos intérieurs » et que tu viens détourner. Il y a par exemple ce banc dont l’assise en mousse est recouverte d’une toile peinte en gris. Tu peux m’en dire plus sur cette série ?

N: Dans mon travail, il y a un vrai intérêt pour la périphérie, pour ce qui se trouve à côté, ce que l’on voit tous les jours sans même le remarquer. Knick-Knack s’intéresse aux objets domestiques, aux bidules que l’on pose sur un rebord de fenêtre ou bien aux objets utilitaires et décoratifs en même temps qui sont présents mais dont l’usage n’est plus forcement justifié. Avec Knick-Knack j’utilise des objets du quotidien comme ce qui peut être un banc ou un repose-pied – car il n’a pas tout à fait la hauteur d’un banc -, un store pour briser la vue dans un intérieur, un cadre de lit, un téléviseur, etc. Lorsque l’on arrive à les isoler, ils évoquent un langage commun, un imaginaire collectif. Ainsi isolés ils parlent tout de même du milieu auquel ils appartiennent. J’essaye de jouer avec ça. Le titre de la série est une expression anglo-saxonne qui exprime ce genre de choses : ces bric-à-brac, ces petites choses, ces bidules qui ornent nos quotidiens.

L: Tu collectes donc des objets que tu détournes ensuite. Pour te connaitre un peu je sais que la collection est une pratique centrale dans ton travail. A part ces objets que tu détournes ensuite, quels sont tes autres sujets de collection ?

N: J’ai pas mal de collections d’objets assez dérisoires qui semblent sans valeur. J’ai aussi une collection intitulée Sea Side et composée de photographies de carrosseries de voitures que je prends assez régulièrement dans la rue et ça depuis 2015 : je prends la ville en photo à travers le reflet des peintures de carrosseries. Il y a d’autres collections qui sont plus matérielles que la photographie. Je collectionne depuis 2014 des revers d’emballage de produits alimentaires de la grande consommation sur lesquels on peut trouver ce qu’on appelle le langage d’imprimerie. C’est un langage mis en place pour parler aux machines et constitue de repère de coupe, de couleur, des années, etc. Ce sont des petits bouts de cartons que je collectionne et conserve dans un carnet.
Certaines, très peu, deviennent des pièces. J’aime aussi avoir des objets d’art. C’est une collection qui s’est faite avec le temps. Lorsque je rencontre un nouvel artiste dont j’aime le travail et vice versa, l’échange est quelque chose que j’aime bien mettre en place.

L: En fait si j’en reviens à tes pièces, elles résultent d’objets collectés mais en même temps elles orientent le récit plus loin. J’ai l’impression que d’une certaine manière, tu crées des simulacres, et qu’on pourrait même parler de décor. Qu’est ce que ça t’évoque ? Est-ce que tu es d’accord ?

N: Je ne sais pas si je suis vraiment d’accord avec l’idée de décor. Le décor fait vraiment partie du vocabulaire du théâtre et de la scène. Moi je prends des objets qui font partie du décor mais lorsque je décide de travailler avec, je ne refais pas un décor. Je pense que d’une certaine manière ce que j’essaye de faire c’est que l’on regarde un peu plus dans le décor justement.

L: J’ai commencé en te présentant comme peintre, on a poursuivi en parlant des shaped canvases, maintenant on en vient à parler d’objets. Finalement, ta pratique s’apparente aussi, et assez clairement, à celle d’un sculpteur. Peintre-sculpteur, c’est ce que tu disais aussi tout à l’heure. Je pense par exemple à cette pièce où l’on voit deux encadrements de lit positionnés l’un au-dessus de l’autre et dans lesquels s’imbriquent des toiles recouvertes de monochromes noirs. Du coup, j’ai envie de te poser la question de ton rapport à la sculpture ?

N: Comme la peinture, le mot sculpture est un grand mot qui réunit énormément de pratiques. Pour moi un sculpteur c’est vraiment quelqu’un qui façonne une matière alors que mon rapport à la sculpture passe par les objets en trois dimensions déjà existants et autour desquels je tourne et j’incruste de la peinture. Mon rapport à la sculpture vient surtout d’un rapport à l’objet et l’espace. Je ne suis pas un sculpteur qui sculpte.

L: Est-ce que l’on retrouve des sculpteurs dans les artistes qui t’inspirent ?

N: Si je devais en évoquer un avec qui je me suis entendu et qui m’a fait beaucoup réfléchir au fil de mon parcours ce serait Pierre Vadi qui fut mon professeur à l’ECAL. Il m’a certes un peu violenté en tant que peintre mais il m’a fait voir les peintures que je faisais alors (vraiment de l’ordre du tableau classique) à travers leur présence en tant qu’objets et non pas uniquement comme des images. Et ça, c’est le conseil d’un sculpteur qui m’a vraiment fait avancer.

L: Pour finir, j’aimerais aborder une nouvelle série que tu réalises en ce moment intitulée « La peinture éternelle ». Pour ce travail, tu as recours à des photographies Polaroïd qui mettent en lumière les taches de peinture que l’on retrouve sur ta peau ou sur tes vêtements. Je n’en dis pas plus mais peut-être pourrais-tu nous commenter le titre de cette série « La peinture éternelle » bien qu’elle tende davantage vers la photographie ?

N: Encore une fois, cette série parle de la périphérie. Elle provient du constat simple que j’avais toujours de la peinture blanche sous les ongles, dans la pliure d’un doigt. Que je sois artisan, artiste pour moi, artiste pour d’autres ou avec d’autres, finalement je peins tous les jours de la semaine et les traces de peinture, elles, restent. Il y a quelque chose de l’ordre de la neige éternelle qui reste, quelle que soit la saison. En quelque sorte ces traces font désormais partie des objets que je collectionne et que j’intègre à mon travail. Ce sont les témoins du travail en atelier, d’un travail qui est fait ou qui est en train de se faire. La série est composée de photos instantanées de taches instantanées : tout cela est très éphémère. Pour la réaliser je me suis fixé certaines règles du jeu à savoir l’instantanéité, un système d’accroche précis composé de cadres métalliques sur lesquels je décide de tendre une toile à la manière d’un shaped canvas qui est un procédé récurrent dans mon travail. Il y a aussi d’autres règles comme par exemple le contre-collage sur carton et les dimensions qui sont presque toujours les mêmes. Il y a ici une intention poétique qui parle d’éphémère et de périphérie au sein d’un système qui au contraire, est rationalisé et protocolaire. Ensemble, cela crée comme un flottement. On ne sait pas si on observe une peinture ou le fantôme d’une peinture qu’on ne verra peut-être jamais.

Vue d’accrochage collectif des résidents de DOC! - 2020 - Paris à gauche Lovers (tableau) : banquettes en skaï détournées, sangle, 70 x 30 x 9 cm - 2014 crédit photo : Nicolas Degrange
Vue d’accrochage collectif des résidents de DOC! – 2020 – Paris à gauche Lovers (tableau) : banquettes en skaï détournées, sangle, 70 x 30 x 9 cm – 2014 crédit photo : Nicolas Degrange
La peinture éternelle {#2} photographie instantanée contre-collée sur carton épais, cadre aluminium entoilé, peinture acrylique, 19.2 x 20 cm - 2020. crédit photo : Ayka Lux
Nicolas Degrange, La peinture éternelle {#2} photographie instantanée contre-collée sur carton épais, cadre aluminium entoilé, peinture acrylique, 19.2 x 20 cm – 2020. crédit photo : Ayka Lux
Nicolas Degrange, La peinture éternelle {#4} photographie instantanée contre-collée sur carton épais, cadre aluminium entoilé, peinture acrylique, 28 x 20 cm - 2020. crédit photo : Ayka Lux
Nicolas Degrange, La peinture éternelle {#4} photographie instantanée contre-collée sur carton épais, cadre aluminium entoilé, peinture acrylique, 28 x 20 cm – 2020. crédit photo : Ayka Lux
Nicolas Degrange, Knick-Knack (encadrements de lit II) Encadrements de lit en aluminum (taille enfant et taille adulte), peintures acryliques sur toile coton 200 x 220 cm 2017. crédit photo : Ludovic Madamour
Nicolas Degrange, Knick-Knack (encadrements de lit II) Encadrements de lit en aluminum (taille enfant et taille adulte), peintures acryliques sur toile coton 200 x 220 cm 2017. crédit photo : Ludovic Madamour
Nicolas Degrange, Knick-Knack (Store I) Peintures acryliques sur toile coton, store d’intérieur détourné. dimensions maximales 40 x 160 cm. 2020. crédit photo : Ayka lux
Nicolas Degrange, Knick-Knack (Store I) Peintures acryliques sur toile coton, store d’intérieur détourné. dimensions maximales 40 x 160 cm. 2020. crédit photo : Ayka lux
Nicolas Degrange, Vue de l’exposition La Chamade L’annexe, Paris, 2020. Knick-Knack (Store I) et Knick-Knack (Store II) peintures acryliques sur toile coton, store d’intérieur détourné, dimensions maximales 70 X 260 cm. 2020. crédit photo : Alice Tremblot
Nicolas Degrange
Vue de l’exposition La Chamade L’annexe, Paris, 2020. Knick-Knack (Store I) et Knick-Knack (Store II) peintures acryliques sur toile coton, store d’intérieur détourné, dimensions maximales 70 X 260 cm. 2020. crédit photo : Alice Tremblot

NICOLAS DEGRANGE – BIOGRAPHIE
Nicolas Degrange est né en 1991 à Madrid
Il vit et travaille à Paris.
Diplômé de l’EBABX Ecole supérieure des Beaux-Arts de Bordeaux en 2017.

https://www.instagram.com/nicolas_degrange/?hl=fr