TOMÁŠ JETELA

TOMÁŠ JETELA

Tomáš Jetela – exposition « PRINCESSES » Galerie Toyen, Prague

ENTRETIEN / Tomáš Jetela par Anna #m0reroom4art à l’occasion de l’exposition « PRINCESSES »
jusqu’au 31 août 2022, Galerie Toyen, Prague

Tu as actuellement une expo solo à la Galerie Toyen intitulée “Princesses”… qu’est-ce qui t’as conduit vers cette thématique exclusivement féminine ?

Je réfléchissais à quelle partie de mon travail présenter lors de cette exposition et deux facteurs principaux m’ont conduit vers le sujet des femmes. 

Tout d’abord, cela m’est venu naturellement à l’esprit car, récemment, j’ai peint plus de femmes qu’avant (les sujets féminins apparaissent plus souvent). Ensuite, j’ai également vu un signe dans le nom de la galerie elle-même : Toyen… une peintre surréaliste tchèque majeure, qui est parvenue à percer et s’établir dans le monde de l’art à une époque où il s’agissait principalement d’une affaire d’hommes. Elle était l’une des rares femmes-artistes. 

En général, est-ce que le choix d’un titre d’oeuvre ou d’une exposition est important pour toi ? Comment choisis-tu le titre et as-tu déjà donné un nouveau titre à une ancienne oeuvre ?

Avec le temps (et la sagesse ;)), je réalise de plus en plus que le titre d’une oeuvre à un sens important. Trouver un nom est une activité créative comparable à celle de peindre l’image… c’est de la poésie ! Avec le titre, je veux indiquer (préférablement dans une forme poétique) ce qui se cache derrière la création, pour donner une certaine direction à l’observateur (pour la perception, l’acceptation, la compréhension de l’image)… mais je ne veux pas le priver de l’opportunité de trouver de nouvelles (ou différentes) connexions, observations et d’autres niveaux de compréhension. Un titre qui établit directement et littéralement, ou bien dicte, comment l’image doit être lue ou sous quel angle la regarder n’est pas idéal. Il doit être plus mystérieux que littéral, direct et descriptif. Il doit être noué comme une pensée dans un poème ! 

Parfois, quand je termine une oeuvre, le résultat me rappelle, évoque, quelque chose (par exemple venant de la littérature, d’un film…) et cela peut conduire au titre… mais cela n’est pas toujours le cas. Par exemple, un détail dans l’image peut mener au titre. Il peut aussi émerger de toute chose accompagnant la création de l’image.

Maintenant, pour ce qui est des oeuvres antérieures… je fais cela tout le temps. Parfois, une oeuvre plus ancienne reçoit des titres multiples (avec le temps, les années). Au fil du temps, elle est perçue différemment, ou bien le titre original a perdu son sens. L’image procure de nouvelles associations ou souligne d’autres réalités et on y trouve quelque chose de nouveau….

Tomáš Jetela - exposition "PRINCESSES" Galerie Toyen, Prague
Tomáš Jetela – exposition « PRINCESSES » Galerie Toyen, Prague

A travers les différentes oeuvres et titres, le spectre social (et chronologique) des femmes représentées dans cette exposition “Princesses” est très large… des bas-fonds à la divinité. Alors qu’elle est ta définition de “princesses” ?

J’associe les princesses à mon enfance. Les filles jouaient aux princesses, elles voulaient être comme elles. Dans les contes de fées, on voit la princesse comme une héroïne, comme le personnage principal (ou l’un des personnages principaux de l’histoire), pour qui les choses tournent en général bien. Le Bien triomphe du Mal… C’est un certain archétype (que ce soit le type d’histoire ou l’idéal de la princesse). Après les aventures, la princesse obtient tout ce qu’elle voulait. 

Comme je l’ai dit, il s’agit d’un archétype qui apparaît dans les transmissions orales et écrites à travers les siècles. Cela me fait penser au Rêve Américain d’aujourd’hui. Cela m’amène au point où je pourrais dire que dans le monde d’aujourd’hui, les femmes du show-business (actrices, chanteuses, modèles…) sont comparables aux princesses des histoires… simplement des femmes à succès de tous types d’industries. 

Toutes ces icônes satisfont à l’idéal de “princesses”. Les princesses ont été définies comme telles, partout, dans les yeux des femmes aujourd’hui. C’est pour cela que certains noms font référence au monde du sacré (divinité)… 

Pour continuer sur les noms, on trouve aussi des références aux chefs-d’oeuvre du passé… c’est lié… mon admiration pour les peintres que mes oeuvres citent est de même nature que celle mentionnée précédemment (icônes, femmes idéalisées…). Il m’apparaît qu’en créant un idéal on tue un peu un être vivant par la même occasion, on crée une image déformée qui vole et surpasse une personne spécifique… la vie est remplacée par la virtualité, la fiction….

Par ailleurs, les titres contiennent des références aux chansons et films qui évoquent ou nous rappellent la vie d’une princesse (comme tout le monde se l’imagine en général) : Dolce vita, California dreaming… 

Bien sûr, les princesses peuvent aussi être mauvaises… mais cela dévie de l’image que la société a créé et qui est généralement acceptée comme correcte et légitime… De l’essence de l’archétype, on voit cela comme le pinacle de la culture, de la beauté… Il y a aussi un élément de privilège. 

Il s’agit d’un être créé artificiellement par le processus psychologique inconscient qui a été entretenu pendant des siècles. Cela fait partie de l’inconscient collectif. Les histoires ont gagné de la puissance et du pouvoir pendant des siècles, et nous nous tenons nous-mêmes sur l’autel sacrificiel de cette configuration (cet arrangement de l’existence humaine). 

Tomáš Jetela - exposition "PRINCESSES" Galerie Toyen, Prague
Tomáš Jetela – exposition « PRINCESSES » Galerie Toyen, Prague

Vieux maîtres”, pop-culture, rêves, films/séries, histoire, magazines, littérature, photographie… peux-tu nous en dire plus sur l’origine de ces “princesses”… quel est leur “royaume” ? 

De quel royaume… comme indiqué précédemment… formellement, du monde des histoires d’aujourd’hui, du monde des médias. En fait, les réseaux sociaux en sont remplis. Ils permettent à tout un chacun de réaliser ses rêves… d’être des princesses. Les femmes, mais aussi les hommes, montrent leurs “visages de princesses” (quand je parle de princesse, j’entends l’idéal généralement accepté que j’évoquais précédemment). 

Tu as pris part à plusieurs expositions estivales en République-Tchèque parmi lesquelles d’autres femmes sont représentées, souvent comme fumeuses ou comme “femme fatale”. Quelle est l’importance de cette esthétique particulière dans ton oeuvre ? 

La femme fatale est un autre archétype fascinant du monde de l’art et de la littérature… je l’associe avec les super-héros des bandes dessinées… avec des habilités surnaturelles mais pas toujours avec de bonnes intentions. 

J’ai toujours été fasciné aussi bien par les personnages des bas-fonds que par les super-héros. Je pense que la femme fatale a quelque chose de ces deux mondes. Cette dualité est intéressante pour moi. 

Tomáš Jetela - Triptyque Virgignes Vestales I/II/III, 3 x 150 x 100 cm, acrylique et huile sur toile, 2021/22
Tomáš Jetela – Triptyque Virgignes Vestales I/II/III, 3 x 150 x 100 cm, acrylique et huile sur toile, 2021/22

Qu’as-tu en vue ensuite… Comment se passe la préparation de la prochaine saison et as-tu déjà un thème en tête pour la prochaine exposition ? 

A propos de la suite, je vais relier cette réponse à la précédente…

Je pense actuellement à la relation de deux aspects incompatibles qui apparaissent dans un même ensemble. L’exemple le plus connu et éclairant est Dr Jekyll et Mr. Hyde (c’est un autre archétype), ou encore Hulk et Dr. Banner (dans la bande dessinée)… 

Je pense que la peinture est avant tout de la psychologie et c’est pourquoi ce sujet de personnalité fractionnée (ou de schizophrénie et de personnalités multiples) est très engageant, fascinant, intéressant et plein de possibilités quant à la manière de saisir et appréhender cette question.

Un autre exemple est le dieu Janus…. Ici je vois l’occurrence de cet archétype depuis des siècles. J’aimerais que quelque chose de cette pensée sur le dualisme apparaisse dans les peintures qui seront présentées lors de ma prochaine exposition intitulée “Magic Monsters” (“Monstres magiques”). 

Même le titre est censé indiquer la direction de ma pensée ou souligner le thème. Le mot “magique” comporte quelque chose qui nous enchante et, même si cela amène le problème de savoir ce qui est réel ou non, de mon point de vue, c’est la partie lumineuse du titre. Mais dans l’arrière-plan de l’exposition, on explore aussi les possibilités ténébreuses. 

Au contraire, les monstres sont connotés négativement… d’un point de vue général… mais sous un autre angle on peut voir qu’un monstre peut apporter de grandes choses au monde, avec ses actions monstrueuses. Dans ce contexte, on peut parler d’un acte de génie comme une affaire monstrueuse et assimilée entre génie et monstre. 

L’une de tes oeuvres ressort particulièrement de par son abstraction et l’absence de couleurs… “Spirit of alcohol” (“Esprit de l’alcool”). Dans une exposition intitulée “princesses”, peux-tu expliquer pourquoi et comment cet esprit est féminin ? 

On pourrait dire que les filles sont en partie responsables de mes anciens problèmes avec l’alcool. Quand j’étais plus jeune, j’étais extrêmement timide. Fondamentalement il était difficile pour moi de parler/communiquer avec les gens, surtout avec les filles de mon âge et encore plus celles que j’appréciais. Donc j’ai commencé à résoudre ce handicap avec l’alcool. Je le recommande, c’est une aide inestimable…

D’où le nom, cet esprit plane au-dessus des femmes comme un vieil ami, c’est comme une mémoire brumeuse de jeunesse perdue, comme un fantôme du passé qui était d’abord un ami avant de devenir un cauchemar…

Tomáš Jetela - exposition "PRINCESSES" Galerie Toyen, Prague
Tomáš Jetela – exposition « PRINCESSES » Galerie Toyen, Prague

Il y a plusieurs petits formats carrés (60 x 60 cm) dans l’exposition. Comment cela affecte-t-il la composition d’une oeuvre et es-tu à l’aise avec ce format ?

Je n’utilise pas souvent ce format mais cela ne me pose pas de problème. La chose principale est que ce format rend la décision facile. Quand on a un format rectangulaire, classique, on doit réfléchir comment adapter la composition (par exemple comment passer de la photographie à la toile) et décider s’il est préférable de l’orienter horizontalement ou verticalement (aussi selon le nombre de personnages à faire figurer). Alors qu’avec un format carré, le personnage trouve naturellement sa place et la composition est identique quelque soit l’orientation choisie initialement. C’est une plus petite aventure !

Ces toiles ont également la caractéristique intéressante d’avoir une épaisseur de 6 cm ; ce qui les rend plus présentes. 

Tomáš Jetela - exposition "PRINCESSES" Galerie Toyen, Prague
Tomáš Jetela – exposition « PRINCESSES » Galerie Toyen, Prague

Tu as “Art is easy” (“L’art est facile”) inscrit sur le bras avec lequel tu peins. Quelle influence ce tatouage a-t-il sur l’action de peindre et de penser ?

Cette phrase revient souvent dans les textes de certains artistes… mais ce tatouage est une erreur d’une nuit alcoolisée… à la fois enthousiaste et déraisonnable. 

C’est un rappel des mauvais moments du passé, quand je peignais sous l’influence de l’alcool pour sentir l’euphorie et la légèreté… l’absence de peur. Maintenant que je ne bois plus, ce tatouage est là pour me convaincre de peindre avec enthousiasme et sans peur. 

En tant qu’artiste tchèque, on utilise le terme “Utahanỳ” (qui peut être traduit par “épuisé”) pour décrire la direction prise par une peinture… et le fait que l’on ne voit pas que cela devient de pire en pire… tu ne vois pas la dégradation du processus. Au contraire, tu penses que c’est mieux. 

Parfois les gens font des erreurs et ne réalisent pas immédiatement ou ne voient pas comment les choses empirent. La chose la plus difficile est de savoir quand arrêter… c’est aussi une leçon récurrente que l’on nous enseigne à l’école d’art et à l’Académie.. “vous devez savoir quand c’est terminé”. 

Tomáš Jetela, Fair Fairy, 150 x 100 cm, Acrylique and oil on canvas, 2022 (gauche) / The Universe on a bowl, 170 x 100 cm, acrylique et huile sur toile, 2022 (droite)
Tomáš Jetela, Fair Fairy, 150 x 100 cm, Acrylique and oil on canvas, 2022 (gauche)
The Universe on a bowl, 170 x 100 cm, acrylique et huile sur toile, 2022 (droite)