François Mangeol, Rétro-prospective, Art Center Somewhere Only We Know (ACSWOK)

François Mangeol, Rétro-prospective, Art Center Somewhere Only We Know (ACSWOK)

À l’occasion de la Nuit Blanche, François Mangeol présente à la Mannerheim Gallery dans le 3e arrondissement de Paris, un projet d’exposition rencontre entre réalité et réalité virtuelle amené à être décliné en plusieurs opus et mettant en perspective ses travaux sur le langage.
I
ntitulé Rétro-prospective, cette première occurrence associe dans un esprit collaboratif et pluridisciplinaire, une historienne de l’art conceptuelle, des développeurs en nouveaux médias, un musicien, un danseur/ un chorégraphe. Une manière de penser la création propre aux nouveaux artistes pour lesquels au temps de la solitude de l’atelier succède celui de la mise en forme d’une œuvre commune destinée à être partagée avec le public.
Le visiteur du Art Center Somewhere Only We Know (ACSWOK), malgré l’espace plutôt réduit de la galerie, a accès à plusieurs parcours dans un espace virtuel de 2500 mètres carrés. Une expérience à vivre comme la lecture d’une exposition du futur. Un livre à vivre comme une expérience immersive, ludique, à arpenter comme une tour de Babel où résonneraient tous les langages, où l’intrigue serait pour François Mangeol celui de la sémantique plutôt que dans le récit fictionnel.

 

Comment la rencontre entre réalité et virtualité est-elle possible dans un même espace ?

C’est la raison d’être de ce centre d’art d’un genre nouveau. Ni complètement virtuel, ni simplement réel, il a pour vocation de créer des points de rencontres entre les deux pratiques et d’explorer leur porosité. J’expose plusieurs pièces pour la Nuit Blanche, grandes et moins grandes au même titre qu’une demie-douzaine de casques de réalité virtuelle (VR) permettant de parcourir le ACSOWK. Ce centre d’art multimodal présente quant à lui 4 parcours distincts d’exposition.

L’idée est de proposer d’emmener les visiteurs qui entrent dans la galerie encore plus loin, en les faisant basculer dans un espace qui n’est pas simplement l’illustration d’une réalité mais son développement pouvant devenir vertigineux. 

J’y présente plusieurs pièces qui n’auraient pas pu être produites réellement et qui trouve dans le virtuel une existence propre. Par exemple Babel, qui est une tour de 250m de haut convoquant ce vertige de l’infini devient ici tangible, physique, réelle et va bien au delà de ce que j’aurai pu produire. La VR donne cette possibilité de démultiplier cette impression d’infini que je cherchais à obtenir.

 

François Mangeol, BABEL, 2018 - Diamètre 5 mètres, Hauteur 215 mètres - (c) François Mangeol/ 4Dcréa
François Mangeol, BABEL, 2018 – Diamètre 5 mètres, Hauteur 215 mètres – (c) François Mangeol/ 4Dcréa

 

 

 

Cela ne pose-y-il pas la question de l’existence physique de l’oeuvre d’art ?

Une tour de 250 m de haut et de 5 m de diamètre a une existence propre dans cet espace virtuel, demandez à tous ceux qui l’ont vue et qui en garde une expérience. Une autre forme de réalité de l’oeuvre qui se développe de plus en plus. Déjà de nombreuses plateformes proposent de « collectionner » sans les posséder vraiment de nombreuses œuvres à partir de son téléphone… Des oeuvres que souvent nous ne voyons qu’à travers un écran et qui ont pourtant une existence bien réelle. Alors cela soulève la question de la propriété de l’oeuvre car qui est propriétaire d’un souvenir, d’une expérience ? La manière dont les oeuvres existeront dans le futur avec le développement des technologies de réalité virtuelle est une question qui va se poser.

 

La réalité virtuelle peut être un moyen de produire un autre type de pièces ?

Un changement de médium ouvre toujours de nouvelles potentialités, cela a été par exemple le cas en peinture avec l’acrylique qui a changé certaines contraintes de la peinture à l’huile ou à l’aquarelle. La réalité virtuelle me permet de réaliser une oeuvre comme Absent, une œuvre à laquelle je pense depuis des années et qu’il m’aurait été très difficile de produire concrètement ou alors avec des moyens prohibitifs.. Cette sculpture transpose le principe du mirage en disparaissant progressivement quand on se rapproche d’elle. Elle illustre particulièrement bien cette réflexion que je mène sur le sens des mots et la sémantique de leur situation. Le fait qu’elle soit perpétuellement ouverte induit que le sens demeure complexe à circonscrire et que cela induise une forme de jeu dans la compréhension. 

Concernant les autres oeuvres présentes dans les différents parcours, certaines existent vraiment ou sont en projet, d’autres sont détruites car elles ont été présentées lors d’installations éphémères. Le titre de Rétro-prospective marque ce maillage entre passé, présent et avenir, ce mélange entre réalité et virtualité. J’ajouterai que je suis très heureux car cette exposition regroupe non seulement 10 ans de travail mais aussi un peu les différents acteurs qui m’ont soutenu, représenté, aidé à développer mon travail.

Dans l’un des parcours on peut voir un retable intitulé Amor Fati, un latinisme Nietzschéen évoquant cette idée d’être serein face à ce qui nous arrive, qui articule au sens propre et figuré cette association entre ces trois temporalités distinctes qui se déploient. Il est composé de trois mots : HIER visible lorsque les panneaux sont fermés, AUJOURD’HUI lorsqu’ils sont ouverts, et DEMAIN lorsque l’on se trouve dos au retable. Une manière de concentrer le temps dans une même architecture.

 

 

François Mangeol, AMOR FATI, 2018 - 300 x 200 cm - (c) François Mangeol / 4Dcréa
François Mangeol, AMOR FATI, 2018 – 300 x 200 cm – (c) François Mangeol / 4Dcréa

 

 

 

Finalement le visiteur ne quitte pas l’espace réel d’exposition…

Non, le tout est un espace d’exposition et les ponts entre les espaces réels et virtuels en témoignent. On est toujours à cette frontière entre réalité et virtualité. 

Lors de la Nuit Blanche sont programmées plusieurs performances de Julien Meyzindi, danseur de l’Opéra de Paris. Ses mouvements chorégraphiques prenant place dans l’espace bien défini de la galerie viendront dialoguer, d’abord, avec l’interprétation de ces mêmes mouvements qui dans l’espace virtuel deviennent tracés calligraphiques mais aussi avec les déplacement « à l’aveugle » des personnes portant un casque VR naviguant dans un espace bien plus vaste. 

Pour la Nuit Blanche, quatre parcours différents sont proposés. Chacun dure une petite dizaine de minutes. Pour les plus curieux il sera possible de faire plusieurs parcours mais notre volonté, avec la commissaire, était de susciter cette petite frustration. Celle de savoir que l’on n’a pas tout vu mais qui nous invite à revenir ! Le virtuel offre cette possibilité d’éprouver les formes institutionnelles d’accès à l’art.

 

Une autre potentialité dont tu as parlé est ce caractère ludique que rend possible cette expérience vécue.

J’introduis, sinon revendique, cette idée d’art-ertainement car je constate qu’il arrive sous prétexte du sérieux de l’art contemporain de refuser cette dimension. Pourtant ce caractère ludique ne prive pas une œuvre de son caractère sérieux ou fondé. L’expérience ne pourraient en tout cas pas vivre ailleurs. Je fais toujours en sorte qu’il y ait plusieurs strates dans la lecture d’une œuvre. 

Ici, pour les plus curieux, un journal sera à disposition. Il présente les textes et articulations d’Émilie Robert la commissaire de l’exposition. Sans cet accompagnement, la découverte des oeuvres n’est pas complète. Elle n’est évidemment pas obligatoire et c’est tout le propre de mon travail ; proposer un cheminement à ceux qui le souhaitent.

 

As-tu réussi à reproduire avec la VR, certains mécanismes optiques comme tes oeuvres noir sur noir ou blanc sur blanc que l’on ne peut voir que sous un certain angle ?

La réalité virtuelle me permet en effet de travailler sur les déplacements des visiteurs comme dans le monde réel et donc de créer des jeux de surfaces ou de point de vue. Je ne suis toutefois pas un artiste VR, ni un sculpteur ou un peintre d’ailleurs. Je suis un artiste de contenus non de médiums. J’utilise un médium comme un outil autour de cet élément central qui est pour moi le langage. 

Dans les 2500 m2 de l’espace d’exposition, les oeuvres reprennent trois alphabets qui sont à la source de mon travail, celui des colombages, des sténogrammes, et celui courant que nous utilisons tous. Certaines salles sont plus dédiées à l’un ou l’autre de ces alphabets. 

Dans une des pièces, le visiteur peut découvrir une installation entièrement en sténogramme : Les 100 « noms de Dieu » en référence aux 99 attributs donnés à Allah en islam. Une pièce que j’ai dessinée il y a quelques temps dont l’opportunité de la produire ne s’est jamais présentée. J’y explore la sémantique de « nom de Dieu » qui peut renvoyer au juron et pour poursuivre ce trouble  sémantique j’ai donc cherché et tracé 99+1 jurons en sténogrammes. Cette installation illustre une fois encore cette dialectique que j’affectionne particulièrement entre signe, apparence, langage, mots, sens, second degrés, contexte,…

 

N’y a-t-il pas la volonté aussi de mettre en rapport les différentes langues ?

Absolument, je cherche à faire dialoguer les cultures, les interprétations, compréhensions comme les incompréhensions. Je mélange les langues, les registres, les langages assez librement selon le contexte sans toutefois entrer forcément dans une narration, encore moins à créer des récits fictionnels. Je cherche à investir les potentialités du langage en gardant toujours un ancrage avec la réalité. J’utilise des systèmes dont le rôle premier est de couper la lecture immédiate du texte. Comme pour replacer dans cette phase pré-langagière ou dans la situation de l’explorateur face à une langue qu’il ne connait pas. 

Une de mes anciennes pièces reprenait déjà cette idée. Elle est composée de la typographie Times New Roman. Et bien que sans déformation ni changement d’échelle, elle n’a ainsi que très peu été reconnue… 

Mais certaines personnes déchiffrent mes alphabets, prennent des notes. Je me souviens d’un visiteur qui a même passer un peu de temps à décrypter les 9 fenêtres de l’installation Sounds of Silences (2016 – Milan). Je trouve formidable qu’il en devienne détenteur car mon objectif est de fédérer autour d’une pratique du sens. Elle est un acte qui appelle une réponse de l’autre, un autre, acte, le regard. Il s’agit du regard sur/vers ce qui en est fait. Ce que le regard va mettre en mouvement, entre nous, pour produire de l’intelligible, œuvrer pour voir à travers, à la recherche d’un commun. 

Dans cette même logique, j’ai activé il y a plusieurs années un protocole qui s’appelle Initialisation qui permettait aux visiteurs de repartir de l’exposition avec un feuillet sur lequel étaient inscrites leurs initiales et le nécessaire pour les étudier et les « traduire ». Cela leur permettait lors de l’exposition suivante de savoir reconnaitre quelques lettres dans mes travaux et d’interagir avec les autres visiteurs pour mettre en commun leur savoir respectif. Une manière pour moi de créer une émulation autour des pièces ; une conception humaniste de l’art qui tente de faire des pas de côté pour ensuite commencer à porter un autre regard voire explorer d’autres univers.

 

Entretien réalisé par Valérie Toubas et Daniel Guionnet © 2018 Point contemporain

 

 

Visuel de présentation : Art Center Somewhere Only We Know, BABEL, 2018 – Diamètre 5 mètres, Hauteur 215 mètres – (c) François Mangeol/ 4Dcréa

 

François Mangeol, INFINITO, 2016/2018 - 200 x 200 cm - courtesy Domeau & Pérès Galerie et François Mangeol
François Mangeol, INFINITO, 2016/2018 – 200 x 200 cm – courtesy Domeau & Pérès Galerie et François Mangeol

 

François Mangeol, /la vi/, 2018 - 15 x 15 x 5 cm - (c) François Mangeol
François Mangeol, /la vi/, 2018 – 15 x 15 x 5 cm – (c) François Mangeol

 

 

François Mangeol, Liberté, Égalité, Fraternité, 2018 - 50 x 35 cm - (c) François Mangeol
François Mangeol, Liberté, Égalité, Fraternité, 2018 – 50 x 35 cm – (c) François Mangeol

 

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