GORAN ŠKOFIĆ – ON THE BEACH – GALERIE DIX9 PARIS

GORAN ŠKOFIĆ – ON THE BEACH – GALERIE DIX9 PARIS

Le corps humain est au coeur du travail de Goran Škofić – la manipulation du corps, sa démultiplication constituent la part immanente de ses photographies, comme de ses vidéo performances  et de ses installations video. La plupart du temps le corps présenté, enregistré ou reproduit est celui de l’artiste, ce qui rend ses oeuvres inévitablement auto-référentielles et auto-représentatives. Mais si  le corps appartient bien à l’artiste, il ne représente pas (simplement) un individu particulier mais aussi l’individu en général – dans la représentation du contrôle social, de la manipulation, des absurdités de la vie quotidienne. En figurant son « je », Škofić ne décline donc pas tant l’identité individuelle qu’un réseau de représentations sociales et de sociabilité qui sont de façon consciente ou inconsciente issues du « je » et renvoyées sur la société.

Bien que le corps de l’artiste ne figure pas dans la vidéo « On the Beach » (2016), la même idée se retrouve dans la multitude de corps figurés habillés en noir, qui entrent dans l’inconnu sans hésitation et disparaissent. Les corps interprètent une multitude de rôles et de relations interpersonnelles qui reflètent simultanément le Je de l’artiste et celui du spectateur, les incluant ainsi dans le temps et l’espace de la vie courante à laquelle ils appartiennent. Cependant les rôles sont figurés et transformés non seulement dans le représenté mais aussi dans la relation entre le medium et le spectateur. Le film a été cadré du seul point de vue  du spectateur. Dans un espace d’exposition qui est sombre, le cadrage subjectif, de même que la bande son, invitent le spectateur à s’immerger dans l’oeuvre,  ce par quoi s’opère subtilement la transformation du visiteur du  rôle de regardeur à ce qu’il est entrain de regarder.

Le cadre est visuellement divisé en trois parties similaires au dynamisme minimal – la plage, la mer et le ciel, dans lesquelles interviennent les sujets de la narration – les corps humains. Ces corps humains, les dialogues et les mouvements portent l’intrigue du film, mais leur manifestation s’étend au delà des limites de la projection. On peut les entendre marcher et parler dans le fond sonore qui emplit la salle de projection et immerge le spectateur dans l’oeuvre, ce par quoi la transformation de l’espace réel est rendu possible. Dépasser les limites du médium lui même, mais aussi celles entre le monde réel du spectateur et le monde virtuel de ce qui est montré, est une pratique courante dans les oeuves de Škofić; ici, le franchissement des frontières s’opère dès que le spectateur s’approche de la projection dans un espace sombre : comme si l’atmosphère du film, le cadre et les corps sortaient de l’espace réel de l’exposition, et que le spectateur rejoigne la procession et devienne part de ce qu’il regarde.

La  traversée des frontières est donc double et se fait du monde réel vers le virtuel, mais aussi de la représentation réaliste du film vers un endroit surréel, non nommé, où les gens partent- un phénomène en outre accentué par la disparition et la récurrence de la phrase « vous voyez des choses » dite par les protagonistes du film, ce qui questionne et relativise les deux espaces. Au spectateur et aux personnages du film, nonobstant l’espace où ils se situent, des questions existentielles se posent : d’où venons nous ? qui sommes nous ? où allons nous ? que faisons nous ? que voulons nous ? L’artiste ne donne pas de réponse et laisse le champ ouvert au sens et à l’interprétation de ces interrogations, et donc également à l’oeuvre elle-même. Selon lui, c’est un départ, le changement d’espace, le mouvement de la société. Changer d’espace peut être personnel, mais aussi collectif. Le film a été tourné juste avant les  récentes grandes migrations politiques, et sa structure ouverte peut aussi se lire dans ce contexte, mais il est avant tout merveilleux par son rythme et son mode de départ et de disparition. Le processus du départ est fait de façon merveilleuse – des gens qui partent calmement sans autre considération. La possibilité de reproduction, comme un film sans fin ou une vidéo en boucle, ouvre également sur une double interprétation du temps: linéaire dans le cadre d’un film, cyclique dans le cadre d’une installation vidéo.

La manipulation spatiale et médiatique s’opère dans la narration selon la forme de la projection, mais aussi par des interventions dans des parties moins dynamiques de la composition – la plage, la mer et les nuages. L’artiste manipule les traces abstraites laissées sur le sable, les vaques et les nuages  apparemment statiques qui suivent un orage. La poétique de l’arrière plan de l’événement narratif se déploie..La manipulation de certains éléments, imperceptible par le spectateur, mais aussi le travail sur des éléments statiques et dynamiques dans l’image et le temps sont des  pratiques fréquemment utilisées par Škofić. Dans cette oeuvre, comme dans d’autres, prévaut une sorte de minimalisme, de purification des éléments et de précision technique. Tout cela est fait à l’intérieur du cadre, tandis que le son devient sculpture dans l’espace de la galerie.

traduit du texte anglais de Patricia Počanić, critique d’art

 

On The Beach, Goran Skofic. Courtesy Galerie Dix9 Helene Lacharmoise
On The Beach, Goran Skofic. Courtesy Galerie Dix9 Helene Lacharmoise

 

On The Beach, Goran Skofic. Courtesy Galerie Dix9 Helene Lacharmoise
On The Beach, Goran Skofic. Courtesy Galerie Dix9 Helene Lacharmoise

 

On The Beach, Goran Skofic. Courtesy Galerie Dix9 Helene Lacharmoise
On The Beach, Goran Skofic. Courtesy Galerie Dix9 Helene Lacharmoise

 

On The Beach, Goran Skofic. Courtesy Galerie Dix9 Helene Lacharmoise
On The Beach, Goran Skofic. Courtesy Galerie Dix9 Helene Lacharmoise

 

Goran Škofić
Né en 1979 à Pula, Croatie

Résident de la Cité internationale des arts Paris en 2017

www.goranskofic.com

 

 

Visuel de présentation : On the Beach – Goran Škofić – Vue d’installation – Photo Jasenko Rasol. Courtesy Galerie Dix9 Hélène Lacharmoise