LONELY, SPACED IN LOST

LONELY, SPACED IN LOST

Prise de vue de la galerie virtuelle de l’exposition « LONELY » modélisé en 3D par Socle Collections

EN DIRECT / Exposition virtuelle LONELY dévelopée par Spaced in Lost

L’exposition « LONELY », déambulation virtuelle parmi les avatars de notre solitude

par Manon Schaefle – 10 avril 2020

« LONELY », la quatrième exposition de SPACED IN LOST lancée le 2 avril en ligne, nous entraîne dans un paysage virtuel peuplé d’êtres isolés en quête d’une union qui flirte avec l’utopie.

« On ne voulait pas faire le buzz confinement… »

Si le projet a été impulsé par le confinement, comme écho et possible exutoire, pour Filip-Andreas Skrapic (fondateur de SPACED IN LOST) et Yvannoé Kruger (commissaire), la démarche de « LONELY » n’était pas de produire absolument quelque chose en lien avec le contexte actuel. De leurs positions respectives d’artiste et de curateur, il paraissait cependant intéressant de mettre en exergue ce que le confinement fait aux individus et la façon dont il influence le processus de création.

« On est tous soudainement devenus lonely » souligne Filip-Andreas Skrapic, frappé par le surréalisme de la situation. Et cette solitude, il y a de nombreuses manières de l’appréhender.

« Ce qui me semble vraiment important, c’est l’interaction qu’on a développée malgré le fait qu’on soit chacun dans nos bulles respectives »

Yvannoé Kruger

Revenant sur les étapes qui ont permis à l’exposition « LONELY » de voir le jour, ses deux initiateurs insistent sur le réseau d’entraide qui s’est mis en place avec les partenaires et artistes participants. Soit une dimension collaborative et accueillante qui est l’essence même de SPACED IN LOST, plateforme d’expression que Filip-Andreas Skrapic décrit comme « une sorte de vaisseau d’échange entre différentes scènes artistiques », à l’opposé de ce qui est hermétique.

L’idée leur est venue au deuxième jour du confinement ; dix jours plus tard « LONELY » était en ligne. Entre temps, confinement oblige, il a fallu développer une galerie virtuelle modélisée en 3D avec Socle Collections, réunir artistes et oeuvres tout en proposant quelque chose qui a du sens du point de vue curatorial. Au final, sauf au sens physique, les participants n’auront pas été seuls tout le temps de la préparation de l’expo. Le contexte aura même suscité des échanges plus unilatéraux et une intimité assez exceptionnelle entre le commissaire et les artistes malgré la distance, remarque Yvannoé Kruger.

Pièces extraites du journal « Quarantaine vestimentaire » de Jeanne Vicerial, 2020 (capture d’écran de la galerie)
Pièces extraites du journal « Quarantaine vestimentaire » de Jeanne Vicerial, 2020 (capture d’écran de la galerie)

Pe(a)nser l’humain avec le virtuel

Volontairement interactive, l’exposition se présente comme une escapade inespérée hors de chez soi, génératrice de liens, d’une mise en réseau avec toute une communauté de participants et visiteurs. Les talks ponctuels et messages vocaux laissés par les artistes, venus humaniser un espace digital fondamentalement froid, génèrent des formes de
relations avec le public certes virtuelles mais d’une nature rare.

Avec « LONELY », il n’y a pas d’opposition frontale ou de hiérarchie naturelle entre le monde réel et le virtuel, ni entre les différents modes de communication, comme l’évoque l’alternance dans la galerie entre une salle claire et une salle sombre, matérialisant le dialogue entre deux univers qui, ensemble, s’équilibrent. « Dans la vraie vie, les gens ont beau être proches, ils sont parfois isolés par des écrans interposés. Tout comme ils s’inventent parfois une non-solitude dans un univers numérique » explique Filip-Andreas Skrapic.
Spaced in Lost déploie les multiples potentialités de la matière digitale, pour le processus de création comme pour celui de partage. Contre une vision angoissée des socialisations virtuelles, les technologies compensent au contraire les multiples limites des rapports humains directs, tout comme la galerie et son accès 24/7 gratuit donne à réfléchir sur les failles des lieux culturels en dur.

Les interactivités en question

Pour autant, il ne faudrait pas s’imaginer que « LONELY » vient simplement sauver les corps confinés que nous sommes d’une solitude somme toute passagère.

 3 Salomé Chatriot & Samuel Fasse, « Interdépendances Liquides », 2020 (capture d’écran de la galerie)
 3 Salomé Chatriot & Samuel Fasse, « Interdépendances Liquides », 2020 (capture d’écran de la galerie)

La mise en réseau qui s’opère au sein de l’espace digital s’avère doucement intempestive, son objet n’étant autre que cet état que l’on tente de fuir, dans un jeu d’éternel retour.

Dans les couloirs de la galerie au design sobre, presque spectral, on ne croise personne ; la navigation se fait en first-person, sur un fond sonore lunaire. On demeure seul face à notre écran, métaphore de notre cocon corpo-spirituel d’individu impénétrable, déambulant aux milieux d’êtres affublés de masques buccaux printaniers qu’on devine suffocants (Jeanne Vicerial) et de sépultures numérisées (Jonathan Pêpe). Alternant entre rencontre avec deux post-humains de l’ordre de la science-fiction connectés par la pensée de façon quasi-organique (Salomé Chatriot et Samuel Fasse) et visions déroutantes d’individus anonymes dans la foule, « LONELY » convoque la solitude dans ce qu’elle a d’existentiel et primitif par-delà les mesures conjoncturelles de lutte contre la propagation du COVID19. Une condition qui évolue au rythme des modes de vie, adopte de nouvelles formes, de nouveaux codes, mais ne cesse de se perpétuer. « Après le vernissage, il y a eu une retombée dans la solitude, comme un effondrement… » retient d’ailleurs Yvannoé Kruger.

Tout en ouvrant des horizons d’interactions sans limite, les larges fenêtres faisant écho à l’absence de frontières du monde virtuel, la galerie devient une sorte de mise en abîme d’une réalité qui a surgi de façon d’autant plus violente qu’elle nous a synchroniquement été imposée à tous, d’une solitude protéiforme et difficilement rémédiable.
Comme autant de fictions contre le désespoir, on retiendra les vertus antalgiques des oeuvres des dix-sept artistes exposés qui jalonnent le parcours des visiteurs.

Manon Schaefle

LONELY – Accessible depuis le 2 avril 2020 en ligne : https://spacedinlost.com/

Commissaire de l’exposition Yvannoé Kruger

Organisateur Filip-Andreas Skrapic