Marcos Avila Forero, Estenopeicas Rurales, Restitutions de la mémoire, Galerie Dohyang Lee

Marcos Avila Forero, Estenopeicas Rurales, Restitutions de la mémoire, Galerie Dohyang Lee

En direct de l’exposition Estenopeicas Rurales, Restitutions de la mémoire de l’artiste Marcos Avila Forero.

Fortement engagé d’un point de vue politique, le travail de l’artiste Marcos Avila Forero rend compte par des installations, vidéos de performances(1) et expositions photographiques, de la vie quotidienne de populations vivant dans un contexte socio politique marqué.
Pour le YIA Art Fair 2013, il présentait une pièce qui restituait avec force le désœuvrement des jeunes d’un quartier du 19ème arrondissement connu pour son trafic de crack(2).
Pour Estenopeicas Rurales, Restitutions de la mémoire, l’artiste présente trois projets distincts réalisés chacun dans une région de Colombie dont le point commun est de traiter tous trois de l’impact du conflit armé sur la population. Marcos Avila Forero restitue par une technique des plus anciennes de photographie, non pas seulement l’idée de la guerre, mais la question du mémoricide(3), interroge comment ces populations sont privées de la notion de propriété, de gestes traditionnels et culturels, par une guerre civile particulièrement meurtrière qui se poursuit en continu sur plusieurs générations.

« Je présente pour cette exposition 3 pièces qui toutes parlent de la Colombie et qui sont liées aux enjeux très complexes du conflit armé colombien. Persiste un point commun dans tous mes travaux qui est, chaque fois que je produis des pièces, d’évoluer dans un contexte spécifique. Je travaille, non dans un atelier mais en lien direct avec les populations. L’efficacité de l’œuvre réside dans ma capacité d’impliquer les gens dans ces projets. Ainsi l’œuvre ne peut exister si les gens ne décident pas à un moment donné de faire en sorte qu’elle puisse exister car je suis dans l’incapacité de la créer moi-même. Mes projets sont élaborés avec l’aide d’anthropologues, d’ethnopsychologues et d’organismes qui travaillent sur les questions de la terre, du patrimoine culturel et de sa sauvegarde.

Le premier projet s’appelle en français “Sténopés rurales”. Le sténopé est une très ancienne technique de photographie. Je me suis rendu dans des fermes qui se situent en plein épicentre d’un conflit armé dont l’enjeu est la possession de la terre. La Colombie est un pays dans lequel 1/3 de la population est encore rurale. Un recensement fait en 2015 met à jour que 40,1% des meilleures terres cultivables n’appartiennent qu’à 0,04% de la population. Je suis allé à la rencontre de plusieurs fermiers qui sont vraiment engagés, chacun avec des moyens différents, dans cette lutte pour conserver leur terre. Certains ont fait le choix très risqué de se syndiquer alors que la Colombie est le pays qui a le plus de syndicalistes assassinés dans le monde.

La technique du sténopé consiste à transformer un espace qu’il soit de la taille d’une boîte à chaussure ou d’une maison, en chambre photographique en le rendant complètement hermétique à la lumière. Il suffit alors de faire un tout petit trou d’un côté et de mettre un papier photo de l’autre pour prendre une photographie. J’ai transformé les maisons de ces fermiers en appareil photographique géant. Un outil de témoignage qui permet de prendre en image l’enjeu de leur lutte que sont les terres qu’ils cultivent.

Au départ je voulais prendre des photographies de la taille d’un mur (1x3m) en correspondance avec la taille des appareils photographiques mais je me suis rendu compte qu’il fallait adapter les moyens au contexte. Déjà ces familles me permettaient très généreusement d’occuper une partie de leur maison pendant plusieurs jours car on ne pouvait pas accéder en voiture là où elles se trouvaient. Et si j’avais voulu faire ces photographies géantes, il aurait fallu vider toute la maison pendant près d’un mois. J’ai donc décidé de faire un triptyque pour chacune des 5 fermes où j’ai travaillé. Le développement des images s’est fait chaque fois à l’intérieur des maisons. Quand j’ai développé la première image où l’on voit des vaches laitières, le fils du fermier m’a demandé comment il devait faire pour apparaître sur l’image. Je lui ai répondu qu’il devait rester longtemps immobile dans le champ de prise de vue. La présence humaine a bouleversé tout le projet car j’ai trouvé important que soient présents ces fermiers sur leur propre terre.

Au sous-sol de la galerie est présenté le projet Zuratoque qui évoque lui aussi la vie de fermiers que le conflit armé a déplacé et privé de leurs terres. J’ai demandé à  plusieurs familles d’écrire sur un sac en toile de jute le témoignage du moment où ils ont du fuir de chez eux. Ensuite j’ai photographié le sac de jute que chaque famille a ensuite entièrement effiloché pour tisser la paire de chaussures que l’on voit posée au sol. Le principe de mon travail est de faire des propositions. Ce sont les gens eux-mêmes qui font que l’œuvre existe. Ce sont ces familles qui ont tissé leur propre histoire.

Pour la dernière installation qui est une vidéo, je suis allé à la rencontre des populations qui vivent dans deux villages sur les rives du fleuve Atrato, une des artères du conflit armé. Ces communautés afro colombiennes sont connues pour avoir de très bons percussionnistes. Les habitants de ces villages ont beaucoup perdu de leur culture en raison de la violence du conflit. Même si le terme est mal employé, ils appellent ça un « génocide culturel ». Je leur ai proposé de se réapproprier et de réactiver une tradition qui leur appartenait mais qui a disparue, celle de taper dans l’eau pour produire de la musique. »

Propos de Marcos Avila Forero recueillis par Point contemporain le 10 octobre 2015.

(1) Cayuco, 2012, 60′, vidéo couleur, édition de 5, Courtesy Galerie Dohyang Lee
(2) 70 rue Curial (dans le couloir de l’entrée), La marque d’un geste accompli par le désœuvrement des jeunes de mon immeuble, 2013. Photographie sur contrecollé aluminium présentée lors de Yia Art Fair 2013.
(3) En référence à la « lettre ouverte de Gloria Gaitá Jaramillo (fille de J. E. Gaitán) au directeur général du journal El Tiempo, Roberto Pombo, intitulé “ Memoricidio histórico ” publié le 04/09/2013 disponible en espagnol sur Aporrea.org » citée dans l’article sur la Colombie publié par Classe Internationale, un blog qui propose des propose des analyses des relations internationales contemporaines entièrement rédigées par des étudiant(e)s du Magistère de Relations Internationales et Action à l’Etranger (MRIAE) et du Master Etudes Européennes et Relations Internationales (EERI) de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

 

Infos pratiques

Estenopeicas Rurales, Restitutions de la mémoire,
exposition personnelle de Marcos Avila Forero

du 10 octobre au 28 novembre 2015,

Galerie Dohyang Lee,
73-75 rue Quincampoix, 75003 Paris.

galeriedohyanglee.com


Marcos Avila Forero. 
Né en 1983 à Paris, France. 
Vit et travaille entre Paris et Bogotá, France / Colombie.

Prix découverte des amis du Palais de Tokyo en 2012.
Représenté par la Galerie Dohyang Lee Paris.

FICHE ARTISTE

 

Marcos Avila Forero, Estenopeicas Rurales, Restitutions de la mémoire, du 10 octobre au 28 novembre 2015, Galerie Dohyang Lee
Marcos Avila Forero, Estenopeicas Rurales, Restitutions de la mémoire, du 10 octobre au 28 novembre 2015, Galerie Dohyang Lee
Marcos Avila Forero, Dessins préparatoires, Estenopeicas Rurales, Restitutions de la mémoire, du 10 octobre au 28 novembre 2015, Galerie Dohyang Lee
Marcos Avila Forero, Dessins préparatoires, Estenopeicas Rurales, Restitutions de la mémoire, du 10 octobre au 28 novembre 2015, Galerie Dohyang Lee

 

Marcos Avila Forero, Estenopeicas Rurales, Restitutions de la mémoire, du 10 octobre au 28 novembre 2015, Galerie Dohyang Lee
Marcos Avila Forero, Estenopeicas Rurales, Restitutions de la mémoire, du 10 octobre au 28 novembre 2015, Galerie Dohyang Lee

 

Marcos Avila Forero, Zuratoque, Galerie Dohyang Lee
Marcos Avila Forero, Zuratoque, Galerie Dohyang Lee

 

Marcos Avila Forero, Atrato, Galerie Dohyang Lee
Marcos Avila Forero, Atrato, Galerie Dohyang Lee

 

Marcos Avila Forero, 70 rue curial, Galerie Dohyang Lee
Marcos Avila Forero, 70 rue curial, Galerie Dohyang Lee

Visuels tous droits réservés artiste et Galerie Dohyang Lee