[FOCUS] Marion Bataillard

[FOCUS] Marion Bataillard

Les peintures de Marion Bataillard abritent un équilibre difficile, alliant une part intime et une forme d’universalité. Chacune d’elles constitue « un monde » unifié et fini. Ses oeuvres nous peignent une cosmogonie telle que la raconte Hésiode dans Les Travaux et les jours, une mécanique industrieuse et enthousiaste qui tend à célébrer la vie, concourt à sans cesse la régénérer, et qui assume pleinement tout autant sa nécessité animale que sa sophistication dans la quête du plaisir. S’attarder devant une peinture de l’artiste revient à s’égarer dans une maison pompéienne, à être porté par un sentiment mystique et fusionnel d’une passion ou, paradoxalement, s’étonner à établir un lien avec les Essais sur les femmes de Schopenhauer. Il y a chez Marion Bataillard l’évocation d’un « sexe joyeux », ludique, plein d’appétit. Celui qui a enchanté les bacchanales, qui a éveillé la fureur du moine passionné ou la ferveur de l’érudit libertin, passé ou contemporain. Elle présente à Art Paris Art Fair, un tableau dans la lignée de ceux que l’on a pu voir lors de son duo show avec Marc Molk à la Galerie ALB et qui en prolonge la pensée.

Ton registre porte essentiellement sur le portrait et même l’autoportrait. Est-ce une façon de te mettre en scène ?

Travailler l’autoportrait est venu initialement de contraintes assez triviales : cela ne nécessite pas de faire appel à des modèles, de prendre des rendez-vous. Avec un simple miroir, je peux tout expérimenter sans être parasitée par l’instauration d’un rapport à l’autre. Puis ce travail sur l’autoportrait est devenu un jeu en soi, auquel je reviens régulièrement et qui prend effectivement, de plus en plus, des allures de mise en scène.

D’ailleurs tu utilises des accessoires de théâtre…

En général ce sont plutôt des objets issus de la vie courante que « j’accessoirise ». Mais en effet il m’arrive aussi d’acheter des objets spécifiques, quand je sens qu’ils pourront me servir dans une peinture – comme cette couronne de raisins ou une petite colonne rose qui apparait dans un autre tableau. La pose et l’attitude des personnages se décident dans l’atelier, pendant la séance. Il peut y avoir de grands changements au cours du travail : les objets peuvent changer de place dans la peinture, les bras ou les jambes peuvent bouger. J’intègre souvent aux compositions des éléments ou des pans entiers de l’espace environnant. Puis j’y ajoute d’autres éléments rapportés, imaginaires ou purement formels, selon les besoins propres de chaque tableau.

Peux tu nous parler des fruits omniprésents dans tes compositions et de leur symbolique ?

Oui, c’est vrai, je suis dans un érotisme fruitier en ce moment ! Des femmes et des fruits. Les fruits peuvent facilement être lus, presque littéralement, comme des sexes… Et en même temps ils possèdent une forme de poésie. Le fruit indique enfin un temps, puisqu’il est d’abord vert, puis mûr, puis pourri. Pour l’instant, j’ai peints des fruits mûrs… J’ai été très marquée par les fresques que j’ai vues à Pompéi et à Naples. Avec celles des primitifs italiens, ce sont ces peintures-là qui ont fondé mon imaginaire quand je commençais à peindre. J’ai débuté plusieurs fois des peintures avec cette idée antique d’abondance, mais à chaque fois j’ai dû procéder à une forme d’épuration, car je trouve très difficile, à notre époque, de figurer un rêve d’abondance. Je ne saurais pas expliquer exactement pourquoi, mais cela me semble esthétiquement anachronique. Aussi, je travaille avec des désirs contradictoires d’abondance et de dépouillement.

N’y a-t-il pas aussi tout un jeu de références dans le détail comme dans l’esprit même de tes compositions ?

Oui, dans le sens où chaque chose est à la fois ce qu’elle est et tout ce qu’elle peut évoquer. J’ai pensé pendant longtemps que j’étais contre les symboles, puis j’ai bien dû me rendre à l’évidence : ils sont omniprésents dans ce que je fais. Les détails que je dissémine dans la peinture sont comme des points d’ancrage pour la circulation du regard et du sens. Certains motifs, tels que ce blé et ces raisins, sont tellement chargés de significations qu’ils confinent très facilement soit au pompier soit au parodique, voire même à un certain cynisme. Moi, je veux être sérieuse avec ces formes ancestrales, tout en étant de mon époque, ce qui est une ambition paradoxale.

Comment conçois-tu ton rapport au corps et à ton propre corps ?

Pour moi le corps figuré en peinture est de fait dans une posture sacrificielle. Cela est sans doute dû à l’influence fondamentale qu’a eu dans la formation de mon regard la peinture chrétienne. Le corps sujet de la peinture est toujours la proie du regard du peintre, puis celle du regardeur. Le tableau est une architecture qui organise une offrande. Je pense que c’est aussi pour cela que j’ai tendance à peindre plutôt des femmes que des hommes. Au demeurant, les hommes que j’ai le plus spontanément envie de peindre se trouvent souvent être homosexuels. Mais je peux aussi, pour faire d’un corps un sujet de peinture, m’extraire de cette logique de l’offrande et explorer d’autres dispositifs, comme par exemple lorsque je peins un gros Bacchus ! Je veux bientôt ouvrir l’éventail de l’âge de mes modèles, afin de peindre aussi des corps beaucoup plus jeunes ou beaucoup plus vieux.

Est-on dans la représentation positive ou négative d’une sexualité  ?

Je ne crains pas ce qui est cru et rude, mais c’est plutôt une sexualité joyeuse que je mets en scène.

Elle a aussi un caractère clairement mystique, dans le sens d’un rapport au cosmos. Je cherche à poser un regard objectif sur les corps, alliant joliesse et points de vues moins flatteurs. Mais je veux aussi restituer, par-delà l’impudeur, une douceur qui émane des corps et des coeurs désirants. Ce tableau-ci n’est pas réellement cru, le sexe du personnage est juste évoqué par quelques poils qui dépassent et un morceau de fesse vue du dessous. Je ne veux pas être dans un rapport trop idéalisé au corps non plus. Nous restons des créatures.

Texte Point contemporain © 2017

Marion Bataillard
Née en 1983 à Nantes.
Vit et travaille à Paris.
Diplômée de l’école des Beaux-Arts de Strasbourg (2002 – 2007 : sous l’autorité de Manfred Sternja) , et de HGB Leipzig (Allemagne), sous l’autorité de Neo Rauch. 

Représentée par la Galerie ALB Anouk Le Bourdiec Paris.

Visuel de présentation : La jeunesse croit aux moissons éternelles, huile sur toile, 150 x 70cm, 2017.