VICTOR BRAUNER, JE SUIS LE RÊVE. JE SUIS L’INSPIRATION

VICTOR BRAUNER, JE SUIS LE RÊVE. JE SUIS L’INSPIRATION

AUTOUR DE L’EXPOSITION / Victor Brauner « Je suis le rêve. Je suis l’inspiration »,
jusqu’au 10 janvier 2021, Musée d’Art Moderne de Paris

Victor à l’infini

de Ilaria Greta De Santis

Rien ne laisse indifférent dans le travail de Victor Brauner, qui à côté de sa signature apposait le symbole de l’infini. En paraphrasant ses propres mots, « tout est rêve, tout est inspiration » chez lui et dès que l’on franchit le seuil de l’exposition organisée par le Musée d’Art Moderne de Paris, on sent que quelque chose change en nous. C’est comme un appel ancestral qui anime les pulsions enfuies et ça effraie, ça ébloui, ça laisse sans voix, ça fait respirer doucement pour peur de réveiller les « créatures chimériques » que seul Victor Brauner semble pouvoir amadouer. Qu’il s’agisse d’une femme tiraillée entre sa double nature humaine et féline, d’un Monsieur K, tyran et mangeur d’enfants ou des personnages ésotériques de « Cérémonie », louant le courage des jeunes filles emprisonnées qui se sont rebellées, on a la sensation de se trouver face à autant de miroirs qui reflètent l’âme de l’artiste et, encore plus étonnant, la notre.

Sa vocation visionnaire est certainement accomplie et la réinterprétation mythologique qu’il s’est ouvré à opérer, lui a permis de nous livrer des symboles qui paraissent véritablement protecteurs. C’est le cas du stupéfiant « Nombre », une sculpture réalisée en porcelaine, plâtre et plomb et représentant un personnage androgyne primordial doté d’une queue de poisson.

Le mystère, la magie et la fascination nous accompagnent donc lors de la visite de cette rétrospective, qui a très savamment su mettre en avant le lien indissoluble entre vie personnelle et travail de l’artiste, qui vivait pour peindre et pour qui la peinture était vie. Ainsi, l’articulation du parcours, centré sur sept étapes, nombre quant à lui évocateur, retrace l’évolution de Victor Brauner dès son essor à l’École des Beaux-Arts de Bucarest où ses maîtres-mots étaient stylisation et simplification des formes, jusqu’à son arrivée à Paris et le passage du cubisme au surréalisme.

Vint ensuite la guerre de 1939-‘45, pendant laquelle, obligé de s’enfuir et privé de moyens, Victor Brauner dessine avec la cire en inventant le « dessin à la bougie » et en s’inspirant de l’alchimie, la Kabbale, les arts primitifs,.. C’est à ce moment qu’il développe le symbole caractérisant ses oeuvres, l’oeil. À entendre non pas comme une simple recherche stylistique mais plutôt comme le résultat de la puissance d’imagination du peintre qui vise à dévoiler l’invisible. Une bougie illuminant l’arcane. Dans ces années sombres, d’autres figures viennent peupler son imaginarium, les « Congloméros » soit des « conglomérats », « éros » dont Victor Brauner réalise une série de cinquante dessins reproduisants la métamorphose d’animaux et êtres humains, en un amalgame de chairs si fort qu’il assume une connotation érotique.

L’après guerre, marque pour le peintre, la rupture avec le surréalisme et son oeuvre, délivrée de toute étiquette, poursuit son chemin en se rapprochant d’avantage du symbolisme primitif, expression d’un langage introspectif et envoûtant.

La visite se conclue par une section dédiée aux multiples recherches menées par l’artiste désormais éloigné du surréalisme, aboutissants dans un premier temps à la création de la série psychanalytique « Onomatomanie » puis à la mise en place de la suite d’oeuvres « Rétractés » marquée par un style nouveau et par une plongée vertigineuse dans les méandres du soi. Par ailleurs, la quête métaphorique ne sera jamais oubliée comme le témoignent les tableaux des cycles « Mythologies » et « La Fête des Mères ».

En définitive, il a beau avoir vécu entre le début et la deuxième moitié du XXème siècle, Victor Brauner semble avoir toujours existé en puissance. Il a fleuri pendant sa vie et après sa mort, son oeuvre tend ses branches vers l’éternel. 

Ilaria Greta De Santis

Victor Brauner, Jacqueline au grand voyage, 1946 Huile sur toile (46 x 38 cm) Crédit photographique : Paris Musées / Musée d’ Art Moderne de Paris © Adagp, Paris, 2020
Victor Brauner, Jacqueline au grand voyage, 1946 Huile sur toile (46 x 38 cm) Crédit photographique : Paris Musées / Musée d’ Art Moderne de Paris © Adagp, Paris, 2020