Caroline Schattling Villeval, Chi Chi Chi, Biquini Wax Eps, Mexico juillet 2017

Caroline Schattling Villeval, Chi Chi Chi, Biquini Wax Eps, Mexico juillet 2017

« Qu’il s’agisse de matériaux nobles ou désuets, j’aime que persiste l’idée de faux, de carton-pâte propre au décor pour qu’émergent des formes qui viennent submerger l’espace. »

Caroline Schattling Villeval réalise des moulages en plâtre et silicone qui matérialisent des images parfois absurdes. Cocasses quand le fessier d’un plongeur devient le support d’un palmier en arrière-plan (Plongeon dans une piscine, 2016), sensuelles lorsque les visiteurs sont invités à tortiller un téton fixé sur un mur pour déclencher une musique vibratile plus ou moins amplifiée selon l’intensité de leur manipulation (Play with my titi, 2016) ou poétiques comme dans ce jeu d’équilibre de tasses à café qui n’a pas résisté à l’accident domestique (Trois renversés / Cafés Glacés, 2016).
L’artiste est sensible à ces surgissements souvent intrigants qui donnent l’envie d’interagir, aux décors, à cette idée de faire apparaitre comme au théâtre ou au cinéma des images, ces artifices qui, en une fraction de seconde, transportent le visiteur dans un ailleurs : dans un parc, au bord d’une piscine… Invitée en résidence au Mexique par l’espace d’art Bikini Wax, Caroline Schattling Villeval a profité de la cour intérieure du lieu pour concevoir l’installation Chi Chi Chi conçue comme un espace public que les visiteurs, tout comme le récent tremblement de terre, ont mis à rude épreuve

Peux-tu nous parler de ta résidence à Bikini Wax et de la manière dont le lieu t’a inspirée ?

Le Bikini Wax est un lieu assez connu au Mexique pour sa dynamique. Il est composé de trois espaces d’exposition et d’une cour intérieure. Les artistes le définissent par ce qu’il n’est pas : le Bikini Wax n’est pas un spa, il n’est pas un restaurant, il n’est pas une galerie… il a été un salon de coiffure, le temps d’une journée. Les artistes qui gèrent le lieu donnent des cours gratuits le week-end sur des thématiques comme l’économie, la critique institutionnelle, où interviennent très librement professeurs d’université, professionnels et étudiants. Il y a une forme de générosité dans la manière où tout le monde participe, se donne pour animer le lieu qui est situé dans un quartier très pauvre, réputé pour être un des plus dangereux de Mexico, mais qui est complètement ouvert sur l’extérieur et qui propose des activités et des visites à la population environnante. J’ai pu travailler sur place sur toute la période de la résidence et y exposer mes réalisations.

Quelle problématique mets-tu en avant dans l’installation Chi Chi Chi ?

J’ai principalement réfléchi à des notions d’architecture, de circulation et d’interaction entre un espace et le public. Au Mexique, il nous est préconisé pour notre sécurité d’effectuer nos déplacements entre deux points d’une seule traite et de calculer nos itinéraires en ce sens. Tout est tellement grand qu’il n’est pas possible de se hasarder à parler à des inconnus, de se balader dans la ville. Les architectures fonctionnalistes ont pris le dessus sur des espaces qui prônaient avant la flânerie avec des parcs et des petits chemins dans lesquels on pouvait se perdre.  Avec Chi Chi Chi, j’ai fait une proposition de petite place publique où la rencontre, la libre circulation est encore possible.

As-tu voulu créer une sorte d’espace commun protégé ?

J’ai tout d’abord peint le sol pour signifier l’existence d’un espace spécifique que j’ai été invitée à investir, dans l’idée d’un écran d’incrustation. Il y a une forme d’utopie dans cette manière de placer à l’intérieur d’un environnement difficile, un autre régi par des lois qui lui sont contraires. Je voudrais que de tels espaces existent un peu partout et qu’ils soient des embryons de démocratie défenseurs du libre dialogue entre les personnes et de la liberté de mouvement.

De quels autres éléments se compose cette installation ?

Comme souvent dans mes productions, je lui ai donné une dimension ludique. Au centre, j’ai installé un emballage de piscine gonflable pour représenter une fontaine, élément qui est souvent le point de réunion central dans les parcs. Les couleurs des sculptures reprennent celles des boudins de la piscine et leur texture faite de mousse expansée évoque les bulles, le monde des idées. Dans son aspect général, l’installation s’apparente, avec ses colonnes moulées, à un plateau de jeu d’autant que, comme des pions, les éléments sont mobiles. Réalisés en mousse trempée dans du plâtre, ils sont légers tout en étant assez solides.

Comment se sont comportés les visiteurs dans ce lieu « démocratique » le jour du vernissage ?

Lors du vernissage, les visiteurs n’ont pas cessé de les manipuler, de les déplacer, de s’y asseoir dessus pour voir comment ces sculptures réagissaient. Il a répondu à cette définition de l’espace démocratique de liberté à l’inverse du parc public mexicain sous contrôle où les bancs publics ont des assises conçues de sorte que les gens se tournent le dos et ne puissent pas communiquer. Chi Chi Chi est en réaction à ces nouveaux dispositifs.

Comme dans tes pièces d’atelier n’y-a-t-il pas aussi un rapport au corps ?

Il a toujours été présent notamment dans cette image des boyaux de la pièce Cette Année la Maîtresse nous a demandé de faire un Lynda Benglis plutôt qu’un Collier de Pâtes (2016). Travailler avec ces matériaux plastiques de remplissage qui prennent leur forme à l’air libre me permet d’introduire le hasard, l’incontrôlé et là aussi le ludique dans mes pièces. Je compare ces formes à des idées qui émergent et se développent lors de conversations à bâtons rompus.

La boule polie posée sur une des colonnes de l’installation n’est-t-elle pas, par son effet miroir, l’expression de cette rencontre avec le public ?

En effet, par cette boule, je fais face aux visiteurs. Toutefois il faut vraiment la regarder avec attention pour y voir mon visage tant la boule est foncée. J’aurais voulu au départ qu’elle soit d’un vert plus clair. Elle est le fruit d’un accident de coloration mais finalement le hasard a fait qu’elle répond encore plus précisément aux enjeux de l’installation. Elle a suscité beaucoup d’interrogations et donc, a très bien répondu à cette volonté de favoriser une communication.

Est-ce que les gens ont perçu la dimension politique au sens étymologique de la pièce ?

Elle a induit des réflexions dans ce rapport à la ville, a permis d’aborder la question du territoire sans qu’il y ait un parti pris politique car tout le monde ne parle pas de politique. Le lieu du Bikini Wax a cette particularité d’être ouvert sur le quartier, d’accueillir les enfants qui y vivent. Il a un rôle social important en permettant aux gens un accès à la culture, de proposer des activités culturelles gratuites. Il y a vraiment un échange entre les artistes invités et la population locale qui a une réelle curiosité vis-à-vis de leurs productions. Le Bikini Wax est en interaction avec tout son environnement. S’il ne bénéficie d’aucun budget, ses gérants sont vraiment très disponibles pour les artistes en résidence. Il y a une forme de débrouillardise commune avec l’ensemble du quartier. En travaillant sur place, je me suis complètement mise à l’heure du quartier.

Comment a évolué ta pièce avec le temps et toutes ces manipulations ?

Une des particularités du Mexique, du Bikini Wax, est que les visiteurs s’approprient les pièces, les testent, éprouvent leur résistance. Il n’y a pas cette sacralisation de l’œuvre d’art propre à l’occident. De même les gérants du lieu, une fois l’exposition terminée, ne vont pas stocker les pièces mais au contraire les déplacer en totalité ou en partie et les réutiliser selon les occasions. Le Bikini Wax est d’ailleurs rempli de petits gestes artistiques. Ils ont ainsi suspendu au centre d’une pièce un bras moulé que j’avais fait. Parfois ils mélangent même les pièces entre elles, faisant des mises en scène qu’ils postent sur Instagram. Je trouve qu’ils ont une façon assez respectueuse de les faire vivre en continu s’en servant de décor pour une pièce de théâtre ou lors d’une soirée. Je suis cette évolution des pièces sur les réseaux sociaux. Une évolution d’ailleurs chaotique car l’installation a été partiellement détruite lors des récents tremblements de terre qui ont provoqué l’effondrement des murs de la cour. Je n’ai pas eu de nouvelles mais j’ai pu voir une photo circuler où des petits bouts de colonnes servaient de repose pieds. Ils ont une manière assez décomplexée de réutiliser les pièces qui ont une existence quasiment infinie qu’elles soient entières ou cassées.

 « Même en morceaux, cette installation offre encore cette liberté d’appropriation, constitue un lien social entre les visiteurs. C’est une pièce que j’aimerais bien transporter ailleurs car il suffit juste pour cela que je délimite l’espace au sol. Elle peut s’appliquer partout dans le monde. » 

Texte Valérie Toubas et Daniel Guionnet © 2018 Point contemporain


Infos pratiques

Bikini Wax

Gilberto Bolaños Cacho 43
Buenos Aires
México, DF
06780

Entrée libre

https://www.instagram.com/biquiniwax_eps/

 

POUR EN SAVOIR PLUS SUR L’ARTISTE

 
Caroline Schattling Villeval, Vue installation Chi Chi Chi, Biquini Wax Eps, Mexico, juillet 2017
Caroline Schattling Villeval, Vue installation Chi Chi Chi, Biquini Wax Eps, Mexico, juillet 2017
Photo PJ Rountree
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Photo PJ Rountree
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Caroline Schattling Villeval, Vue installation Chi Chi Chi, Biquini Wax Eps, Mexico Photo Instagram biquiniwax_eps
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