MARC FISCHER

MARC FISCHER

The Courtroom Artist Residency Report – Residencies #1-#4, 2018 Public Collectors

ENTRETIEN / Marc Fischer, octobre-novembre 2021

par Alex Chevalier dans le cadre de « Entretiens sur l’édition »

Co-fondateur, avec Brett Bloom, du groupe Temporary Services, Marc Fischer mène depuis 2007 un projet parallèle : Public Collectors. Emprunt d’une éthique et d’une esthétique « Do It Yourself » (DIY), Marc Fischer parle également de « Do It Together », ou faisons-le ensemble. Un mantra qui en dit long sur son travail d’éditeur et d’artiste, tant il s’avère que, dans l’ensemble des projets que Marc Fischer a réalisé, le travail se construit toujours dans une forme de conversation. Réalisé entre octobre et novembre 2021, cet entretien nous permet de revenir sur les liens qu’il entretient avec l’édition, la musique, le collectif et le politique.

Marc, depuis 1998, tu es membre d’un groupe appelé Temporary Services (groupe que tu as fondé avec Brett Bloom et d’autres personnes qui ont depuis quittées l’aventure, et qui à l’époque était basé à Chicago). Dix ans après, en 2008, vous avez fondé Half Letter Press, une structure qui vous sert à la fois de librairie en ligne mais aussi de maison d’édition. En 2007, tu as commencé Public Collectors, un projet personnel, ta propre maison d’édition. Pourrais-tu s’il te plaît nous en dire un peu plus sur les débuts de ce projet ?

Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été impliqué dans un processus créatif où je produisais des publications et des objets imprimés. Quand j’étais adolescent, j’ai publié sept numéros d’un fanzine appelé Primary Concern, un fanzine de musique (hardcore underground et métal), mais qui contenait également quelques textes politisés. À cette époque (entre 1988 et 1991), j’étais en contact avec d’autres éditeur-trices-s provenant du monde entier et j’échangeais constamment mes fanzines contre d’autres et collaborais avec ces mêmes personnes sur de nouveaux projets. J’ai également réalisé des peintures et des dessins lorsque j’étais à l’université, mais j’ai abandonné ce type de pratique vers 1996 et ai commencé à m’intéresser de plus en plus à l’édition et aux projets qui adoptaient une dimension sociale forte ou pouvant être menés en dehors du milieu des galeries.

Temporary Services a commencé à publier dès ses débuts en 1998 et nous nous sommes rapidement connectés à d’autres groupes d’artistes travaillant régulièrement avec l’édition. Les musées et les galeries sont assez peu intéressées par les groupes (et l’inverse est également souvent vrai), il s’est donc révélé nécessaire pour nous de nous rapprocher des personnes qui elles-mêmes développaient une pratique similaire. Étant plus jeune, l’échange de publications faisait partie de mon mode de vie, alors nous avons rapidement fait des dépôts de nos objets imprimés respectifs. Avec le temps, ma collection personnelle et mes archives grandissaient, et le fait d’être le seul à pouvoir en profiter à commencé à me peser. Et même s’il est vrai que j’enseigne en parallèle et qu’il m’arrive de leur montrer certains de ces objets, rares sont les étudiants qui développent une pratique proche de la mienne, et logiquement, ils ne sont pas le meilleur des publics pour ces pratiques.

Au moment où j’ai commencé Public Collectors, j’avais de très bonnes relations avec différentes personnes comme Stephen Perkins ou encore avec l’universitaire, marchand et collectionneur Steven Leiber, qui, l’un comme l’autre, ont toujours fait preuve de générosité en partageant avec moi leurs connaissances et des documents exceptionnels à chaque fois que je leur rends visite. C’est également une période durant laquelle j’allais souvent sur des forums de discussions pour récolter et échanger des informations – des forums dédiés aux collections de vinyle par exemple, où des personnes vont partager leur expertise et en aider d’autres à mieux comprendre ce qu’ils ont. Ces expériences ont eu beaucoup d’influence sur moi et m’ont donné envie de mener un projet qui encourage des collectionneur-euse-s à partager leurs connaissances et leurs fonds en dehors d’un cadre institutionnel, un espace avec moins de barrières, et avec une forme de générosité qui ne demande aucune rétribution financière en contre-partie.

Convaincre ces personnes d’inventorier leurs collections et d’ouvrir leurs maisons à des étranges s’avère difficile, et quand certaines sont prêtes à le faire, peu de gens en profite réellement. Progressivement, Public Collectors à évolué et a commencé à voir naître de nouvelles rencontres, de nouvelles collaborations et de nouveaux projets, augmentant l’activité éditoriale par la même occasion.

Hardcore Architecture: Grace Ambrose / Maximum Rock n Roll, 2016 Grace Ambrose, Marc Fischer et Public Collectors
Hardcore Architecture: Grace Ambrose / Maximum Rock n Roll, 2016 Grace Ambrose, Marc Fischer et Public Collectors
Hardcore Architecture: Les Evans / Cryptic Slaughter, 2015 Les Evans, Marc Fischer et Public Collectors
Hardcore Architecture: Les Evans / Cryptic Slaughter, 2015 Les Evans, Marc Fischer et Public Collectors

Même s’il est vrai que l’on pouvait déjà noter cela dans les premiers projets, le Do It Yourself (DIY) fait partie de ton travail, je dirais même qu’il définit ton travail. De la forme (principalement des brochures / tracts et des livrets), à la façon de les produire, tu es impliqué dans chacune des étapes de leurs fabrication, mais aussi de leur distribution. Est-ce important pour toi ? Et que cela représente-t-il à tes yeux ?

Pour certains projets, une approche DIY est souvent la façon la plus juste et rapide de travailler, alors pourquoi faire des détours ? Pour moi, DIY veut aussi dire travailler avec ses propres moyens. C’est bien de rêver grand, mais il est vrai que je préfère rester dans une économie qui me permet de faire mes projets quand l’inspiration arrive sans avoir à attendre l’obtention de fonds ou de soutiens extérieurs, et même si cela implique de faire plus petit. Quand c’est possible, j’aime imprimer directement à la maison, en risographie ou même sur mon imprimante laser, en noir et blanc, ce qui peut facilement permettre la conception de projets tirés à cent exemplaires sans avoir à quitter la maison. Néanmoins, d’autres projets, plus importants, doivent être imprimés différemment et demandent d’autres systèmes de production ou de fabrication. En travaillant avec d’autres imprimeurs, j’apprends énormément sur leurs processus de fabrication, les papiers utilisés, les encres, mais aussi leurs machines qui me restent étrangères. Je n’ai évidemment pas à tout faire, ou à tout contrôler, mais j’aime prendre part à chacune des différentes étapes de la production afin d’en tirer le meilleur.

J’aime envoyer les commandes qui me sont passées et voir les personnes qui travaillent au bureau de poste. J’aime travailler avec les magasins qui vendent mes publications. J’aime être derrière une table dans un salon d’édition et parler avec les personnes qui sont intéressées par ce travail. Cette connexion directe est importante pour moi et représente un nombre incalculable de rencontres sur des décennies. Être disponible pour les personnes qui considèrent ce que je faits aujourd’hui ne me semble pas si différent de l’époque où, à 17 ans, j’envoyais par courrier des copies de mes ‘zines à qui les achetait, ou quand je les vendais, stockés dans mon sac à dos, à la fin de concerts. Travailler avec des distributeurs aide, c’est certain, mais il est vrai que généralement, je fais un peu moins pour être directement impliqué, plutôt que de faire en grand nombre et rester en dehors de tout ce travail et demander à une autre personne de le faire. De mon expérience, cette implication directe dans la façon dont tout ce travail est diffusé et montré créé plus d’opportunités de collaborations, mais crée également des amitiés stables qui évoluent en parallèle du travail.

Quel rôle jouent les archives dans ton processus de travail ?

Ce que je fais n’est peut-être pas suffisamment formaliste ou collectif pour être véritablement considéré comme une archive. Mes collections ressemblent davantage à des dossiers étiquettés dédiés à des artistes, des groupes et des éditeurs, voire même des boites étiquetées du nom de ce qu’elles contiennent (comme par exemple des flyers, des ‘zines de musique, des livrets dédiés à tous types de sujets allant de sujets politiques à des questions religieuses, des images et des écrits trouvés, etc.). Je cherche dans ces collections de l’inspiration, de la matière à partager avec qui me rend visite, parfois, je m’en sers pour mes étudiant-e-s, mais aussi et surtout dans l’idée de revisiter le travail éditorial et musical de mes paires. Il y a des collections et des dossiers qui sont le résultat d’amitiés et d’achats au second marché d’objets qui m’intéressent. Parfois, certaines des informations que j’accumule deviennent des publications. Le reste, ce que je n’utilise pas, reste à sa place, en attente du bon projet et de la bonne façon de les exploiter, que ce soit dans un livre ou dans une exposition. Il peut également m’arriver de replonger dans toute cette matière pour nourrir mes recherches et mon travail lorsqu’il m’arrive de postuler à des bourses, ou lorsque je dois en faire des présentations publiques plus importantes.

Library Excavations #4: Suspect Methodology, 2016 Marc Fischer et Public Collectors
Library Excavations #4: Suspect Methodology, 2016 Marc Fischer et Public Collectors
Public Collectors Police Scanner, 2021 Marc Fischer et Public Collectors
Public Collectors Police Scanner, 2021 Marc Fischer et Public Collectors

Depuis le début de ton activité (et je ne fais pas référence qu’à Public Collectors, mais aussi à Temporary Services et Half Letter Press), la collaboration prend une part importante de ton travail. Public Collectors est même basé sur cette idée de collaboration. Je pense par exemple à la Joong Boo Residency, pour laquelle tu partages un repas et une conversation avec un-e invité-e, ou encore plus récemment, le projet intitulé Quaranzine, une publication quotidienne que tu as tenue 100 jours, ce qui t’a amené à collaborer avec environ 90 personnes différentes. Pourrais-tu s’il te plaît revenir sur l’importance de la collaboration dans ton processus de travail et ce qu’il représente pour toi ?

Pour moi, ce qui construit en partie une collaboration, c’est le temps que l’on passe avec l’autre personne à échanger sur ses idées. Si j’estime ce que quelqu’un fait, cela me donne envie de faire quelque chose avec elle et de diffuser son travail. Faire une publication avec une autre personne, c’est s’engager à passer du temps ensemble, à s’écouter, à faire des essais, et à célébrer lorsque l’on parvient enfin à faire quelque chose. C’est un vrai plaisir, même lorsque cela conduit à des désaccords. Le projet Quaranzine – un projet qui consistait en la publication quotidienne d’un contenu sur un même format, imprimé sur le recto comme le verso, le tout durant 100 jours d’affilés – a été une expérience incroyable pour ça. Certaines personnes m’ont donné des projets qui n’avaient besoin d’aucunes modifications, ou tout juste. D’autres au contraire ont demandé bien plus d’échanges et d’aller-retours jusqu’à ce que l’on trouve une solution qui nous convienne chacun. Ce projet m’a permis d’approfondir mes relations avec de nombreu-euse-s contributeur-trice-s et m’en a fait rencontrer de nouveaux-elles – des personnes que je n’ai jamais rencontrées véritablement, et que je ne rencontrerais probablement jamais – cela a ouvert des portes vers de nombreuses collaborations futures.

La Joong Boo Residency était un projet pour lequel les artistes vivant hors Chicago pouvait envoyer leurs candidatures simplement en me contactant, suite à quoi je les invitais à partager une conversation le temps d’un déjeuner au marché Coréen (appelé Joong Boo) se trouvant dans mon quartier. C’était ça la résidence ! Suite au repas, je postais un compte-rendu de ce moment passé ensemble sur les réseaux sociaux et présentais chaque participant-e. Généralement, cette résidence durait plus ou moins une heure, mais il y avait, de part et d’autre un engagement : se concentrer sur cette rencontre et nos échanges. Parfois, ces rencontres permettaient également des échanges de publications quand le-la résident-e était un-e éditeur-trice. D’autres fois, elle était simplement l’occasion de belles rencontres et de bons repas.

J’ai réalisé avec ce projet que je ne prenais que très rarement le temps de m’asseoir à une table pour échanger comme cela avec un-e artiste. Certain-e résident-e étaient des personnes que je connaissais depuis dix ans et qui avaient déménagées, mais cette heure de conversation était la plus longue que nous ayons eu ensemble. Par le passé, nous aurions pu nous voir lors de vernissages, de fêtes ou d’événements, avec d’autres personnes et surtout, de nombreuses distractions. Et même s’il est vrai que cela peut sembler étrange d’avoir à planifier de façon très formelle ces rencontres, je me dis que cela fait aussi partie de nos vies et que l’engagement que cela représente doit en passer par là. Par ailleurs, c’était drôle de faire de cette fantastique expérience un projet en soit.

Naturellement, au bout d’un certain temps, je me suis fatigué de la Joong Boo Residency, et j’ai cherché quelque chose de plus intense : la Courtroom Artist Residency. Pour ce projet, des artistes, qu’importent leurs origines, peuvent envoyer leur candidature pour passer une journée avec moi à observer certaines affaires criminelles au tribunal de Chicago, journée suivie d’un repas à la taqueria se trouvant juste à côté. Généralement, une journée durait au moins cinq ou six heures. Il est même arrivé, une fois, que la journée dure neuf heures, l’artiste en résidence et moi-même étions ensemble au tribunal lors d’une affaire historique lors de laquelle un policier Chicagoan a été inculpé pour homicide volontaire. Pour chacune de ces résidences, j’enregistrais nos conversations durant le déjeuner, puis nous les éditions ensemble, il peut également arriver que l’artiste ajoute quelque chose au contenu, puis j’en publie le résultat dans la collection qui s’intitule The Courtroom Artist Residency Report. Au total, il y a eu seize résidences de ce type, et quatre ont été publiées sous forme de livret. Le projet a été contraint d’arrêter du fait de l’épidémie de Covid-19, il était devenu impossible de se rendre au tribunal et d’assister directement aux jugements, et depuis, à titre personnel, j’ai également arrêté d’aller au restaurant. Néanmoins, j’aimerais relancer un projet de ce type, basé sur le partage d’un repas, mais du fait de la crise sanitaire et des différents variants toujours très actifs, je me dis que ce n’est pas le moment.

The Courtroom Artist Residency Report - Residencies #5-#8, 2019 Public Collectors
The Courtroom Artist Residency Report – Residencies #5-#8, 2019 Public Collectors
Quaranzine (numéro 17, 31 mars 2020), 2020  Paul Nudd et Public Collectors
Quaranzine (numéro 17, 31 mars 2020), 2020 Paul Nudd et Public Collectors
Quaranzine (numéro 27, 10 avril 2020), 2020  Kaitlin Kostus et Public Collectors
Quaranzine (numéro 27, 10 avril 2020), 2020 Kaitlin Kostus et Public Collectors
Quaranzine (numéro 30, 13 avril 2020), 2020  Public Collectors
Quaranzine (numéro 30, 13 avril 2020), 2020 Public Collectors

Plus d’informations :
http://www.publiccollectors.org/

www.instagram.com/publiccollectorslibrary/