[FOCUS] Delphine Pouillé, Dessins

[FOCUS] Delphine Pouillé, Dessins

Delphine Pouillé partage sa vie entre Paris et Vienne. Sur la première partie de l’année, elle se consacre pour beaucoup à la sculpture et la deuxième de juillet à fin janvier, elle dessine. Si l’artiste est connue d’abord pour ses sculptures performées (Jaco) et ses installations in situ comme celles présentées récemment dans le Massif du Sancy en Auvergne, à l’artothèque de Caen, ou encore dans la Chapelle du Collège des Jésuites à Eu. Son travail dessiné sur papier, par nature plus intime, a moins été présenté. Même si les dessins reprennent le même processus créatif, ils sont indépendants des sculptures et se développent sur de nouvelles séries comme Carcasses et Growing Memorial. Ces dessins nous parlent du corps, sont conçus comme le développement d’une forme initiale simple, presque organique, que l’artiste par un travail opératoire, retravaille et fait croître en lui faisant subir d’innombrables mutations.

 » Tout l’hiver j’étais à Vienne où j’ai beaucoup travaillé sur la série Growing Memorial. Mes dessins sont indépendants de mes sculptures et sont autonomes. Lors de certaines périodes, je fais des dessins parce que c’est plus léger pour moi. À la différence des sculptures que je gonfle, avec le dessin je travaille à plat. Manipuler des sculptures, les remplir de polyuréthane, les gonfler, tout ce processus me demande pas mal d’énergie et cela me vide. Je dois prendre aussi certaines précautions car le produit est toxique à l’état liquide. Les raisons sont aussi pratiques car avec le dessin je n’ai pas de problème de transport ou de stockage. Pour toutes ces raisons, travailler sur des dessins ou sur des sculptures est comparable à un système de vases communicants. 

Dans mes dessins, il y a l’idée de déconstruire puis de reconstruire à partir d’une forme identique.

 
 
Delphine Pouillé, Sans titre, dessin, 2017.
Flic Flac #1, 2016, crayon sur papier, 20,8 x 28,5 cm. Courtesy artiste.
 
 
Je pars d’une forme que je ne cesse de faire évoluer. J’utilise une table lumineuse pour la décalquer, puis je la reproduis et la fais croître et se répandre d’où le nom de la série qui s’appelle Growing Memorial. On retrouve le même processus dans les formes en mousse où il y a aussi une forme initiale, similaire à une poche car je couds deux morceaux de tissu élastique entre eux formant un moule dans lequel je coule de la mousse en polyuréthane. En dessinant, j’explore tout autant cette forme en la faisant évoluer comme un corps. 
 
Mon travail porte sur le vivant, a un rapport direct au corps.
 
Ainsi pour la série Carcasses, les dessins sont reconnaissables par le motif qui s’apparente à une colonne vertébrale. Cette forme initiale, comme me le faisait remarquer Florian Gaité, tend vers des formes complexes, avec des excroissances qui deviennent des membres à part entière. 

Au départ, comme en sculpture où j’ai commencé à utiliser de la mousse polyuréthane parce que je voulais une surface complètement lisse, j’étais aussi dans le dessin dans l’optique d’un contrôle total. Mes premiers dessins étaient numériques et, de ce fait, avaient une finition parfaite comme lors de mon exposition à la Graineterie de Houilles. Désormais, j’effectue des découpages, puis je réassemble les morceaux, réunifie l’ensemble et je répare avec du scotch. Je recycle pas mal des éléments précédemment découpés de dessins plus anciens. Parfois je laisse les dessins en suspens pendant plusieurs semaines ou mois avant de les reprendre. Je peux voir alors si le dessin nécessite de refaire une sorte de mise en place, s’il étouffe. Parfois le dessin ne respire pas du tout alors je rajoute du papier. J’aime bien l’aspect parfois un peu brouillon. Les extensions, les éclatements, donnent un côté dynamique qui libère le dessin. Il se prolonge parfois hors du papier, se déploie sous la forme d’un fil qui traverse le cadre. 

J’utilise le pastel blanc dans mes dessins à la manière des pansements pour mes sculptures. Bien visibles, ils leur donnent une forme supplémentaire de vie. En raison parfois d’accidents, je dois ôter une partie du dessin, ce qui crée un manque. J’effectue alors un rajout prélevé sur un autre dessin. Il y a une dimension un peu monstrueuse, à la « Frankenstein » dans mon travail. J’ai été très marquée par les reconstructions des gueules cassées de la Première Guerre Mondiale quand on recomposaient les visages à partir d’autres éléments du corps. Si mes créatures sculptées sont un peu difformes, mes dessins portent aussi les stigmates de mes interventions successives. Il sont recousus, suturés.  »

Texte Point contemporain © 2017

 

Delphine Pouillé, Sans titre, dessin, 2017.
Growing Memorial #32, crayon, pastel gras, papier et ruban adhésif sur papier, 29 x 42 cm. Courtesy artiste

 

Delphine Pouillé, Sans titre, dessin, 2017.
Growing Memorial #38, 2015, crayon, pastel sec, papier imprimé, ruban adhésif et fil sur papier, 42 x 60 cm. Courtesy artiste

 

Delphine Pouillé, Sans titre, dessin, 2017.
Space Sheep, 2016, crayon, pastel sec, pastel gras et enduit sur papier, 28,5 x 20,8 cm. Courtesy artiste

 

Visuel de présentation : Flic Flac #4, 2016, crayon, pastel sec et pastel gras sur papier, 20,8 x 28,5 cm. Courtesy artiste.

 

Delphine Pouillé
Née en 1979 à Clermont-Ferrand.
Vit et travaille à Paris et Vienne.
Diplômée de l’École des Beaux-Arts et de l’université de Rennes.

www.delphinepouille.com