Guillaume Barborini, Habiter l’autre pays

Guillaume Barborini, Habiter l’autre pays

Guillaume Barborini, Microbiologie des ruines, 2018 © Guillaume Barborini

Le travail conceptuel et poétique de Guillaume Barborini se développe en séries qui sont constituées par des corpus de gestes. Gestes inventés et « aidants », gestes qui par moment deviennent quotidiens, gestes en apparence anodins et gestes à la fois méditatifs et performatifs, des gestes qui lui « appartiennent ». Ces gestes sont activés, réactivés, archivés et réactivés. Ils font partie de cycles dont les périodicités sont variables et les durées indéfinies. Ces gestes se succèdent et se suscitent les uns les autres, ils sont à la fois indépendants et liés, ils peuvent se répéter à l’infini et s’enrichir ou dévier pour se redéfinir, se retrouver. Ce corpus de gestes donne forme à une pratique.

Cette pratique donne lieu à une cartographie du monde, a priori abstraite, au sein de laquelle le planse confond avec son exécution, mais où une approche philosophique rencontre subtilement la géologie contemporaine et la cosmologie. En faisant intervenir le territoire, son travail adopte une valence politique – accompagnée de l’idée selon laquelle la répétition, le détail et la lenteur constituent des formes de revendication. Pour Guillaume Barborini il s’agit de se glisser dans le monde et d’essayer de l’infiltrer à travers un corpus de pratiques et de négociations entre le temps et le territoire, le Soi et le monde (l’Autre), entre les frontières et les lignes de fuite qui caractérisent une situation, entre le pouvoir poïétique du geste (faire advenir), ses caractéristiques politiques (prendre position mais pas possession, résister en questionnant) et ses potences poétiques.

C’est en activant des processus dialectiques inattendus – emprunter de la terre à la Terre pour ensuite la restituer ; construire pour jouer à (dé)construire ; entrer dans un livre pour inviter à entrer dans sa lecture; rencontrer, s’habiter mutuellement, mais « sans se coloniser »– que l’artiste fait advenir L’autre pays. Les grands enjeux – du monde et du monde conceptuel, poétique et actif de Guillaume Barborini – se jouent toujours sous des aspects anodins.

« Reprendre ces notions pour rejouer un pays, mais en faire quelque chose de moins sûr de soi, deplus fragile et attentif. Chaque geste est un point où converge une relation au monde, une relation à l’activité et aux transformations que nous exerçons sur ce monde, au travail d’un corps qui se déploie avec – et en revendiquant – ses propres limites et les contraintes que le monde lui impose. Revendiquer cela, c’est le moyen d’agir avec considération, de cosigner chaque geste, d’exister sur le fil qui relie le monde et soi. Venir s’appuyer sur ce qui existe et regarder quelle zone de contact cela dessine. C’est peut-être aussi, construire un pays qui serait le pays en creux », pour reprendre les termes de l’artiste.

L’autre pays a-t-il des frontières ? Que voudraient-elles dire ? Pour le moment il continue à grandir, sans vouloir devenir spectaculaire, mais au contraire, en restant à l’échelle de Soi. L’autre pays pourrait être compris comme le monde tel qu’il est digéré par le corps de l’artiste et dont les seules limites, celles du corps, en définiraient les temps de pause, de respiration, de recommencement et de répétition – quand le corps devient paramètre de l’oeuvre. L’autre pays est également cette idée d’un autre monde, mais dont la singularité réside dans le fait que, pour exister et se déployer, il n’a pas besoin de renverser le monde qui le précède, mais plutôt de l’infiltrer presque sans ne rien toucher – sans laisser de traces. Cet autre pays pourrait aussi être la singularité de chacun, « se chercher soi dans le monde et chercher le monde en soi » comme l’exprime l’artiste, s’introduire donc au monde en l’apprivoisant, mais selon ses propres termes.

Texte Sofia Eliza Bouratsis © 2019
PhD, Arts et Sciences de l’art, Esthétique
Université Paris I – Panthéon-Sorbonne
Chercheure et curatrice indépendante

Exposition de Guillaume Barborini, L’autre pays,
en cours jusqu’au 05 mai 2019
à L’attrape-couleurs Lyon

Guillaume Barborini, La presqu'île, 2017 © Bohumil Kostohryz
Guillaume Barborini, La presqu’île, 2017 © Bohumil Kostohryz
Guillaume Barborini, Le premier territoire (II), 2017 © Marie-Cécile Conilh de Beyssac
Guillaume Barborini, Le premier territoire (II), 2017 © Marie-Cécile Conilh de Beyssac
Guillaume Barborini, Le premier territoire (I), 2018 - image extraite de la vidéo
Guillaume Barborini, Le premier territoire (I), 2018 – image extraite de la vidéo
Guillaume Barborini, Travailler à terre, rejouer la Terre, 2018 © Célie Falières
Guillaume Barborini, Travailler à terre, rejouer la Terre, 2018 © Célie Falières
Guillaume Barborini, La petite bibliothèque, 2018 © Sofia Eliza Bouratsis
Guillaume Barborini, La petite bibliothèque, 2018 © Sofia Eliza Bouratsis