MUTATIONS AU CACN NÎMES

MUTATIONS AU CACN NÎMES

Maxime Sanchez, Ostéoporose, Stégosaure, 2018 (détail de l’installation). Photo Marie Applagnat.

Annonciateurs d’une évolution sociétale par les formes qu’ils proposent, par leur appréhension du quotidien en tant que matière à penser, les artistes présentés dans « Mutations » sont à considérer comme porteurs d’une régénération. Charlotte Caragliu, Cassandre Cecchella, Sarah Deslandes, Huan Liu, Marion Mounic, Morgane Paubert, Maxime Sanchez, rendent indivisibles empirisme et création pour matérialiser leur approche singulière du monde.

En explorant et interprétant la substance de leurs expériences, ils deviennent des anticipateurs : les augmentations physiques, morales et formelles qu’ils proposent sortent du cadre usuel pour révéler de possibles changements.
Chaque artiste présenté dans « Mutations » produit essentiellement au sein de son territoire pour révéler le foisonnement créatif propre à celui-ci et disloquer la prééminence d’une centralisation géographique excessive qui apparaît à présent anachronique et contre évolutive.
Des organismes hybrides émergent, les normes éclatent, l’ordre du commun est transgressé pour envisager de nouvelles perceptions du futur. Ce qui intrigue et pose sensiblement question c’est le caractère évolutif de chacune des œuvres, leur capacité à changer de peau, à muer, à s’adapter à un environnement pour survivre ou être de leur temps.
Portant un intérêt particulier à l’objet et à la matière recyclée, les artistes réinterprètent le commun et utilisent des matériaux à contre-emploi. Apparaissent alors des primitivités contemporaines qui se décuplent et mutent, devenant les symboles d’une évidente transformation.
Par une approche singulière du dispositif de monstration que représente l’exposition Sarah Deslandes s’emploie à matérialiser la trace des consignes performatives invoquées dans la temporalité d’un vernissage. Charlotte Caragliu évoque l’explosion des instances normatives à travers l’exhibition de corps qui n’ont plus aucun lien avec la notion de genre. Alors que des formes irrégulières émergent dans le travail de Morgane Paubert, les organismes augmentés de Maxime Sanchez apparaissent comme les fossiles d’une archéologie du futur. Cassandre Cecchella révèle par l’effacement notre rapport aux objets de consommation. Des questionnements culturels se cristallisent dans l’œuvre de Huan Liu tandis que les traditions deviennent véhicule de renouvellement avec les créations de Marion Mounic.
Si notre société contemporaine tend à se lisser, à se complaire dans le conformisme et l’archétype, « Mutations » en est le contre phénomène et entend reconfigurer le tangible pour supposer une nouvelle appréhension de la norme qui serait non-genrée, difforme et irréelle, en perpétuelle mutation.

À la frontière des questions du genre et du non-genre, le travail de Charlotte Caragliu se concentre sur la manière dont sont présentées, représentées et perçues l’idée et l’image d’une potentielle norme sexuelle. Montrer pour décomplexer, proposer pour se questionner, provoquer pour accepter, Charlotte Caragliu expose un discours autour de l’affirmation sexuelle en tant que personne et non en tant que genre. L’évolution et la transformation d’un corps, l’acte sexuel, l’attirance, sont accompagnés dans le travail de l’artiste de manière à ce que s’effacent, disparaissent, toutes appartenances sexuelles ou genrées.
La fresque Switch, un wall drawing, s’insère dans une abondante série de dessins reprenant des images de films pornographiques choisies, dont les parties et les formes des scènes de sexe intéressant particulièrement Charlotte Caragliu sont sélectionnées et dessinées par contour. L’artiste utilise cette base filmique dans l’intérêt d’écumer un potentiel multiple de représentations de formes, de morphologies, d’anatomies en passant par la nudité et par la monstration de corps tendus et en actions sans pour autant se poser la question de leur identité.

À partir de listes de courses abandonnées, Cassandre Cecchella crée des Portraits graphiques : une accumulation de détails, d’éléments de la vie quotidienne. L’artiste s’approprie ces objets connus de tous et appartenant à une certaine culture de la consommation. Pensant la forme du contenant-contenu, elle choisit ces objets de manière à ce que l’on puisse les reconnaître, que l’on puisse les réintégrer dans nos mémoires communes. Évoquant la question de la standardisation formelle et adoptée dans les consciences de notre société de consommation, les pièces de Cassandre Cecchella s’inscrivent aussi dans les problématiques actuelles de surconsommation des produits. Ces derniers ont perdu toute sorte d’identité, pourtant, nous les reconnaissons inconsciemment de par leur forme et nous en devinons ainsi l’utilité. Une utilité qui nous importe peu ici. C’est plutôt la perception du produit, de sa forme et de sa couleur, de sa texture aussi qui nous saisit dans les peintures de Cassandre Cecchella.
Dénués de tout contexte publicitaire et nominatif mais restant normatifs, les emballages vidés, évidés perdent leur sens de consommation et s’intègrent au mieux dans ces compositions.

Des éléments anodins, une odeur, une direction particulière à prendre, le travail de Sarah Deslandes se concentre sur la question de l’exposition et la manière dont, dans cet espace, se matérialise ses actions. Dirigées avec discrétion et subtilité par des complices ou par l’artiste elle-même, ces détails ne se perçoivent qu’après coups. Le geste le plus simple devient ainsi une véritable interrogation. Que signifie-t-il ? Qui le perçoit et comment ? Quelle trace reste-il de ces actions ?
Sarah Deslandes touche aux différents sens du visiteur sans que, dans un premier temps, celui-ci ne s’en rende compte. Elle questionne le quotidien, notre environnement, la facilité de l’acquisition ainsi que notre absorption complète dans les techniques, les technologies et pratiques usuelles. Elle nous place face à des détails de notre environnement et nous interroge sur notre capacité à regarder réellement les éléments qui nous entourent.
Au moyen de ses œuvres mêmes, l’artiste invoque l’espace d’exposition comme lieu de monstration de son travail. Sarah Deslandes propose ainsi une suite de documents, d’indices sur ces détails activés à un certain moment, comme une proposition de réponses à ses préoccupations curatoriales.

Parcourant les notions et les discours des traditions culturelles, cultuelles et sociétales, Huan Liu remet en question ces principaux aspects tout en les déjouant. Originaire de Chine, cette artiste arrivée en France en 2015, exploite des codes et des pratiques liés à la culture de son pays. Dans ses pièces des jeux, des noms et des mots sont détournés, précisés ou encore matérialisés. D’une présence récurrente de l’enfance et de la femme comme support ou comme thème en tant que tel, l’artiste propose une véritable démonstration de sa perception de son éducation. Alliant son savoir-faire à un goût pour la finesse du trait, Huan Liu compose des espaces poétiques pour rendre compte de problématiques actuelles en lien avec son pays d’origine. Le dessin présenté au sein du centre d’art est le résultat de son appréhension de la maladie et de l’angoisse qu’elle évoque plastiquement par un univers étrange et obscur où s’entremêlent des organismes qui tenteraient d’atteindre la psyché pour la bouleverser. Huan Liu parvient à révéler ce qui existe pour finalement évoquer l’urgence d’un changement, d’une évolution.

Artiste ancrée dans un rapport contemplatif à l’instant et privilégiant une démarche sensorielle, Marion Mounic évoque les restes perceptibles du vécu en travaillant essentiellement avec des objets trouvés. Ces derniers lui permettent de mettre en récit ses souvenirs du Maroc, son pays d’origine, par le prisme de sa propre vision.
L’œuvre Relique questionne le visible et l’invisible, le vide et le plein à travers une lettre figée entre ce qui est et ce qui ne sera plus, entre le vivant et le disparu. Cette approche trouve son apothéose dans le mouvement des cocottes minutes de l’œuvre Samâ’ – littéralement « danse des derviches » – qui flirte avec la transparence : elles tournent et floutent la vision du regardeur. Par un regard actuel, la cocotte minute est transmutée en un objet abordant une nouvelle spécificité presque corporelle, symbole de l’alliage entre technologie et culture. Une danse éternelle fixée à jamais comme reflet d’une tradition héritée du passé, ravivée par une effective vision. Substitués à l’expérience quotidienne, les objets se transforment en récits et histoires pour révéler une identité où la mémoire devient synonyme de construction.

Faisant appel à une altérité corporelle évidente qui évoque le vivant et l’organique, Les pendus de Morgane Paubert semblent représenter des corps substitués, métamorphosés gravitant dans l’espace. Chacune de ses créations paraît surgir d’un futur lointain et anticipé où sont dévoilés des organismes qui détiennent l’empreinte du réel et de l’imaginaire. L’intérêt qu’entretient Morgane Paubert avec le vocabulaire plastique et formel propre à l’anatomie humaine est suggéré mais jamais reproduit de manière directe. Elle explique d’ailleurs que ses travaux « portent en eux un corps, sans le représenter frontalement ». Elle exprime sa singularité en proposant des pièces abordant constamment la notion d’assemblage et d’hybridation avec des sculptures qui semblent continuer d’évoluer après leur création. Si Morgane Paubert joue sur la tension entre forme et informe, c’est finalement et surtout pour renforcer une esthétique trouble se mêlant à des formes étranges qui se propagent et croissent dans l’imaginaire de celui qui les regarde.

Prenant racine dans le bling-bling, le clinquant, le rap system, le tuning et les faits divers, les installations et sculptures de Maxime Sanchez portent en elles les traces anecdotiques de mythologies urbaines contemporaines. Par le détournement de thèmes populaires, des objets quasi-cultes sont créés et questionnent les aspects complexes d’une contre-culture subversive.
Dans un univers édulcoré et sous acides, les objets détournés de leur utilisation première se muent en organismes zoomorphes complexes. Transcendés et réifiés, ils renvoient à son approche de la culture populaire.
Exploitant d’une part la technique du nail art pour réaliser des pattes de dinosaures hydrographiées – ou pour faire écho au dernier tube du groupe PNL – Maxime Sanchez se plait également à utiliser les matériaux à contre-emploi. Ainsi, pour Juracing et Ostéoporose, la banalité dont le mainstream est ordinairement l’alter ego a été troquée pour donner vie à des organismes augmentés. Avec Maxime Sanchez, les objets évoluent et mutent à l’image d’éco-systèmes hybrides susceptibles de survivre dans un univers corrosif : ils semblent d’ores et déjà évoquer les vestiges d’une ère future.

Texte Marie Applagnat et Laureen Picaut, commissaires de l’exposition © CACN

 

 

 

Charlotte Caragliu, Switch, fresque murale, 200x250cm, 2018. Morgane Paubert, Les Pendus, grès émaillé mat et sangle, 50x20x25, 2018. Huan Liu, Sans-titre, dessin crayon fusain, 100x100cm, 2017.  Photo Marie Applagnat
Au fond : Charlotte Caragliu, Switch, fresque murale, 200x250cm, 2018.
Morgane Paubert, Les Pendus, grès émaillé mat et sangle, 50x20x25, 2018.
à droite : Huan Liu, Sans-titre, dessin crayon fusain, 100x100cm, 2017. 
Photo Marie Applagnat

 

 

Huan Liu, Sans titre, 2017. Dessin au fusain, 100 x 100 cm.
Huan Liu, Sans titre, 2017. Dessin au fusain, 100 x 100 cm.

 

 

Morgane Paubert, Les Pendus, grès émaillé mat et sangle, 50x20x25, 2018. Photo Marie Applagnat
Morgane Paubert, Les Pendus, grès émaillé mat et sangle, 50x20x25, 2018.
Photo Marie Applagnat

 

Cassandre Cecchella, Ramassée à Carrefour Contact Argelès-sur-mer, Ramassée à Intermarché Mane,  Ramassée à Carrefour Contact Salies-du-Salat, 2018. Acrylique sur papier marouflé.
Cassandre Cecchella, Ramassée à Carrefour Contact Argelès-sur-mer, Ramassée à Intermarché Mane,  Ramassée à Carrefour Contact Salies-du-Salat, 2018. Acrylique sur papier marouflé.

 

 

Marion Mounic, Samâ, cocottes-minute et moteurs, 2018. Maxime Sanchez, Juracing, (série), moulages 
en plâtre de fossilisations d’empreintes de dinosaures, impressions hydrographiques, appuis intermédiaires, dimensions variables, 2018. Photo Marie Applagnat
Marion Mounic, Samâ, cocottes-minute et moteurs, 2018.
Maxime Sanchez, Juracing, (série), moulages 
en plâtre de fossilisations d’empreintes de dinosaures, impressions hydrographiques, appuis intermédiaires, dimensions variables, 2018. Photo Marie Applagnat

 

Marion Mounic, Samâ, cocottes-minute et moteurs, 2018. Photo Marie Applagnat
Marion Mounic, Samâ, cocottes-minute et moteurs, 2018. Photo Marie Applagnat

 

 

Marion Mounic, Relique, 2016. Porcelaine.
Marion Mounic, Relique, 2016. Porcelaine.

 

Maxime Sanchez, Juracing, (série), moulages
en plâtre de fossilisations d’empreintes de dinosaures, impressions hydrographiques, appuis intermédiaires, dimensions variables, 2018. Photo Marie Applagnat
Maxime Sanchez, Juracing, (série), moulages
en plâtre de fossilisations d’empreintes de dinosaures, impressions hydrographiques, appuis intermédiaires, dimensions variables, 2018. Photo Marie Applagnat

 

Charlotte Caragliu, Switch, fresque murale, 200x250cm, 2018. Morgane Paubert, Les Pendus, grès émaillé mat et sangle, 50x20x25, 2018. Photo Marie Applagnat
Charlotte Caragliu, Switch, fresque murale, 200x250cm, 2018.
Morgane Paubert, Les Pendus, grès émaillé mat et sangle, 50x20x25, 2018.
Photo Marie Applagnat

 

 

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