JULIETTE LEMONTEY

JULIETTE LEMONTEY

Juliette Lemontey, L’échappée belle, 2020. Huile et fusain sur toile, 200×170 cm. Photo de Juliette Lemontey

PORTRAIT D’ARTISTE / Juliette Lemontey
par Malory Puche

3EME ETAGE, BUREAU 312

Je déambule dans les couloirs qui mènent au bureau 312, pièce où m’a donné rendez-vous Juliette Lemontey. Le lieu est étonnant, j’ai l’impression de me promener dans les bureaux d’une société et je comprends d’ailleurs rapidement que je suis dans un ancien bâtiment administratif qui accueille de manière temporaire des ateliers d’artistes, entre autres. Arrivée au troisième étage, je suis les indications et je finis par me retrouver devant une double porte. Je la pousse et je suis accueillie par de grandes figures collées aux murs. Je reconnais immédiatement le travail de l’artiste. Sur ma droite se trouve une porte sur laquelle est accrochée une plaque. Le nombre « 312 » y est gravé, je suis arrivée à destination.

Juliette Lemontey m’invite à entrer dans son atelier et je suis instantanément plongée dans son univers. Malgré la pluie et les nuages gris qui parsèment le ciel montreuillois ce jour- là, la pièce est baignée de lumière grâce aux baies vitrées qui occupent tout un pan de mur. Elle s’assoit face à moi, sur le rebord de la fenêtre intérieur. L’atelier d’un·e artiste appartient selon moi à une sphère assez intime de celui-ci ou de celle-ci, il révèle finalement de multiples éléments sur la personne. C’est pourquoi, lorsqu’un·e artiste me fait visiter son atelier, j’aime prendre le temps d’observer l’espace dans ses moindres détails et ainsi comprendre davantage qui est mon interlocuteur·rice. Dans un des coins de la pièce je remarque la présence de quelques effets personnels de l’artiste. Cinq ou six photos sont collées au mur, quelques livres d’art reposent sur le rebord de la fenêtre utilisé alors comme une étagère et des carnets à dessin y sont aussi soigneusement rangés. Le reste de la pièce est consacré aux œuvres et au matériel de l’artiste. Deux grandes toiles sont exposées sur ma gauche, chacune présentant deux figures. Sur ma droite sont accrochées de plus petites toiles qui pour la plupart représente des portraits. Le sol est quant à lui jonché de chutes de toiles peintes.

Pour chacune de ses œuvres, l’artiste travaille à partir d’éléments qui sont déjà pourvus d’une âme et invente ainsi de nouvelles histoires. Les toiles sont en fait de vieux draps en lin qu’elle chine ou qu’elle récupère et qu’elle monte ensuite sur châssis. Ces draps ne sont pas que des supports, ils font partie intégrante de l’œuvre et leur couleur vieillie devient un composant de sa palette. Les sujets de ses tableaux sont inspirés de photographies qu’elle trouve soit en version papier, soit sur internet ou encore dans des livres. Juliette Lemontey me confie qu’elle travaille très rarement à partir de ses propres photographies. Selon elle, il existe déjà suffisamment de matière, d’images à exploiter et il n’est donc pas nécessaire d’en refaire. L’histoire de chacune d’elles ne lui est pas forcément connue, l’artiste les choisit en fonction de son histoire personnelle, de son vécu. Chaque photographie est totalement réinterprétée par l’artiste qui leur donne une nouvelle histoire, une nouvelle temporalité, de nouveaux personnages et qui fait même parfois des ajouts sur sa toile. Ainsi, Juliette Lemontey recrée des histoires à partir d’autres histoires et permet au regardeur ou à la regardeuse de s’imprégner du tableau et d’être libre de se faire lui ou elle aussi son propre récit.

Si auparavant l’artiste dessinait aussi des objets, aujourd’hui, elle peint essentiellement des figures humaines qui sont généralement toutes traitées de la même manière. Pour chacune de ses toiles, elle reprend les lignes principales des figures et du paysage de la photographie choisie et les dessine directement au fusain ; outil dont les traits ne peuvent s’effacer. Elle aime laisser les repentis apparents et le fait de ne pouvoir revenir sur ce qui a été fait puisque selon elle, cela permet de voir l’évolution de l’œuvre. Une économie de moyens se dégage de manière évidente de ses tableaux. L’artiste travaille la ligne et détaille peu ce qu’elle représente. Les visages sont même à peine esquissés afin que le regardeur ou la regardeuse puisse imaginer ce qu’il ou elle veut, qui il ou elle veut. Fonctionnant aussi comme des miroirs, ces figures sans traits physiques distinctifs peuvent également nous renvoyer à nous-mêmes, à notre propre présence physique, à notre histoire ; ce qui peut être troublant.

Juliette Lemontey créé elle-même ses peintures à partir de pigments. [J’avais en effet remarqué ce petit meuble à l’entrée de son atelier, plein de bocaux remplis de poudres colorées, mais j’attendais qu’elle m’en parle d’elle-même]. Elle utilise toujours les mêmes couleurs. Pour les chevelures, elle créé un noir mat semblable à du velours et d’une profondeur déconcertante. Pour la couleur de la peau, elle utilise du brou de noix. Quant aux vêtements de ses silhouettes, je remarque qu’elle utilise principalement quatre couleurs : un rouge bordeaux velouté, un gris bleuté, un peu de vert et une pointe d’ocre par-ci par-là. Bien qu’elle peigne fréquemment de grands aplats de couleurs, certains de ses personnages sont parfois pourvus de vêtements dont les motifs sont de sa propre conception.

Après m’avoir expliqué de manière détaillée sa façon de travailler, Juliette Lemontey me raconte l’histoire de deux toiles sur lesquelles elle travaille actuellement. La première, qui se trouve juste en face de moi, représente deux jeunes filles qui courent dans la neige ou dans la nature, vêtues de chemises blanches, de jupes rouge bordeaux et portant chacune dans leur main gauche une sorte de tissu noir. Cette image m’a frappé lorsque je suis entrée. Elle m’a replongé dans différents souvenirs que je partage avec ma petite sœur, lorsque nous étions enfants. L’origine de cette toile est une photo qu’elle a trouvé sur internet et qu’elle a totalement réinterprété par rapport à son histoire, et que j’ai également totalement réinterprété en la voyant par rapport à la mienne. Un sentiment de liberté s’échappe de cette toile et sur l’instant j’ai envie de courir avec elles. La seconde toile se trouve sur ma gauche. Elle représente un couple qui danse. Pour cette toile, Juliette Lemontey a réinterprété la photographie Nuit de Noël de Malick Sidibé prise à Bamako en 1965. L’œuvre n’est pas finie, ce qui explique la seule présence de lignes et de chevelures noires sur ce grand drap. Une broderie est présente sur un des côtés et c’est le genre de détail que l’artiste aime inclure dans sa peinture finale.

Ma visite se termine avec l’histoire de ce couple emblématique. Juliette Lemontey me raccompagne alors en bas du bâtiment. Les toiles de l’artiste et les histoires qui y sont racontées m’ont remémoré différents moments de ma propre histoire et je reprends donc le chemin inverse direction la gare RER, sous une pluie battante, des souvenirs plein la tête.

Malory Puche

Juliette Lemontey, Bouche à oreille, 2019. Huile et fusain sur toile, 162x114 cm. Photo de Juliette Lemontey
Juliette Lemontey, Bouche à oreille, 2019. Huile et fusain sur toile, 162×114 cm. Photo de Juliette Lemontey
Juliette Lemontey, Le chignon, 2021. Huile, fusain, brou de noix et collages sur toile. Photo de Juliette Lemontey
Juliette Lemontey, Le chignon, 2021. Huile, fusain, brou de noix et collages sur toile. Photo de Juliette Lemontey
Juliette Lemontey, Les trois âges, 2021. Huile, fusain et brou de noix sur toile, 120x81 cm. Photo de Juliette Lemontey
Juliette Lemontey, Les trois âges, 2021. Huile, fusain et brou de noix sur toile, 120×81 cm. Photo de Juliette Lemontey
Juliette Lemontey, Petit chignon, 2021. Fusain et brou de noix sur toile, 24x19 cm. Photo de Juliette Lemontey
Juliette Lemontey, Petit chignon, 2021. Fusain et brou de noix sur toile, 24×19 cm. Photo de Juliette Lemontey
Vue de l'atelier de Juliette Lemontey. Photo de Juliette Lemontey
Vue de l’atelier de Juliette Lemontey. Photo de Juliette Lemontey