Wang Haiyang [ENTRETIEN]

Wang Haiyang [ENTRETIEN]

Wang Haiyang, Sex series, 2017, watercolor on paper, vu de l’exposition Ravage du 17 mai au 16 juin 2018, galerie Paris-Beijing

Dans les travaux récents1 de l’artiste chinois Wang Haiyang transparaissent la souffrance et la douleur physique endurées par celui-ci lors de sa période de convalescence à l’hôpital après une lourde intervention chirurgicale destinée à redonner à son corps une motricité. 

Une période de sa vie particulièrement éprouvante, aux accents de métamorphose kafkaïenne, qui a complètement renouvelé son regard sur le corps et qui a mené son travail vers de nouvelles directions. Aquarelles au caractère viscéral qui révèlent tout autant le trauma de la chair ouverte et hurlante que le travail de recomposition organique des cellules, peintures qui matérialisent les points d’intensité de la douleur tels qu’il devait les ressentir sur son lit d’hôpital, ses oeuvres cartographies les épreuves du corps tant physiologiques que psychiques. 

Des « tourments » qui, pour citer Bataille, ont mis Wang Haiyang dans un état de tension extrême et qui lui ont révélé que le sexe était un principe vital, une libération, la pensée sexuelle étant la seule à pouvoir se substituer à la douleur qui irriguait son corps. Un sexe cru, premier, se concevant non dans le mépris et l’entrave des civilisations, mais mu par l’instinct, féroce et créateur, sublimement monstrueux, seul capable de la « libération de l’intellect ».

1 présentés par la galerie Paris-Beijing lors de son exposition personnelle Ravage au printemps dernier et à l’occasion de la dernière édition d’Asia Now Paris 2018. 

Depuis ta première exposition à Paris Rhizomes (Galerie Paris-Beijing, 2013) ton travail a profondément évolué. Peux-tu nous parler de tes premiers travaux ?

Ma formation artistique qui s’est faite à l’académie centrale de Pékin, haut lieu des beaux-arts en Chine, est très traditionnelle. On y étudie avec beaucoup d’application et de dextérité les techniques de peinture sans se soucier plus avant des motifs. J’ai composé un travail essentiellement figuratif avec cette liberté donnée par l’école de développer une démarche artistique très personnelle et de lui donner les outils pour l’exprimer, quelle qu’elle soit. Mes oeuvres étaient dans cette période l’expression d’une tension, celui du désir, de la sexualité de la jeunesse. Je me représente sous forme de scènes fantasmatiques au caractère freudien comme l’ont souligné beaucoup de commentateurs.

Dans tes œuvres récentes, la figure et son environnement ont disparu pour se transformer, se fondre dans un amalgame de motifs colorés. Que signifie cette perte du corps et de l’espace qui l’accueille ?

Depuis mon enfance, j’ai de graves problèmes aux jambes. Il y a deux ans, j’ai subi cinq lourdes opérations où il a été nécessaire aux chirurgiens de me casser les deux jambes pour les reconstruire à l’aide de plaques de métal et de toute une visserie. Durant quatre mois, j’ai dû rester alité et supporter une douleur que l’on dit dans le milieu médical des plus insoutenables. Quand j’ai quitté l’hôpital, je ne pouvais tenir debout. Toutes ces figures qui m’habitaient et que je représentais dans mes peintures avaient disparu. Il ne me restait plus que des formes abstraites que j’assimilais à l’expression même de la douleur.

Il ressort dans cette nouvelle expression picturale une certaine détermination car tu as poursuivi ton travail sur de grands formats et ta production est restée constante…

En effet, j’ai refusé d’abdiquer face à la douleur en utilisant toutes les palettes des couleurs existantes mais aussi en exploitant toute la surface de la toile avec une gamme inépuisable d’éléments abstraits. Comme je ne peux rester debout que relativement peu de temps, je pose désormais la toile à plat sur des trépieds et circule autour de celle-ci pour peindre. Bien sûr la difficulté est pour moi d’atteindre son centre. C’est quelque chose que je n’avais pas prévu mais que finalement j’ai intégré comme une donnée dans mes compositions. 

Une inaccessibilité qui pose la question de la contrainte, de la privation aussi, aussi bien physique que mentale ?

Quand s’est révélée cette impossibilité, cela m’a atteint psychologiquement. Mais en même temps j’ai pris conscience que c’était une zone que je n’étais pas capable de contrôler, d’atteindre pour arriver à une forme de finitude de la toile. Alors que partout ailleurs, je peux représenter les formes ou les gestes picturaux comme je veux, cette partie centrale reste inaccessible. Elle est devenue une zone un peu spéciale dans ma peinture, comme intouchable. 

N’est-ce pas l’expression qu’on ne peut jamais véritablement atteindre le cœur des choses ?

Philosophiquement cela peut s’interpréter de différentes manières mais comme pour moi ce n’était pas un choix, ni la mise en peinture d’une pensée, je préfère garder première cette idée d’impossibilité. Mais il est vrai que beaucoup de spectateurs ressentent cette zone centrale comme l’expression d’une solitude. Si j’ai prononcé le terme d’abstrait pour qualifier ces peintures, je lui préfère celui de profondeur. J’y vois en effet l’expression d’une vérité, celle d’une douleur, d’une impossibilité, et pas seulement une manifestation formelle. L’art doit être l’expression de cette profondeur, et non seulement vu en surface, il doit aussi toucher, c’est-à-dire transmettre le ressenti de l’artiste de manière libre et même radicale.

Est-ce cette même liberté et cette radicalité que l’on retrouve dans ton travail d’aquarelle ?

Toutes les aquarelles ont été réalisées à l’hôpital de manière clandestine. Travailler l’aquarelle m’a permis de créer un dérivatif à la douleur aiguë et continue que je ressentais. Le seul moyen d’oublier un peu cette douleur est le sexe et à travers l’aquarelle j’ai essayé de restituer les sensations sexuelles. Il y a quelque chose de très direct dans l’aquarelle, de plus instinctif dans la manière de relater ce qui est vital que de faire des figurations. 

On y ressent quelque chose de plus viscéral…

En apparence peut-être mais s’ajoute au physique, une importante dimension psychologique. Elle est marquée par une reconsidération de ce que l’on est. Avant cette période, je cherchais un sens dans mes réalisations, sans doute pour donner plus de sens à la vie, pour changer une situation ou une réalité. Ce changement dans ma peinture, ce travail d’aquarelle, montre que ma conception a radicalement changé. Je me moque éperdument du sens que l’on peut donner à telle ou telle chose parce que l’humain est d’abord animé par des désirs monstrueux, par une part instinctive. S’il doit y avoir eu un bouleversement dans mes travaux, il se situe dans cette prise de conscience. Un changement qui est une forme d’acceptation, dans ma manière de penser le corps mais aussi d’un point de vue philosophique, écologique… 

Entretien avec Wang Haiyang réalisé par Valérie Toubas et Daniel Guionnet initialement paru numéro de la revue Point contemporain #11 © 2019 Point contemporain

Wang Haiyang
Né en 1984 dans la province du Shandong, Chine
Bachelor de Beaux-Arts, Central Academy of Fine Arts, Beijing, Chine (2008)
Vit et travaille à Beijing
Représenté par Galerie Paris-Beijing

Actualités : www.agenda-pointcontemporain.com/tag/wang-haiyang/16

Wang Haiyang, Untitled n°11, 2009, collection privée, Pastel sur papier, 139 x 165 cm
Wang Haiyang, Untitled n°11, 2009, collection privée, Pastel sur papier, 139 x 165 cm

Wang Haiyang, Untitled n°25, 2011, Pastel sur papier, 55 x 75 cm
Wang Haiyang, Untitled n°25, 2011, Pastel sur papier, 55 x 75 cm

Wang Haiyang, Untouchable 09, 2017, Acrylic on canvas, 260 x 200 cm
Wang Haiyang, Untouchable 09, 2017, Acrylic on canvas, 260 x 200 cm

Wang Haiyang, Untouchable 10, 2017, Acrylic on canvas, 260 x 200 cm
Wang Haiyang, Untouchable 10, 2017, Acrylic on canvas, 260 x 200 cm

Wang Haiyang, Untouchable 11, 2017, Acrylic on canvas, 260 x 200 cm
Wang Haiyang, Untouchable 11, 2017, Acrylic on canvas, 260 x 200 cm

Wang Haiyang, Untouchable 14, 2017, Acrylic on canvas, 260 x 200 cm
Wang Haiyang, Untouchable 14, 2017, Acrylic on canvas, 260 x 200 cm

Wang Haiyang, Sex series, watercolor on paper, vu de l’Exposition Ravage
Wang Haiyang, Sex series, watercolor on paper, vu de l’exposition Ravage