AUX ARBRES !

AUX ARBRES !

Aux arbres ! Ecotopie du Nouveau Ministère de l’Agriculture pour une stimulation des processus vitaux post nécronomie, préalable à la plantation d’une forêt nourricière à Nègrepelisse (2020), Aquarelle, 300 x 150 cm. (détail)

AUTOUR DE L’EXPOSITION / Aux Arbres ! avec Le Nouveau Ministère de l’Agriculture (Suzanne Husky et Stéphanie Sagot) et le collectif Les trames (Mathilde Amilhat, Fanette Declercq et Anaïs Duplan)
jusqu’au 27 février 2021, La cuisine, centre d’art et de design, Nègrepelisse

Exposition dans le cadre du programme Les semences, commissariat Marta Jonville et Stéphanie Sagot

Le Nouveau Ministère de l’Agriculture est une fausse entité politique créée en 2016 par les artistes Suzanne Husky et Stéphanie Sagot autour de leurs intérêts communs pour l’art, la politique et l’agrobusiness. Elles reprennent pour mieux les dénoncer les discours, prononcés presque uniquement par des hommes, des gouvernements successifs ayant mis en place les politiques agricoles. Quel que soit le parti au pouvoir, celles-ci sont organisées selon une doctrine productiviste et industrielle où l’exploitation et l’extractivisme nient la nature comme entité vivante. C’est donc pour remettre en question un système qui ne le faisait pas que les deux artistes sont « entrées en politique ». Aujourd’hui, les multiples crises que nous traversons changent la donne en soulignant l’urgence d’agir. Plutôt que de continuer à dénoncer les aberrations d’une politique agricole commune aux effets dévastateurs, le nouveau ministère propose, sous le vocable de « Cercle de la Régénération » – des sols comme de la vie – sa propre politique agricole, alliée du vivant et dont les mots d’ordre sont : Aimer. Jouir. Polliniser. Germer. Être dans le concret, le faire, agir pour plutôt que protester contre, préférer la construction à la destruction. Le nouveau monde sera agroforestier et écoféministe.

Le centre d’art La cuisine donne à voir cette proposition du Nouveau Ministère de l’Agriculture. Imaginé par Stéphanie Sagot en 2004 sur un territoire, le Tarn-et-Garonne, qui était alors dépourvu de lieu dédié à l’art contemporain, il repose sur le mot « art » tel qu’il s’entend dans l’acception formulée par l’érudit et penseur socialiste britannique William Morris (1834 – 1896) : « au-delà des productions artistiques explicites, de façon à embrasser non seulement la peinture, la sculpture et l’architecture, mais aussi les formes et les couleurs de tous les biens domestiques, voire la disposition des champs pour le labour ou la pâture, l’entretien des villes et de tous nos chemins, voies et routes ; bref, d’étendre le sens du mot ‘art’, jusqu’à englober la configuration de tous les aspects extérieurs de notre vie ».

L’exposition du Nouveau Ministère de l’Agriculture ressemble à un projet de société. Composée d’un grand dessin, un film et une plantation, elle pourrait apparaître atypique si l’on ne considérait pas le précepte de William Morris. Elle est ici intimement liée à la vie de la Cité. La création plastique est ici connectée à son environnement immédiat, à la terre, à la nature. Elle est évidemment politique : de la création plastique pour penser le monde d’après. Il ne s’agit pas de raconter là une fable qui emprunterait à la métaphore mais de rendre compte de la possibilité d’une alternative. Car contrairement à ce qu’assènent les dirigeants des pays occidentaux depuis plus de cinquante ans, il y a une alternative : l’éducation à l’environnement envisagée comme outil pour transformer la société. Le grand dessin (300 x 150 cm) composé à quatre mains en est à la fois la matrice et le manifeste. Il esquisse les contours de la nouvelle Nègrepelisse où le monument aux morts deviendrait sous la bienveillance d’une Vénus préhistorique, gigantesque déesse-mère sculptée, un monument aux vies, où l’on trouverait entre autres bâtiments abritant les services publics, celui du fumier municipal, juste à côté de la graineterie, où le cimetière serait récupérateur de phosphore, où les fruits, les céréales, tout ce qui se récolte, seraient en abondance, où le bien-être des animaux serait source d’une reproductivité soutenue. Plutôt qu’une utopie, le Nouveau Ministère de l’Agriculture trace une écotopie selon la définition qu’en donne en 1975 l’écrivain et journaliste américain Ernest Callenbach (1929 – 2012) dans le roman éponyme. Sur le dessin, les oiseaux figurent en nombre et semblent disproportionnés par rapport à l’échelle de l’ensemble. C’est que les oiseaux occupent une place fondamentale dans l’équilibre du monde. Ils sont de véritables passeurs de vie grâce à leur pratique de dissémination des graines qui favorise la reforestation et la pollinisation des plantes. La grande migration des oiseaux de l’Ethiopie vers l’Europe précède les grandes migrations humaines qui suivent le même trajet, terrestre toutefois. Les zones humides jouent le rôle d’oasis pour les oiseaux en escale migratoire. Aménagés au cours de l’histoire, ces réservoirs de biodiversité sont reliés entre eux par des corridors écologiques. Il est primordial d’en assurer la continuité.

Création de terrasses agroforestières. Le Nouveau Ministère de l’Agriculture pour le Cercle de la régénération, dessin préparatoire, 2020 ©Le NMA
Création de terrasses agroforestières. Le Nouveau Ministère de l’Agriculture pour le Cercle de la régénération, dessin préparatoire, 2020 ©Le NMA

Sur le dessin, l’un des oiseaux, aux couleurs de feu, est assurément plus grand, plus majestueux que les autres. Allégorie de cette régénérescence de la nature, le phoenix renaît toujours de ses cendres.
A travers le film au titre mirifique : « Manifeste pour une agriculture de l’amour », Hervé Coves, ingénieur agronome, pédologue mycologue, devenu moine franciscain en 2014 peu après ses cinquante ans, propose, grâce à sa compréhension profonde du vivant et de la biosphère, un programme agricole s’étirant sur mille ans lié à la culture de la pluie pour la régénération des sols, aux arbres millénaires sacrés, aux aurores boréales, aux oiseaux migrateurs, aux poissons pour la circulation du phosphore, à la marche pour l’adaptation climatique, tout en cultivant de nombreuses plantes. Fondateur de l’ordre des Franciscains, Saint François d’Assise est aussi le patron de l’écologie.

Ouvert au public courant novembre, « Aux arbres ! » est un jardin municipal composé de cultures appropriées à la région. Installée en contrebas de la Cuisine, cette forêt nourricière partagée est destinée notamment à alimenter les fourneaux du centre d’art. Planter, cueillir, ramener son compost, elle a été imaginée comme un jardin dans lequel on pourrait vivre. La création de cette plantation s’inscrit dans une perspective historique. Le Tarn-et-Garonne est certes un verger important mais un verger industriel. L’idée est de planter autrement. Réalisé en collaboration avec l’association Campagnes Vivantes, ce jardin est accompagné d’une mission de sensibilisation afin de le faire vivre : un outil pédagogique et évolutif qui met en relation les écoles, les espaces verts municipaux et les habitants.

A partir du dessin visionnaire, de cette cartographie politique dont le titre « Aux arbres ! Ecotopie du Nouveau Ministère de l’Agriculture pour une stimulation des processus vitaux post nécronomie, préalable à la plantation d’une forêt nourricière à Nègrepelisse » porte en lui le dessein et l‘espoir d’un nouveau monde, le Nouveau Ministère de l’Agriculture propose plutôt qu’il n’oppose, explore des manières de devenir terrien, d’habiter la planète avec la planète, de prendre soin de ce monde fabuleux que nous habitons. William Morris le dit lui-même : « L’art est long, mais la vie est courte : réalisons quelque chose au moins avant de mourir ».

LE NOUVEAU MINISTERE DE L’AGRICULTURE
Le Nouveau Ministère de l’Agriculture (Suzanne Husky et Stéphanie Sagot) est un duo d’artistes créé en 2016 et dont la mission est de mettre en lumière l’arc idéologique du ministère de l’agriculture en grossissant ses traits les plus problématiques au regard de la santé de la terre.
En 2020, face à la crise sanitaire, aux urgences écologiques et sociales que nous traversons, Le Nouveau Ministère de l’Agriculture, dans un élan de transformation profonde, cesse de surenchérir sur la réalité de la Politique Agricole Commune afin de panser le monde d’avant et de constituer le monde d’après.
Il remplace ses mots d’ordre Contrôler, Innover, Exploiter, Capitaliser par Aimer, Jouir, Polliniser, Germer et ses dystopies par des écotopies qui cherchent à prendre part dans le réel.
En cela, il s’appuie sur l’expérience de ses deux Ministres. Suzanne Husky est formée en art, en paysagisme, en permaculture et un peu en agroforesterie. Elle crée des pièces qui déclinent la longue et complexe histoire de l’homme et de la terre. Stéphanie Sagot, artiste et maîtresse de conférence en art, cherche à élargir le champ d’intervention de l’art afin de s’opposer au programme de mobilisation totale du capitalisme. Pour cela, elle a fondé et dirigé (2004/2016) le centre d’art et de design La cuisine pour engager des dialogues avec les élu.es, les habitant.es par l’implication de l’art dans le quotidien.
https://www.nouveauministeredelagriculture.com/mission

COLLECTIF LES TRAMES
Mathilde Amilhat, Fanette Declercq et Anaïs Duplan proposent “Une forêt tissée” : De toute cette horizontalité nous proposons de dresser le végétal. Pour dénoncer son absence, signifier sa nécessité, son appel. Une forêt comme cabane, comme remède. Une forêt que l’on construirait ensemble, en ronde, emplie de danses et de chants, comme force collective face aux injonctions. Nos arbres sont un lien entre terre et ciel, un clin d’oeil au rituel de l’arbre de mai quand les anciens célébraient la fécondité et la vie. Une forêt pour regagner une autonomie, qui s’étend, qui peuple et s’adapte. Elle invite à venir y déambuler, à y passer un temps, être ensemble – faire textile.

Installation «Une forêt tisée» en cours de montage dans la cour du centre d’art et de design La cuisine, ©Loran Chourrau.
Installation « Une forêt tissée » du Collectif Les Trames en cours de montage dans la cour du centre d’art et de design La cuisine, ©Loran Chourrau.
Vue de l’exposition Aux Arbres ! Installation collective avec Le Nouveau Ministère de l’Agriculture et le collectif Les trames dans la salle d’exposition de La cuisine.
Vue de l’exposition Aux Arbres ! Installation collective avec Le Nouveau Ministère de l’Agriculture et le collectif Les trames dans la salle d’exposition de La cuisine.

La cuisine, centre d’art et de design
Esplanade du château 82800 Nègrepelisse
www.la-cuisine.fr