CYPRIEN DESREZ, JOUER AVEC LE FEU

CYPRIEN DESREZ, JOUER AVEC LE FEU

Vue d’exposition Et il faudra froisser la feuille de Cyprien Desrez
– KOMMET Lyon – Photo Lucas Zambon

EN DIRECT / Exposition Et il faudra froisser la feuille de Cyprien Desrez

Exposition à emporter
Et il faudra froisser la feuille de l’artiste Cyprien Desrez
du 20 janvier au 27 février 2021
à KOMMET – Lieu d’art contemporain à Lyon
Commissaire d’exposition : Émilie d’Ornano

« Jouer avec le feu. » C’est une expression qui nous rappelle des histoires sinistres qui se terminent mal ; des êtres imprudents prêts à se faire brûler. Dépouillé de son identité joyeuse, le mot « jouer » est ici à entendre comme l’action de prendre des risques. Mais pourquoi, à l’écho de cette phrase, imaginons-nous immédiatement son côté menaçant, ignorant la face cachée de cet élément à double facette ? 

« Le feu est l’ultra-vivant. Le feu est intime et il est universel. Il vit dans notre cœur. Il vit dans le ciel. Il monte des profondeurs de la substance et s’offre comme un amour. Il redescend dans la matière et se cache, latent, contenu comme la haine et la vengeance. Parmi tous les phénomènes, il est vraiment le seul qui puisse recevoir aussi nettement les deux valorisations contraires : le bien et le mal. Il brille au Paradis. Il brûle à l’Enfer. Il est douceur et torture. Il est cuisine et apocalypse. Il est Plaisir pour l’enfant assis sagement près du foyer ; il punit cependant de toute désobéissance quand on veut jouer de trop près avec ses flammes. Il est bien-être et il est respect. C’est un dieu tutélaire et terrible, bon et mauvais. Il peut se contredire : il est donc un des principes d’explication universelle1. »

Avec Et il faudra froisser la feuille, Cyprien Desrez nous rappelle la douceur du feu. Comme ce dernier, cette « exposition à emporter » est elle aussi multiple. En visitant KOMMET (Lyon), nous découvrons l’âtre d’une maison à colombages, cependant sans feu, construit en carton d’une manière DIY, seulement pour comprendre que la véritable exposition est à emporter, scellée dans un emballage plastique, à découvrir dans les confins de chez soi. Une fois rentré-e chez soi, le.la visiteur-euse retire de la pochette un feu de camp à monter. Mais ici, la flamme, comme les bûches, sont faites de papier : une feuille à froisser, à manipuler, à maîtriser, non pas menaçante et intouchable, mais ludique et tactile.  

Accompagnant ce feu reconstitué, un livre, rempli de récits écrits par l’artiste. Un numéro de téléphone, aussi, celui de l’artiste. Rappelant l’œuvre célèbre Dial A Poem de John Giorno, l’on peut, en composant le numéro de l’artiste, le retrouver à l’autre bout du fil, prêt à nous raconter d’autres histoires. Venant d’un désir de partage, cette invitation à écouter ces récits au coin du feu « est cliché sans doute, et sincère sans aucun doute », pour emprunter les mots de l’artiste. C’est justement cette sincérité qu’il ne faut pas négliger, voire qu’il faut retirer de l’expérience, car si Cyprien Desrez nous offre une œuvre qu’il qualifie de « clichée », elle est à chercher dans ce que le terme comprend de positif – une forme de générosité, à la fois kitsch et enfantine, sans prétention ou exclusion.

En déplaçant les colombages normands à Lyon, le feu de camp à la maison, Cyprien Desrez nous emmène en voyage. Cela n’est pas étonnant pour autant, car la pratique de l’artiste est construite justement au travers de ses excursions. Cyprien Desrez ne cesse de voyager en auto-stop, ce qui l’amènera plus récemment à traverser les États-Unis ou l’Europe, sans téléphone ni argent, simplement muni de cartes routières. Il documente ces expériences dans ses écrits, ses dessins, qui constituent ensuite une pratique artistique conviant le public à se laisser porter ailleurs : vers un voyage mental, vers la rêverie.

Dans son livre La Psychanalyse du feu, Gaston Bachelard parle de la douce rêverie que nous pouvons expérimenter devant le feu. « Près du feu, il faut s’asseoir ; il faut se reposer sans dormir ; il faut accepter la rêverie objectivement spécifique.  » Le feu est donc une invitation au repos, voire même à se soigner. Conçue sous un format inédit face à un contexte qui nous hante, à un monde incertain, cette exposition à emporter nous confronte au besoin de calme, de rêver tout en étant conscient-e, de se reconstruire. 

Que l’on soit seul-e en face du feu, ou bien entouré-e, Cyprien Desrez nous invite à cette rêverie, à jouer, à ne pas avoir peur de jouer, surtout pas avec le feu. Car l’aspect le plus important de son travail est le contact humain – et comment lutter pour des contacts alternatifs quand il n’est pas possible de se rassembler -, l’échange, le partage, la bienveillance. Mettons donc nos doigts dans la flamme, jouons avec le feu, froissons la feuille, afin de transformer nos fantômes en cendres propices à un rétablissement collectif. 

 1 – Gaston Bachelard, La Psychanalyse du feu, p. 23-24. 

Katia Porro

Vue d'exposition Et il faudra froisser la feuille de Cyprien Desrez  - KOMMET Lyon - Photo Lucas Zambon
Vue d’exposition Et il faudra froisser la feuille de Cyprien Desrez – KOMMET Lyon – Photo Lucas Zambon
Vue d'exposition Et il faudra froisser la feuille de Cyprien Desrez  - KOMMET Lyon - Photo Lucas Zambon
Vue d’exposition Et il faudra froisser la feuille de Cyprien Desrez – KOMMET Lyon – Photo Lucas Zambon
Vue d'exposition Et il faudra froisser la feuille de Cyprien Desrez  - KOMMET Lyon - Photo Lucas Zambon
Vue d’exposition Et il faudra froisser la feuille de Cyprien Desrez – KOMMET Lyon – Photo Lucas Zambon